Comprendre la résiliation du transfert du droit d'auteur aux États-Unis d'Amérique
par Brian D. Caplan, Esq., Caplan & Ross, LLP1
En vertu de la loi sur le droit d'auteur de 1976, le Congrès américain a donné aux artistes interprètes et aux compositeurs la possibilité, au bout de 35 ans, de récupérer leurs droits sur des œuvres ayant précédemment fait l'objet d'une licence. Ce droit dit "de résiliation" vise à permettre aux créateurs de renégocier les conditions de contrats d'édition conclus avant que la véritable valeur de leur œuvre ne soit connue. Le droit de résiliation, énoncé au titre 17 du Code des États-Unis d'Amérique, article 203, s'applique aux droits transférés à compter du 1er janvier 1978, sous réserve qu'ils ne soient pas rattachés à une œuvre créée dans le cadre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services.
Ce droit, dont les implications sont notables pour les secteurs du divertissement et de l'édition, commencera à avoir un impact à partir de 2013. Les représentants de ces secteurs suivent évidemment de près les décisions de justice qui s'y rapportent. L'une des premières affaires de ce type concerne Victor Willis, ancien leader de Village People, groupe de musique pop des années 1970. En mai 2012, un tribunal de Californie a jugé que M. Willis pourrait, en 2013, récupérer ses intérêts en matière de droit d'auteur pour 33 chansons qu'il a coécrites, parmi lesquelles figurent les tubes emblématiques "YMCA", "Go West" et "In the Navy". Cet article s'intéresse de plus près au droit de résiliation et à certaines des questions juridiques clés que son application pourrait soulever.
Contexte juridique
Avant 1976, le Congrès avait tenté de protéger les auteurs ayant cédé des droits sur leurs œuvres avant que leur véritable valeur ne soit connue. À titre d'exemple, la loi sur le droit d'auteur de 1909 prévoyait une période initiale de protection de 28 ans, renouvelable pour 28 années supplémentaires. Ces dispositions visaient à garantir que le droit d'auteur attaché à une œuvre revenait à l'auteur au bout de la première période de 28 ans, sous réserve que les droits de renouvellement n'aient pas déjà été cédés. Dans la pratique, pour commercialiser leurs œuvres, les auteurs n'avaient généralement pas d'autre choix que de céder leurs droits pour les deux périodes de protection.
La révision de 1976 de la loi sur le droit d'auteur des États-Unis d'Amérique a introduit un nouveau "droit de résiliation" en vertu duquel les droits doivent revenir à l'auteur avant que toute nouvelle cession ne soit valide. Pour les œuvres créées après le 1er janvier 1978, la loi prévoit une période unique de protection au titre du droit d'auteur, comprenant la durée de la vie de l'auteur et 50 ans après sa mort (cette période a depuis été prolongée de 40 ans). Elle accorde également aux auteurs un droit inaliénable de "résilier" un transfert de droit d'auteur 35 ans après qu'il a eu lieu.2
Aspects pratiques de la résiliation
Pour exercer ce droit, les auteurs cédants doivent résilier leur transfert au cours d'une période de cinq ans commençant à l'expiration des 35 années qui suivent la date à laquelle le transfert a été initialement opéré (soit entre la 35e année et la 40e année), en présentant aux bénéficiaires du transfert un préavis de résiliation au minimum deux ans et au maximum 10 ans avant la date effective de résiliation.
À compter de la date de résiliation, tous les intérêts en matière de droit d'auteur cédés au titre du transfert initial reviennent aux cédants, à savoir aux créateurs originaux (même si seuls deux des trois cédants ayant exécuté le transfert signent le préavis de résiliation), en ce qui concerne la législation des États-Unis d'Amérique. Hors des États-Unis d'Amérique, les droits du bénéficiaire du transfert restent inchangés, tout comme les droits liés aux œuvres dérivées créées au titre du transfert initial avant sa résiliation. En revanche, les auteurs qui exercent leur droit de résiliation regagnent le droit d'autoriser la création de nouvelles œuvres dérivées.
Lorsqu'un seul des coauteurs effectue la résiliation, il devient cotitulaire du droit d'auteur et peut concéder sous licence l'utilisation de ce droit sur une base non exclusive, mais il est tenu d'en informer ses cotitulaires. Si les autres coauteurs n'exercent pas leur droit de résiliation, leurs accords vis-à-vis des bénéficiaires demeurent inchangés. Après la prise d'effet de la résiliation, le droit de concéder des licences exclusives nécessite l'autorisation et le consentement de tous les cotitulaires du droit d'auteur, y compris de tous les coauteurs qui ont exercé leur droit de résiliation (ou de leurs cessionnaires consécutifs).
La période de préavis obligatoire prévue par la loi vise à limiter toute perte éventuelle de droits en donnant aux bénéficiaires initiaux du transfert la possibilité de négocier un nouvel accord.
