Artisanat thaïlandais : créer des marques pour des communautés locales
Par Francesca Toso, Secteur du développement, OMPI
(Photo: iStockphoto/ © enviromantic)
En Thaïlande, les communautés rurales ont ceci de particulier qu’elles regorgent d’artisans de grand talent, beaucoup d’entre eux riziculteurs à plein temps. Fruits d’un savoir‑faire ancestral, leurs créations leur apportent un précieux complément de revenus et constituent pour eux un important moyen de se prémunir contre les aléas de l’agriculture. Cela a notamment été le cas en 2011, année où nombre de ces communautés ont subi les pires inondations qu’ait connues la Thaïlande depuis des décennies, des inondations qui ont touché au total plus de 13 millions de personnes et contraint le gouvernement à décréter l’état de catastrophe dans 65 des 77 provinces du pays. Un revenu stable tiré de la vente de très bons produits artisanaux est, pour le monde rural, la promesse d’une plus grande sécurité financière.
Un projet du Plan d’action de l’OMPI pour le développement
En collaboration avec le gouvernement thaïlandais et l’institut universitaire de technologie King Mongkut de Thonburi (KMUTT), l’OMPI aide depuis 2010 trois communautés rurales à mettre à profit le système de la propriété intellectuelle pour accroître la valeur marchande et la viabilité commerciale de leurs produits artisanaux. Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’un projet innovant mené au titre du Plan d’action de l’OMPI pour le développement et destiné à favoriser le développement des entreprises locales grâce à la propriété intellectuelle et à la création de marques. Les produits artisanaux visés par ce projet incluent certains des produits les plus emblématiques du pays et reflètent l’étendue de la créativité des Thaïlandais ainsi que la profondeur des traditions locales et leur formidable potentiel commercial. Ils comprennent la fine vannerie de Bang Chao Cha, les étoffes de coton colorées du Mae Chaem et le somptueux brocart du Lampoon.
Tout comme les autorités thaïlandaises, les communautés concernées sont désireuses d’étendre leurs activités commerciales en augmentant la valeur marchande de leurs produits par une stratégie de création de marques efficace. “Nous opérons sur un marché mondial très compétitif inondé de produits similaires. Créer une marque qui véhicule pleinement l’origine d’un produit et sa qualité ainsi que le savoir‑faire et les matériaux locaux utilisés pour le fabriquer, sans oublier l’identité de l’artisan, est essentiel à l’obtention de produits plus concurrentiels et plus intéressants sur le plan du potentiel commercial “, constate Veeranan Nidlanuvong, directeur adjoint du département thaïlandais de la Promotion industrielle.
Spécialistes du droit de la propriété intellectuelle et associés de Rouse International, cabinet d’avocats de Bangkok experts dans le domaine, Fabrice Mattei et Akkharawit Kanjanaopas aident l’OMPI à mettre en œuvre le projet en Thaïlande. Ils ont commencé par évaluer les qualités et le potentiel commercial des produits pour déterminer la forme de protection de la propriété intellectuelle qui leur était la plus adaptée. Les deux spécialistes ont ensuite évalué les besoins en formation de chacune des communautés pour faire en sorte que les entreprises et institutions locales acquièrent une solide compréhension de la façon d’utiliser des signes distinctifs – marques collectives ou de certification et indications géographiques – à l’appui de leurs efforts de commercialisation de produits. Ces démarches ont constitué des pas importants vers la réalisation de l’objectif principal du projet, à savoir la création de conditions permettant à chacune des communautés visées d’accroître la valeur marchande et le potentiel commercial de leurs produits.
“Les communautés ne vont pas retirer la même chose [du projet de l’OMPI], car elles n’ont pas toutes les mêmes besoins, mais chacune d’entre elles sera au final mieux à même d’utiliser la propriété intellectuelle, indique M. Akkharawit. Nous espérons que chaque communauté aura tiré des enseignements de cette expérience et sera en mesure de continuer à mettre à profit la valeur de ses produits. Fait important, chaque communauté sera également en mesure de transmettre son patrimoine culturel, qui autrement aurait été perdu.”
La vannerie de Bang Chao Cha
Abritant les plus vastes zones de riziculture du pays, les plaines centrales de la Thaïlande offrent un paysage distinctif (parsemé de rizières, de petits lacs et de marécages alternant avec des forêts et des bambouseraies semi‑naturelles), dont est inspirée une grande partie de l’art et de la culture de la région. C’est dans ces plaines fertiles que se trouvent le village de Bang Chao Cha et ses vanniers, la plupart d’entre eux des femmes, qui fabriquent selon des techniques ancestrales divers objets finement tressés avec des tiges de bambou tels que des paniers, des sacs ou des plateaux. Des objets qui sont vendus dans toute la Thaïlande et également dans une certaine mesure à l’étranger. Travaillant ensemble au sein de la coopérative de vanniers du village, ces artisans sont très soucieux d’élargir leur gamme de produits et d’en maximiser la valeur marchande.
