La gestion des droits des artistes interprètes ou exécutants : le rôle des contrats
Par Katherine Sand, ancienne secrétaire générale de la Fédération internationale des acteurs (FIA)
Bien que le Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles récemment adopté reconnaisse officiellement et renforce les droits patrimoniaux et moraux des artistes interprètes ou exécutants, une étude complémentaire intéressante sur la gestion des droits et les conditions de travail des artistes interprètes ou exécutants a été commandée par l'OMPI. Cette étude consiste en un examen neutre et non prescriptif du rôle des contrats dans l'industrie audiovisuelle.
Par le passé, logiquement, l'OMPI s'est peu intéressée aux contrats relatifs au droit d'auteur. Toute participation d'un gouvernement à l'harmonisation internationale des contrats sur le droit d'auteur pouvait être litigieuse, même si c'était juridiquement possible. Les contrats sont par nature des accords privés entre des parties qui sont régis par les législations nationales et sont le fruit d'une libre négociation. Pourquoi alors avoir commandé une étude sur ce sujet?
Pour répondre à cette question, il convient de prendre du recul afin de se pencher sur les réalités des industries du cinéma et de la télévision. Les contrats visent à réglementer les relations entre les parties et, comme peut en témoigner toute personne ayant vu les génériques de fin d'un film ou d'un programme de télévision, la réalisation de films ou "production audiovisuelle" est une forme artistique qui fait particulièrement appel à la collaboration, réunissant les contributions et les compétences d'un grand nombre de personnes. Les producteurs se trouvent au cœur de ces créations extrêmement complexes et techniques dans les coulisses desquelles des efforts sont déployés pour réunir non seulement les ressources mais également la multitude de composants qui contribuent à la fabrication d'un film.
(Photo: istockphoto - Camilo Jimenez)
Chacune des relations d'un producteur en rapport avec la production d'un film exige un accord contractuel, y compris avec les plus importants contributeurs à une création, les artistes interprètes ou exécutants de l'audiovisuel (par exemple, les acteurs, les danseurs ou les cascadeurs). Ce sont les droits de propriété intellectuelle de ces artistes interprètes ou exécutants qui ont occupé le devant de la scène lors de la conférence diplomatique de l'OMPI, qui s'est tenue à Beijing en juin 2012.
Les contrats entre producteurs et artistes interprètes ou exécutants sont un élément essentiel de la production audiovisuelle. Ils déterminent la manière dont les droits de propriété intellectuelle sont gérés ainsi que les droits et obligations des producteurs et artistes interprètes ou exécutants dans leurs relations les uns avec les autres et avec la production. En termes simples, les contrats peuvent transformer des dispositions légales en réalité économique qui soit avantageuse pour toutes les parties.
Il ne fait aucun doute que le Traité de Beijing améliore la situation précaire des acteurs de cinéma et de télévision en définissant une base juridique plus claire pour l'utilisation internationale des productions audiovisuelles, tant sur les supports traditionnels que sur les réseaux numériques. Il contribuera à préserver les droits des artistes interprètes ou exécutants contre l'utilisation non autorisée de leurs prestations.
Reste que les droits de propriété intellectuelle, y compris ceux découlant d'un traité international, vont de pair avec des contrats, qui sont à la fois un moyen d'exprimer et de transférer les droits de propriété intellectuelle et un outil destiné à aider les producteurs à mener à bien leur travail de manière efficace et à obtenir une sécurité juridique.