L'affaire
en mai 2012, un tribunal de Californie a
décidé que M. Willis aurait le droit, en 2013,
de récupérer ses intérêts en matière de droit
d'auteur pour 33 chansons qu'il a coécrites,
notamment les tubes emblématiques "YMCA,"
"Go West" et "In the Navy." (Photo:
Copyright 2010, VictorWillisWorld.Com)
La décision du tribunal dans l'affaire Scorpio Music, et al. c. Willis, 11 Civ. 1557 (BTM), 2012 WL 1598043 (S.D.Ca. May, 7, 2012) est l'une des premières ayant permis d'interpréter les dispositions relatives à la résiliation du transfert du droit d'auteur applicables aux transferts opérés après 1977. Lors de l'audience tenue à San Diego (Californie), le tribunal de district des États-Unis d'Amérique a rejeté la contestation de la validité du préavis de résiliation de Victor Willis qu'avait présentée un éditeur. Il a décidé qu'à compter de 2013, M. Willis aurait le droit de récupérer ses intérêts en matière de droit d'auteur pour les 33 chansons qu'il a coécrites, y compris "YMCA," "Go West" et "In the Navy".
À la fin des années 1970, M. Willis a cédé ses intérêts en matière de droit d'auteur pour ces compositions à Can't Stop Music, département de la société Can't Stop Productions, Inc., par le biais de plusieurs contrats d'édition rédigés à l'identique (les "transferts Willis"). Si Jacques Morali et d'autres auteurs ont composé la musique des morceaux, M. Willis affirme être le seul parolier à avoir séparément transféré à la société Can't Stop ses intérêts en matière de droit d'auteur pour ces compositions. En conséquence, les contrats relatifs aux "transferts Willis" étaient conclus exclusivement entre Can't Stop et M. Willis, visaient uniquement les intérêts de M. Willis rattachés aux morceaux et n'étaient exécutés que par Can't Stop et M. Willis. En outre, chacun de ces contrats présentait la terminologie propre au transfert du droit d'auteur, disposant qu'"en vertu du présent contrat, M. Willis vend, cède, transfère et fournit à l'éditeur, ses représentants et cessionnaires, l'adaptation [y compris le titre et les paroles de cette dernière]… ainsi que le droit d'auteur mondial connexe…" Chaque contrat relatif aux "transferts Willis" prévoyait que M. Willis recevrait entre 12 et 20% des recettes brutes générées par les éditeurs à partir des chansons.
Trente-trois ans plus tard, en janvier 2011, M. Willis a fait connaître sa volonté de résilier les "transferts Willis", en adressant à la société Can't Stop le préavis exigé de deux ans avant la date effective de résiliation, en 2013.
Réponse des éditeurs de musique
Can't Stop et sa filiale étrangère Scorpio Music ont soutenu que M. Willis ne pouvait pas présenter un préavis de résiliation de façon unilatérale, dans la mesure où il existait au moins trois coauteurs crédités. Les éditeurs ont ensuite avancé que les chansons étaient des œuvres créées dans le cadre de contrats de louage d'ouvrage ou de services et qu'en conséquence, M. Willis ne pouvait résilier les "transferts Willis". Ils ont également affirmé que même si M. Willis pouvait résilier ces transferts, les intérêts en matière de droit d'auteur qu'il récupérerait se limiteraient aux conditions convenues 35 ans auparavant (12 à 20% pour chaque composition, à l'image des flux de recettes qu'il avait acceptés). Après que M. Willis a rejeté ces allégations, les éditeurs ont engagé une action à San Diego, où réside ce dernier, en demandant que le préavis de résiliation soit déclaré non valide dans son intégralité ou que sa portée soit limitée.
Décision du tribunal
Le tribunal a conclu qu'au titre de la loi sur le droit d'auteur de 1976 (titre 17 du Code des États-Unis d'Amérique, article 203), M. Willis disposait des droits et de la compétence nécessaires pour résilier unilatéralement ses transferts à l'éditeur, car il avait transféré ses intérêts en matière de droit d'auteur pour les 33 morceaux indépendamment de ses coauteurs.
Le tribunal a également conclu qu'"à compter de la date de résiliation, M. Willis récupérerait ce qu'il avait transféré, à savoir l'intégralité de ses intérêts indivis", malgré les conditions des contrats relatifs aux "transferts Willis". Il a décidé que si M. Willis était l'un des deux auteurs d'une composition donnée, il récupérerait la moitié des intérêts associés à celle-ci.
Reste à trancher une autre question encore plus importante sur la "paternité" de l'œuvre, plus précisément un désaccord concernant les personnes qui ont participé à la création des compositions avec M. Willis. Les crédits d'écriture avaient été établis alors que M. Willis ne disposait pas d'un véritable pouvoir de négociation. Il affirme que l'un des "auteurs" listés n'a en fait pas contribué à la création des compositions, et que M. Morali et lui étaient les seuls auteurs de nombre des compositions concernées par les "transferts Willis". À ce titre, il devrait récupérer la moitié des intérêts rattachés à ces dernières. Dans sa décision, le tribunal a mentionné ce désaccord mais comme cette question ne lui était pas directement soumise dans la plainte initiale, il a autorisé les éditeurs à modifier leur dossier. Le 5 juin 2012, les éditeurs ont déposé une plainte modifiée incluant ce désaccord. Si les allégations antérieures sur la copaternité et les crédits d'un prétendu troisième auteur sont considérés comme des questions de droit non soumises à examen, M. Willis devrait récupérer soit 50%, soit 33% des intérêts en matière de droit d'auteur associés aux compositions considérées.
