Design philippin : ouvrir de perspectives nouvelles
Le designer Kenneth Cobonpue
Le créateur philippin avant‑gardiste Kenneth Cobonpue a acquis une notoriété internationale pour ses œuvres modernes fabriquées à partir de fibres naturelles telles que le rotin, le bambou, l'abaca (une espèce de bananier) ou le palmier corypha. Depuis le lancement du fauteuil Yin & Yang en 1998, M. Cobonpue a remporté de nombreux prix internationaux pour ses créations uniques qui attirent le regard. Dans une entrevue accordée récemment au Magazine de l'OMPI, M. Cobonpue nous parle de son œuvre et du rôle essentiel que jouent les droits de propriété intellectuelle dans la protection de celle‑ci.
Où puisez‑vous votre inspiration?
Je m'inspire des formes et des structures présentes dans la nature, des différentes cultures dans le monde et du savoir‑faire de mon peuple. À travers mon travail, tous ces éléments finissent par acquérir une existence propre.
Comment êtes‑vous tombé dans l'univers du design?
Ma mère était créatrice de mobilier; elle a été une source d'inspiration pour moi. Dès mon plus jeune âge, elle m'emmenait à tous les salons auxquels elle participait. J'ai désiré suivre ses traces et créer des œuvres qui procurent du plaisir aux personnes qui les utilisent. Bien que je sois créateur, je me considère également comme un artisan, car je suis en contact avec la matière et parce que je me sers de mes mains.
Pour quelle raison le design est‑il important?
Tout ce qui nous entoure dans nos vies quotidiennes est d'inspiration humaine ou divine. Sa signification nous dépasse. Dans la mesure du possible, j'essaie de ne suivre aucun courant de pensée car, à mon sens, cela reviendrait à brider ma créativité.
Selon vous, à quoi reconnaît‑on un meuble design de qualité?
Il doit être suffisamment confortable, beau et précieux pour que d'autres personnes l'achètent. Oui, c'est aussi simple que ça.
Quelle est votre œuvre préférée?
Mon œuvre préférée est toujours la suivante.
Quelle est la personne qui a le plus influencé votre œuvre?
fauteuil Dragnet – inspirés de filets
de pêcheurs. Fabrication : tissu
enveloppant une structure en acier.
(Photo: Kenneth Cobonpue)
Ma femme me donne son point de vue sur l'esthétique, mes concepteurs et mes artisans transforment mes rêves en réalité, et mes partenaires commerciaux m'aident à bien garder les pieds sur terre. Vivre en Europe et aux États‑Unis d'Amérique m'a aidé à comprendre de quelle manière on vit ailleurs dans le monde. Cette démarche est nécessaire lorsque l'on crée du mobilier pour ces pays. Notre entreprise de mobilier a été fondée par ma mère, ce qui signifie que le personnel était déjà présent. Je n'ai eu qu'à travailler avec eux sur les modèles.
Qu'est‑ce qui distingue vos œuvres de celles des autres?
Si seulement je le savais, cela m'aiderait beaucoup dans mon travail. Au cours de la dernière décennie, mes modèles ont évolué. Ils ne suivent jamais une formule établie. Ils ont cependant tous un point commun : un niveau de savoir‑faire élevé nécessaire à la fabrication de chacun d'eux et des lignes épurées qui les rapprochent d'une œuvre d'art. Mes œuvres présentent des textures, des formes, des matériaux et des éléments qui sont le fruit des procédés de production artisanaux que nous utilisons. C'est ce qui les rend plus chaleureux, plus tactiles et plus humains. Le mobilier d'Asie du Sud‑Est s'est toujours caractérisé par l'utilisation de matériaux locaux, mais aujourd'hui, avec l'utilisation des plastiques et des textiles, il est difficile de dire si un modèle provient d'Asie ou d'Occident.
Comment expliquez‑vous le succès de votre œuvre?
Je pense que ce succès vient du caractère unique de chaque modèle et de l'infrastructure de commercialisation sur laquelle repose mon œuvre.
Pensez‑vous qu'il soit plus facile de devenir designer aujourd'hui que cela ne l'était lorsque vous avez démarré?
Il est plus difficile de gagner sa vie en tant que designer aujourd'hui, car il y a de plus en plus de personnes qui veulent devenir designer et de moins en moins de places dans ce secteur. Chaque année, le nombre de diplômés en design est supérieur à la demande dans les entreprises.
Quelle a été votre source d'inspiration pour le concept car Phoenix?
