Comprendre le droit d’auteur – une compétence de base indispensable
Lesley Ellen Harris *
«Vous ne pensez pas que le droit d’auteur devrait faire partie des compétences de base aujourd’hui? Lorsque vous quittez l’enseignement secondaire ou universitaire diplôme en poche, vous devriez savoir lire une carte, utiliser un GPS et avoir quelques connaissances élémentaires sur le droit d’auteur. Si vous envisagez de travailler dans un secteur où vous serez constamment confronté à des documents protégés par le droit d’auteur, vous devriez avoir des connaissances plus approfondies en la matière. Et à supposer que vous soyez artiste ou musicien sur le point de décrocher un diplôme en arts du spectacle, vous devriez avoir une maîtrise parfaite de la question. Or, je crois que c’est loin d’être le cas et je crois même que le droit d’auteur ne fait figure même pas au programme d’enseignement.»
- Maria Pallante, Registre du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique
Autrefois l’apanage de spécialistes, le droit d’auteur fait désormais partie des questions de société et comprendre comment il fonctionne est une compétence de base de plus en plus indispensable. Dans le cyberespace, les consommateurs se trouvent fréquemment confrontés au droit d’auteur mais nombre d’entre eux sont déroutés et ignorent ce que la législation autorise ou interdit. Certes, l’augmentation du nombre de facultés de droit proposant des cours sur la propriété intellectuelle contribue à combler les lacunes en termes de connaissances mais il reste encore énormément à faire pour mettre le grand public au niveau s’agissant des questions liées au droit d’auteur.
Compte tenu de l’élargissement de l’accès à des technologies permettant de télécharger et de copier des contenus créatifs, et face à l’augmentation sans précédent du piratage en ligne, l’enseignement du droit d’auteur suscite de plus en plus d’intérêt. Il s’agit de faire connaître aux utilisateurs de contenus créatifs toutes les conséquences de la copie illégale et de leur enseigner comment éviter de porter atteinte aux droits et intérêts des créateurs. Le but est de souligner que si notre façon d’écouter de la musique, de regarder des films ou de lire des livres a profondément changé, le temps, l’effort et le talent nécessaires pour produire un contenu créatif sont globalement restés les mêmes. Proposer une formation au droit d’auteur offre un moyen sûr et efficace de sensibiliser aux droits des créateurs et à leur respect.
Le message principal de la campagne lancée en 2011 en Australie par l’Intellectual Property Awareness Foundation était : «Qui que vous soyez… il n’y a aucune raison valable de pirater des films ou des émissions de TV ». (Photos: IPAF) |
Éduquer les pirates qui s’ignorent
Des recherches entreprises en 2011 en Australie par l’Intellectual Property Awareness Foundation (IPAF, la fondation australienne pour la sensibilisation à la propriété intellectuelle), montrent que la plus grande confusion règne au sein du grand public quant à ce qui constitue ou non un acte de piratage. Nombre d’internautes sont «parfaitement inconscients» qu’en téléchargeant, gravant ou partageant des films ou des émissions de télévision, ils participent au piratage. Selon les estimations de l’IPAF, un Australien sur trois est un «pirate qui s’ignore». La fondation est fermement convaincue que l’éducation est «la solution pour faire prendre conscience du problème que représente le piratage de films ou d’émissions». Dans le cadre de ses campagnes d’éducation du public, l’IPAF explique en quoi consiste le piratage, le préjudice qu’il occasionne et pourquoi il importe que les membres du public cessent de télécharger, de copier et d’acheter des films ou des émissions de TV piratés.