Art traditionnel de la vannerie à Bang Chao Cha
(Photo: Rouse & Co. International, Intellectual Property)
L’équipe en charge du projet de l’OMPI a commencé d’œuvrer à Bang Chao Cha en 2010, faisant découvrir le monde de la propriété intellectuelle aux vanniers et aux autorités locales. Elle a appelé leur attention sur la façon dont le dépôt de dessins et modèles industriels permettait de protéger les aspects esthétiques de produits de l’artisanat et dont le droit d’auteur protégeait les créations originales, ainsi que sur la façon dont les marques permettaient de distinguer des produits de ceux des concurrents et dont les indications géographiques pouvaient aider à véhiculer l’image de produits de qualité orientés vers un marché étroit. Forte de ces connaissances et désormais désireuse de renforcer ses activités, la coopérative de Bang Chao Cha a choisi de commencer à développer une marque collective, premier pas important vers la distinction de ses produits de ceux de la concurrence.
Perpétuer les techniques et les savoir‑faire traditionnels mis à l’œuvre dans la fabrication locale de produits constitue pour les artisans un défi de tous les instants, plus difficile encore à relever du fait de la nécessité d’innover pour satisfaire les goûts en évolution constante des consommateurs. Conscients de cette réalité, des enseignants et des étudiants du KMUTT ont travaillé en étroite collaboration avec les vanniers de Bang Chao Cha, jeunes et moins jeunes, à la mise au point de dessins et modèles de produits traditionnels innovants.
“Des étudiants en design ont travaillé avec les élèves de l’école locale à monopoliser leur capacité à innover”, explique Nanthana Boonla‑or, enseignante à l’école d’architecture et de design du KMUTT. “L’expérience a été très fructueuse, constate‑t‑elle, et montre les nombreux bénéfices que peut apporter une collaboration étroite entre l’université et la collectivité.”
“Nous nous sommes inspirés des paniers à riz en bambou et des pièges à poissons utilisés dans l’ancien temps et nous avons créé de nouveaux produits et modèles. Si nous essayons de conserver les caractéristiques traditionnelles des objets, nous jouons aussi avec l’idée de leur faire adopter de nouvelles fonctions, proportions et couleurs”, indique Wanas, qui fait partie des étudiants du KMUTT travaillant avec les vanniers.
Cela fait maintenant deux ans que l’OMPI et ses partenaires collaborent avec la coopérative de vanniers sur des questions de propriété intellectuelle et de développement de l’activité économique, une collaboration ayant permis la création de la marque collective “Vannerie de Bang Chao Cha”, qui n’a aujourd’hui plus qu’à être enregistrée au nom des autorités du district auprès du Département thaïlandais de la propriété intellectuelle.
Les étoffes colorées du Mae Chaem
Teenchok en cours de tissage par des femmes
du Mae Chaem
Dessin et couleurs typiques du teenchok du Mae Chaem
(Photos: Rouse & Co. International, Intellectual Property)
Si l’agriculture constitue le principal moyen de subsistance dans le Mae Chaem, district rural du nord de la province de Chiang Mai, les étoffes tissées y représentent une précieuse deuxième source de revenus. Ornées de caractéristiques motifs d’animaux, de plantes ou de fleurs et colorées à l’aide de teintures naturelles, ces étoffes typiques de la région reflètent la relation étroite qu’entretiennent les habitants avec la nature.
Connues sous le nom de “teenchok”, ces étoffes font en outre partie intégrante de la vie des femmes du Mae Chaem. “Dans le Mae Chaem, nous tissons du teenchok pour notre propre usage et pour la vente”, indique Kaysorn Kannyka, gérante de la coopérative locale de tissage. “Chaque teenchok est unique car dépendant de la couleur des fils de coton choisis et du dessin original créé”, explique‑t‑elle. En tissant tous les jours, les femmes pourraient réaliser environ deux pièces de teenchok par mois, mais le principal moyen de subsistance qu’est l’agriculture réclamant l’essentiel de leur temps, il leur faut en général un mois pour tisser un seul teenchok.
Mesurant les avantages de la propriété intellectuelle, la coopérative avait déjà pris des dispositions destinées à faire enregistrer une indication géographique pour ses produits. L’équipe en charge du projet de l’OMPI l’a aidée à achever ce processus en la guidant et en la conseillant au sujet du code de bonnes pratiques et des exigences en matière de traçabilité garantissant l’origine des produits du Mae Chaem et leur conformité avec les normes de production admises. Ces démarches importantes ont permis l’enregistrement en Thaïlande de l’indication géographique “Mae Chaem” pour le teenchok.