Pendant des années, les représentants gouvernementaux ont examiné les droits des artistes interprètes ou exécutants à l'OMPI. C'est pourquoi l'adoption du Traité de Beijing est très prometteuse pour l'industrie audiovisuelle. Un aspect intéressant de ces discussions a été la meilleure compréhension, à l'échelle internationale, des traditions juridiques et culturelles des différents pays et de la façon dont ces dernières influencent le traitement des artistes interprètes ou exécutants dans la législation. Ces diverses conditions nationales ont considérablement enrichi le débat international, qui a parfois été houleux. Dans certains systèmes juridiques, les contributions apportées par des artistes interprètes ou exécutants à un film sont considérées comme "des œuvres créées dans le cadre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services" pour lesquelles le producteur est considéré l'auteur de l'œuvre audiovisuelle. Dans d'autres pays, les droits des artistes interprètes ou exécutants sont très semblables aux droits exclusifs des auteurs et sont exercés comme tels. De nombreux autres pays ont des systèmes hybrides et, en certains endroits, les artistes interprètes ou exécutants ont encore peu de droits, voire aucun. Ce qui est clairement apparu lors des débats c'est que l'immense majorité de ces systèmes ont un seul élément en commun : le contrat de l'artiste interprète ou exécutant.
L'étude de l'OMPI mentionne une grande variété de contrats, du contrat élémentaire portant principalement sur la rémunération et le nombre d'heures à travailler, à ceux qui contiennent des conditions très détaillées et négociées collectivement, dans des pays dont les industries du cinéma et de la télévision sont très développées. Ces conditions peuvent comprendre des rémunérations secondaires lorsque l'œuvre est réutilisée, par exemple, lorsqu'un film passe à la télévision ou qu'il est vendu en format DVD ou lorsque des émissions de télévision ou des spots publicitaires sont diffusés plusieurs fois. Ces conditions fixent également des normes relatives aux conditions de travail, des obligations pour les artistes interprètes ou exécutants et d'autres éléments.
Les contrats sont étroitement liés à la capacité de négociation. Dans les pays en développement ayant relativement peu de productions audiovisuelles, les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs sont moins susceptibles de s'organiser collectivement. Les artistes interprètes ou exécutants auront presque inévitablement plus de peine à faire entendre leur voix dans des négociations, même s'ils sont des "stars" reconnues. Il est largement accepté qu'une organisation collective représente un bon moyen d'aller de l'avant pour les deux parties contractuelles. Pendant des années, la Fédération internationale des acteurs (FIA) a aidé à créer des associations et des syndicats d'artistes interprètes ou exécutants dans les pays émergents et en développement afin de former et d'informer des organisations collectives avec lesquelles les producteurs pourraient négocier et, ainsi, renforcer le dialogue social. De même, les associations de producteurs audiovisuels sont représentées sur le plan international par la Fédération internationale des associations de producteurs de films (FIAPF) destinée à promouvoir et à renforcer les bonnes pratiques dans les industries cinématographiques nationales.
Il paraît évident que toutes les parties travaillant dans l'industrie cinématographique ont pour objectif d'encourager la production. Ces dernières décennies, un nombre significatif de productions de nature "internationale" ont été réalisées et on a pu voir des réalisateurs voyager à l'étranger pour y tourner des scènes en extérieur et profiter de coûts de production plus faibles, d'incitations financières et éventuellement de taux de change favorables. Les productions internationales peuvent aussi être très avantageuses pour les pays où sont tournés des films; elles peuvent apporter des devises étrangères ainsi que des investissements étrangers directs, créer des emplois et générer une activité économique. Les productions internationales peuvent en outre, ce qui est tout aussi important, contribuer à financer et à soutenir la production cinématographique locale. Tout cela est favorable aux producteurs, aux artistes interprètes ou exécutants et aux industries de production locaux tant que tous leurs contrats s'en trouvent renforcés et que les parties concernées ne sont pas lésées.
Bien entendu, il faut disposer d'excellentes lois (ce qui est le cas de nombreux pays), mais les contrats sont également importants pour stimuler l'activité économique et transformer des dispositions légales en réalité économique. La reconnaissance par l'OMPI de l'importance des contrats et sa volonté de promouvoir le dialogue et la formation dans ce domaine vont de pair avec l'établissement des normes internationales. C'est désormais aux parties de prendre leurs responsabilités. Plus il y aura d'associations nationales d'artistes interprètes ou exécutants et de producteurs qui collaboreront pour améliorer les pratiques en matière de contrats, soutenir leurs industries et améliorer la qualité de leur "dialogue social", plus les droits de propriété intellectuelle seront significatifs et auront des retombées économiques positives pour tout le monde.
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