Parallèlement, de plus en plus de campagnes et de moyens d’information s’emploient à sensibiliser le public à ce que prescrit ou interdit le droit d’auteur. En novembre 2011, le procureur général des États-Unis d’Amérique, Eric Holder, a annoncé le lancement d’une campagne de sensibilisation du public visant à présenter les conséquences néfastes de l’achat de contrefaçons et du téléchargement de contenus piratés. YouTube, le site de partage de vidéos, renferme des centaines de vidéos pédagogiques sur le droit d’auteur et dispose de son propre centre d’informations relatives aux droits d’auteur pour donner des conseils et répondre aux questions posées en la matière. Les contrevenants – les personnes ayant reçu trois notifications d’atteinte sans les contester – sont envoyés à l’«école du droit d’auteur» de YouTube où ils sont tenus de visionner un programme didactique puis de réussir une épreuve avant d’être à nouveau autorisés à utiliser les services proposés par le site. L’académie de l’OMPI offre elle aussi une palette de cours sur le droit d’auteur – et la propriété intellectuelle en général – à l’adresse de différents groupes cibles. De même, plusieurs autres organisations, comme la Special Libraries Association, une organisation internationale représentant les professionnels de l’information, fournissent aux non spécialistes les connaissances dont ils ont besoin pour éviter de porter atteinte aux droits des créateurs.
Quel est l’intérêt de la sensibilisation?
Outre le fait de favoriser la créativité et sa diffusion à grande échelle, ce qui constitue le fondement même du droit d’auteur, il existe plusieurs raisons impérieuses d’appuyer la mise en place de programmes de sensibilisation au droit d’auteur dans les bibliothèques publiques, les établissements scolaires, les entreprises et les universités. La première d’entre elles est qu’une bonne connaissance du droit d’auteur permet d’éviter des problèmes juridiques et, dans le cas où ils surviendraient, de mieux se défendre. À ce titre, la sensibilisation au droit d’auteur peut s’inscrire dans le cadre d’une stratégie de gestion de risque rentable.
Indépendamment de considérations d’ordre juridique ou financier, de multiples raisons poussent les entreprises et les organisations à renforcer les connaissances en matière de droit d’auteur. En termes d’image par exemple, une organisation peut rehausser sa réputation et servir de modèle en fixant des règles strictes s’agissant du respect du droit d’auteur et de la législation. Être conscient des questions de droit d’auteur ouvre également la voie à une plus grande créativité et à une productivité accrue sur le lieu de travail. Il arrive par exemple que les employés soient mal à l’aise au moment d’utiliser des bases de données ou des contenus sous licence dans le cadre d’activités de réseautage social. Or, mieux connaître le droit d’auteur peut les rassurer en matière d’usage loyal et d’acte loyal, les rendre plus confiants et accroître leur productivité. Compte tenu de la généralisation de l’utilisation et de la concession sous licence de contenus en ligne dans le cadre d’opérations courantes, il importe également que les cadres aient eux aussi une bonne connaissance du droit d’auteur.
En termes d’organisation, la mise en œuvre de politiques et de programmes de formation sur le droit d’auteur offre plusieurs avantages supplémentaires. À titre d’exemple, la loi des États-Unis d’Amérique sur le droit d’auteur dans un environnement numérique (Digital Millennium Copyright Act, DMCA) limite la responsabilité des fournisseurs de services Internet dans le cadre de certaines infractions si ces derniers appliquent une politique relative aux récidivistes et informent leurs abonnés de leur approche en matière d’atteinte au droit d’auteur. De même, au titre de la loi sur l’harmonisation de la technologie, de l’éducation et du droit d’auteur (loi TEACH), laquelle donne des précisions sur la possibilité d’utiliser des œuvres protégées par le droit d’auteur à des fins d’enseignement à distance, les établissements d’enseignement doivent «édicter des politiques en matière de droit d’auteur» pour pouvoir relever des exceptions au droit d’auteur prévus par cette loi. De manière analogue, dans une affaire remontant à 2004, – CCH Canadian Ltd. v. Law Society of Upper Canada – la Cour suprême du Canada a indiqué que prévoir des règles écrites sur le droit d’auteur contribuait à l’application de l’exception au titre de l’acte loyal dans certaines situations.
Qui sensibiliser au droit d'auteur?