L'affaire Willis soulève également un autre point important : la défense fondée sur l'œuvre créée dans le cadre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services initialement adoptée par les éditeurs, puis retirée. Dans l'affaire Community for Creative Non-Violence contre Reid, 490 US 730 (1989), la Cour suprême a énuméré de nombreux facteurs à prendre en compte pour déterminer si une œuvre a été créée dans le cadre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services au titre de la loi sur le droit d'auteur. Il faut notamment déterminer si la partie contractante était autorisée à contrôler la manière et les moyens utilisés pour créer le produit; identifier quelles étaient les compétences exigées; déterminer si la partie contractante avait le droit d'attribuer des projets supplémentaires au sous-traitant; évaluer la portée de la discrétion du sous-traitant quant à la période de déroulement du travail et sa durée; préciser le mode de rémunération; définir le rôle du sous-traitant dans l'embauche et la rémunération d'assistants; indiquer si des avantages étaient accordés aux employés et décrire le traitement fiscal du sous-traitant. Dans l'affaire Willis, aucun de ces facteurs n'a joué en faveur des éditeurs.
Si les compositeurs peuvent réfuter une allégation d'œuvre créée au titre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services, les tribunaux accorderont-ils du crédit aux maisons de disques qui adoptent ce type de défense lorsqu'un artiste interprète ou un producteur tente de résilier les transferts de droits sur des enregistrements sonores opérés après 1977? Une maison de disques pourrait présenter les arguments suivants :
- elle avance tous les coûts d'enregistrement afférents à la création de l'enregistrement sonore;
- elle a le droit d'accepter ou de rejeter les enregistrements originaux présentés par l'artiste interprète;
- elle peut sélectionner les studios d'enregistrement et les producteurs pour le projet; et
- elle fait appel à des auteurs pour créer des compositions musicales lorsque l'artiste interprète n'est pas compositeur.
En outre, les accords d'enregistrement visent généralement à "reconnaître" que les artistes travaillent au titre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services. De la même façon, les demandes d'enregistrement du droit d'auteur déposées par les maisons de disques précisent que les enregistrements sonores ou les originaux créés par les artistes interprètes sont des œuvres créées au titre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services.
De leur côté, les artistes interprètes pourraient présenter les arguments suivants :
- l'enregistrement de chansons requiert de nombreuses compétences et de la créativité;
- la date et le lieu d'enregistrement, souvent déterminés par les artistes interprètes, n'influent pas sur le produit fini;
- les artistes interprètes embauchent parfois leurs propres producteurs;
- les accords d'enregistrement types disposent que si l'artiste interprète n'est pas embauché au titre d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services, ses intérêts en matière de droit d'auteur sont cédés à la maison de disques;
- les artistes interprètes ne sont pas traités comme des employés, du point de vue de la fiscalité ou des avantages;
- en général, la maison de disques n'a pas le droit d'attribuer des projets supplémentaires à l'artiste interprète; et
- même si la maison de disques prend initialement en charge les coûts de production, elle peut les récupérer entièrement sur les redevances des artistes.
En outre, les artistes interprètes qui écrivent leurs propres chansons n'ont pas besoin de faire appel à une maison de disques pour les phases créatives de la production de disques.
L'avenir de la propriété et du contrôle des compositions musicales et enregistrements originaux créés depuis la fin des années 70 sera déterminé par l'évolution du débat sur les œuvres créées au titre de contrats de louage d'ouvrage ou de services qui se déroule au sein des tribunaux. Il est évident que la capacité des artistes interprètes et des compositeurs à récupérer leurs intérêts en matière de droit d'auteur aura une incidence considérable sur le mode d'exploitation commerciale de ces œuvres. Chaque décision supplémentaire aura des effets durables, à mesure que de nombreuses questions liées à la concession de licences, à l'administration et à la propriété seront examinées et éclaircies par les tribunaux. Ces décisions toucheront non seulement l'industrie du disque mais également, par leur application, les industries du livre et du film, qui sont tributaires de la création et de l'exploitation des œuvres protégées par le droit d'auteur.
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1. Caplan & Ross, LLP est un cabinet juridique situé à New York et spécialisé dans les litiges liés au secteur du divertissement et à la propriété intellectuelle.
2. Pour les transferts antérieurs à 1978, la loi sur le droit d’auteur a maintenu le système de période de renouvellement, mais en ajoutant 19 années de protection au titre du droit d’auteur à la période de renouvellement (cette période a depuis été prolongée). Elle octroie également aux auteurs un droit proportionné de résilier les transferts, 56 ans après que le droit d’auteur a été initialement obtenu. Ce droit de résiliation relatif à la “prolongation du droit d’auteur” est énoncé à l’article 304 du titre 17 du Code des États Unis d’Amérique et reflète largement les dispositions de l’article 203.
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