Le projet Phoenix vise à étudier la possibilité d'utiliser des
matériaux naturels durables dans la conception de moyens de
transport. Les concepteurs ont voulu créer un véhicule à la fois
léger et économiquement viable, fabriqué à partir de bambou,
de rotin, d'acier et de nylon, et propulsé par des technologies
vertes. Ce concept car a été fabriqué à la main par une équipe
de vanniers et d'artisans qualifiés en seulement 10 jours.
(Photo: Kenneth Cobonpue)
J'essaie toujours de me lancer des défis. Une année, j'ai décidé de réaliser un de mes vieux rêves : concevoir une voiture légère en bambou et en fibre de carbone, propulsée par un moteur électrique. Ce projet tombait à point nommé car un salon du design allait se tenir à Milan. Je voulais défier l'industrie automobile avec mon idée. Ma voiture en bambou tressé, la Phoenix, est fabriquée à la main, ce qui signifie que l'énergie nécessaire à sa fabrication est minimale. Elle est légère, c'est pourquoi elle ne requiert qu'un petit moteur, et elle est biodégradable, c'est‑à‑dire qu'elle ne devrait pas terminer sa vie dans un terrain vague dès qu'elle ne servira plus. Les réactions ont été au‑delà de toutes mes espérances. Nous travaillons en ce moment avec un consortium international sur un modèle de voiture commercialisable.
Quels sont les défis auxquels vous devez faire face?
Je dois faire face aux mêmes défis que tout designer travaillant aujourd'hui en Asie : lutter contre la fabrication bon marché et l'augmentation des coûts dans notre partie du monde, auxquels s'ajoute l'absence de technologies et d'infrastructures. Mais le plus grand défi auquel nous devons faire face est sans conteste le piratage intellectuel.
Pour quelle raison est‑il important, pour les designers, de pouvoir protéger leurs œuvres?
Il est pour le moins frustrant et décourageant de se faire voler ses œuvres. Tout le temps et le labeur consacrés à la recherche et aux essais pour un modèle sont anéantis lorsque celui‑ci est copié. Pour qu'une œuvre soit respectée en Asie, elle doit être protégée et diffusée.
Aujourd'hui, je protège systématiquement le fruit de mon travail. J'ai appris la leçon à mes dépens lorsque j'ai vu ma mère se faire voler ses œuvres dans les années 80. C'est ma famille tout entière qui a été touchée. Nous avons gagné plusieurs procès ces deux dernières années et, à mon avis, il y en aura beaucoup d'autres au fur et à mesure que mes œuvres gagnent en popularité. Il est impératif pour moi de poursuivre les contrevenants dans le pays dans lequel sont fabriqués les produits contrefaisants, ainsi que les revendeurs. Nous bénéficions d'un large soutien de la part de nos réseaux de distribution. Désormais, l'Office de la propriété intellectuelle des Philippines est également habilité à poursuivre rapidement et avec détermination les contrevenants. La situation n'a jamais été aussi propice pour ce qui est de l'application des droits de propriété intellectuelle.
Papillon – fauteuil et pouf
(Photo: Kenneth Cobonpue)
Pour quelle raison le design est‑il indispensable dans un pays comme les Philippines?
Le design représente un avantage concurrentiel capital pour un pays comme les Philippines, car il permet de monter dans l'échelle de valeurs. Je dirais même que, dans certains secteurs, c'est le seul avantage qui reste.
Est‑ce que votre œuvre contribue à préserver l'artisanat traditionnel philippin?
L'artisanat se meurt aux Philippines, tout comme dans le reste du monde. Mon travail permet aux artisans de bien gagner leur vie en tirant parti de leur savoir‑faire. Tant que cela sera possible, la tradition de l'artisanat se perpétuera. J'ai songé à m'implanter ailleurs et j'ai étudié cette option il y a quelques années, mais je reviens toujours à mon lieu d'origine car le savoir‑faire nécessaire à la fabrication de mon mobilier n'existe nulle part ailleurs.
Vous vous décrivez comme le chef de file d'un nouveau mouvement qui allie nouvelles technologies et artisanat. Pouvez‑vous nous en dire davantage?
Aujourd'hui, beaucoup d'objets bon marché sont produits par des machines, et cela se ressent dans leur conception. Partout dans le monde, on note un regain d'intérêt pour l'artisanat et les objets fabriqués à la main. Parallèlement, il y a tant de matériaux et de technologies à la fois nouveaux et intéressants. J'aimerais être à l'avant‑garde d'un mouvement qui allie procédés de production artisanaux innovants et nouveaux matériaux. C'est là que réside l'avenir.
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