La sensibilisation aux questions relatives aux droit d’auteur s’adresse à un large éventail de groupes cibles dont les élèves, les étudiants, les graphistes, les professionnels de l’informatique et les bibliothécaires. Toutes les personnes travaillant dans les industries du droit d’auteur, par exemple dans la musique, le cinéma ou l’édition, doivent également être tenues informées des évolutions de la législation sur le droit d’auteur, notamment en ce qui concerne l’interprétation des règles qui s’appliquent aux nouvelles technologies et aux modes de diffusion et d’accès numériques.
Nombreux sont ceux qui ont quelques notions en ce qui concerne la législation sur le droit d’auteur et le fait qu’elle prévoit des limitations s’agissant de l’utilisation des contenus. Plusieurs d’entre nous ont également conscience que l’utilisation de contenus sous licence est soumise aux conditions générales d’un accord de licence. Souvent, nous nous trouvons dans des situations où nous pensons que l’exception au titre de l’acte loyal ou l’usage loyal s’applique à l’utilisation de documents protégés par le droit d’auteur, mais nous avons besoin d’une confirmation comme quoi c’est bien le cas.
Comprendre les paramètres qui régissent l’utilisation licite de contenus protégés au titre du droit d’auteur – y compris dans le cadre de la reprographie et de licences collectives ou autres – facilite la vie de chacun. Si une affiche sur le droit d’auteur placée près d’une photocopieuse, d’une imprimante ou d’un ordinateur muni d’une connexion Internet peut se révéler utile, une formation sur le droit d’auteur correctement ciblée peut procurer le savoir-faire qui inspirera la confiance nécessaire aux utilisateurs de documents protégés au titre du droit d’auteur.
Les internautes ayant reçu trois notifications d’atteinte sans les contester sont envoyés à l’«école du droit d’auteur» de YouTube où ils sont tenus de visionner un programme didactique puis de réussir une épreuve avant d’être à nouveau autorisés à utiliser les services proposés par le site. (Photos: YouTube, LLC) |
De quels éléments se compose un programme de sensibilisation au droit d’auteur?
Pour être efficace, il convient de définir les éléments que doit comprendre un programme de sensibilisation au droit d’auteur en fonction des besoins du public visé. En règle générale, le programme permet à la fois d’inculquer des connaissances et de créer un dispositif de sorte que les participants trouvent facilement les réponses aux questions relatives au droit d’auteur qu’ils se posent au quotidien. Il comprend une explication sur les principales dispositions de la législation sur le droit d’auteur, l’application de l’exception au titre de l’usage loyal ou de l’acte loyal et un aperçu des problèmes relatifs au droit d’auteur à l’échelle internationale (notamment en ce qui concerne les contenus numériques et en ligne). La formation dispense également des conseils sur la façon de se conformer à la législation sur le droit d’auteur – par exemple lorsqu’on utilise des contenus dans le cadre de cours en ligne ou sur des sites de réseautage social – et indique à qui s’adresser pour obtenir des informations supplémentaires sur le droit d’auteur, le cas échéant. Somme toute, être sensibilisé au droit d’auteur revient à mettre en place une gestion active du droit d’auteur et une approche proactive en matière de respect du droit d’auteur.
Les étapes élémentaires pour créer un programme de sensibilisation au droit d’auteur
Attirer un public
Il est fréquent que les personnes susceptibles de bénéficier le plus d’une formation sur le droit d’auteur soient celles qui s’en soucient le moins. Expliquer les avantages de se conformer à la loi est utile mais peut ne pas suffire pour mobiliser pleinement votre public. Si vous pensez que votre entreprise ou votre organisation a besoin d’étoffer ses connaissances en matière de droit d’auteur, prenez l’initiative de proposer une formation en interne sur ce thème. Cette démarche pourra déboucher sur une reconnaissance officielle d’un nouveau rôle de chef de file, ce qui pourra convaincre des tiers que le droit d’auteur peut donner lieu à de nouvelles possibilités d’emploi. Remettre une attestation à tous les participants à une formation sur le droit d’auteur peut également servir d’incitation.
Définir le contenu du programme
Pour porter ses fruits, votre programme de formation doit traiter des questions relatives au droit d’auteur les plus fréquentes. Envoyer un courrier électronique au public que vous visez en lui demandant de présenter brièvement les questions qu’il se pose et les problèmes auxquels il se heurte le plus fréquemment en matière de droit d’auteur et sur lesquels il hésite peut constituer un point de départ intéressant. Les thèmes suivants pourront par exemple être abordés :
- la photocopie d’articles à des fins d’enseignement (dans le cadre de cours classiques ou en ligne);
- la publication de contenus sur un site Web, sur l’intranet ou sur une page Facebook;
- le fait d’entreprendre un projet de numérisation ou de numériser des documents ou des images;
- la négociation et l’interprétation de contrats de licence d’accès à des contenus numériques relatifs à des périodiques électroniques;
- l’utilisation de photos dans un projet de recherche ou un rapport annuel, et
- la réalisation d’une vidéo pédagogique.
Réfléchir au public visé
Pour être efficace, tout programme de sensibilisation au droit d’auteur doit être adapté aux besoins du public visé. Les cadres supérieurs pourront par exemple avoir besoin d’informations permettent de dresser un tableau d’ensemble (en lien avec les contenus et l’approbation du budget), tandis que les bibliothécaires, les chercheurs et les responsables marketing rechercheront des solutions pratiques au quotidien et les universitaires des renseignements sur l’obtention d’autorisations pour utiliser des contenus à des fins d’enseignement. Il importera également de vous demander si la méthode de sensibilisation choisie est adaptée à vos objectifs. Est il suffisant, par exemple, d’apposer une mention de réserve du droit d’auteur ou une affiche sur les restrictions en matière de droit d’auteur près d’une photocopieuse, d’une imprimante ou d’un ordinateur muni d’une connexion Internet ou serait il plus judicieux de mettre à la disposition du public une brochure sur le droit d’auteur?
Dresser un inventaire
Pour éviter de réinventer la roue, dresser un inventaire de tous les documents de votre organisation traitant de contenus protégés par le droit d’auteur peut se révéler utile. Il pourra s’agir de politiques relatives au droit d’auteur, de la procédure d’obtention d’autorisation, des modèles ou lettres types relatives à l’obtention des autorisations de droit d’auteur, d’exposés sur le droit d’auteur ou d’un avis juridique sur l’usage/l’acte loyal ou un sujet connexe. Ces documents constituent un excellent point de départ pour étudier l’approche de votre organisation vis à vis des documents soumis à droit d’auteur.
Obtenir le budget/l’accord nécessaire
Si la démarche de sensibilisation au droit d’auteur est une nouveauté au sein de votre organisation, il importe de définir quels services peuvent contribuer à l’initiative et la soutenir. S’agissant de l’obtention du financement nécessaire, il peut être judicieux de mettre en avant les économies potentielles associées au programme de formation. Il conviendra également de se demander comment obtenir l’accord nécessaire pour la mise en place du programme au sein de votre organisation.
Choisir le bon moment
Définir quel sera le moment le plus opportun pour lancer un programme de sensibilisation au droit d’auteur peut être un facteur déterminant de sa réussite (par exemple si votre organisation fait l’objet de poursuites pour atteinte au droit d’auteur dans le cadre de ses pratiques en la matière). Choisir le bon moment est un élément crucial et influera directement sur l’adhésion de votre organisation à votre projet ou non.
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Mme Harris est juriste spécialisée en droit d’auteur, auteur et enseignante. Elle publie la Copyright & New Media Law Newsletter et tient à jourun blog où elle répond à des questions sur le droit d’auteur. Son ouvrage, intitulé Licensing Digital Content: A Practical Guide for Librarians, deuxième édition, est disponible auprès d’ALA Editions.
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