“Les caractéristiques propres au teenchok du Mae Chaem (qualité du textile et méthodes de production traditionnelles) sont telles qu’une stratégie de commercialisation s’appuyant sur l’enregistrement d’une indication géographique est la meilleure voie à suivre. Cette stratégie permettra la différenciation des étoffes du Mae Chaem d’étoffes similaires tissées ailleurs, explique M. Akkharawit. L’indication géographique “Mae Chaem” permet de raconter l’histoire de son teenchok, à savoir celle d’artisans de grand talent qui consacrent un temps et une énergie considérables au tissage de leurs propres variations de 16 dessins traditionnels, ayant tous une signification différente, pour créer des étoffes uniques. Avec une indication géographique enregistrée, ces artisans peuvent commencer à se forger une réputation de producteurs de produits caractéristiques de qualité, à s’emparer d’un créneau commercial et à exiger des prix plus élevés pour leurs produits.”
Les membres de la coopérative du Mae Chaem ne sont nullement décontenancés par la rigueur et la discipline auxquelles ils sont tenus pour satisfaire aux strictes normes de production qu’exige l’obtention de la protection par une indication géographique. Elles représentent pour eux un petit prix à payer pour consolider la réputation de leurs produits et renforcer les perspectives de meilleurs revenus. “Le projet nous a non seulement permis d’être fiers de nous‑mêmes et de notre culture, mais aussi d’améliorer la qualité de nos produits. Aujourd’hui, nous sommes en effet à même de mieux les positionner sur le marché et de traiter avec un groupe d’acheteurs plus fiable. Cela contribue à renchérir le prix du teenchok et à améliorer les retombées économiques pour la collectivité”, constate M. Panya de l’office de concession de licences de technologie et pépinière d’entreprises de l’Université de Chiang Mai.
Le brocart du Lampoon
Connu sous le nom de “Yok Dok du Lampoon”, le tissu raffiné que constitue le délicat brocart produit dans le nord de la province du Lampoon est issu de la tradition de la soie royale thaïlandaise. Précieuse étoffe portée par la haute société thaïlandaise, le brocart du Lampoon est, en Thaïlande, déjà protégé par une indication géographique.
La fabrication du brocart du Lampoon jouit du
mécénat de la reine Sirikit de Thaïlande (Photo:
Rouse & Co. International, Intellectual Property)
“L’indication géographique contribue à limiter la production de Yok Dok du Lampoon à la seule province du Lampoon”, indique Pornraveed Poohareaon, chef adjoint des autorités locales. “Non seulement elle protège les intérêts des producteurs, mais elle contribue aussi à assurer la qualité des produits. L’étiquette portant l’indication géographique fournit des informations sur les caractéristiques du tissu, y compris son dessin, précise le nom du tisseur et est dotée d’un numéro d’identification unique visant à garantir la traçabilité.”
Dans le Lampoon, le rôle de l’équipe de l’OMPI a été de conseiller les producteurs sur les façons de mettre encore davantage à profit l’indication géographique dont bénéficie leur produit en s’attachant tout particulièrement à mettre au point des stratégies de vente et à identifier de potentiels acheteurs et distributeurs. L’équipe de l’OMPI a en outre prêté son concours à la participation des producteurs à un projet financé par l’Union européenne, pour lequel ils ont accepté que le brocart protégé par l’indication géographique soit soumis à un processus de certification par une tierce partie visant à en garantir l’originalité, la traçabilité et la qualité. Un processus qui non seulement a débouché sur une seconde validation des contrôles de qualité stricts effectués par les producteurs, mais a aussi permis un renforcement de leur marque et du potentiel d’exportation de leur produit.
Que les communautés visées aient voulu que leurs produits bénéficient d’une plus grande visibilité sur les marchés d’exportation ou qu’ils deviennent bien connus en Thaïlande, le projet de l’OMPI concernant la propriété intellectuelle et la création de marques de produits aux fins de développement des entreprises a contribué pour beaucoup à la sensibilisation de ces communautés à la propriété intellectuelle et a ouvert la voie leur permettant de commercialiser plus efficacement leurs produits. “Les stratégies de création de marques que nous avons mises en place permettent d’étendre les activités à des marchés d’exportation où les acheteurs étrangers peuvent découvrir ces produits, leur origine et les traditions qui leur sont associées”, note M. Akkharawit.
La mise au point d’une stratégie efficace en matière de propriété intellectuelle constitue un aspect essentiel du processus de commercialisation, même si elle n’est qu’une première étape. Au cours de la période de mise en œuvre du projet restante, soit jusqu’à mi‑2013, l’équipe travaillera donc avec les communautés visées à mettre au point des stratégies efficaces en matière de vente et de distribution. Si les conseils qu’elle leur fournira sont extrêmement précieux, la réussite du projet dépendra en définitive largement de l’allant et de l’esprit d’entreprise des producteurs eux‑mêmes. “Ce sera aux communautés elles‑mêmes de mener le processus et de se fixer leurs propres objectifs pour l’avenir”, indique M. Akkharawit. C’est entre leurs mains qu’est non seulement le sort du “fait artisanalement en Thaïlande”, de ses marques distinctives et du savoir‑faire ancestral auquel il fait appel, mais aussi la perspective d’un élargissement des activités pour les générations futures.
Liens
- Thaïlande - Construire des images de marque, valoriser les communautés [vidéo sur YouTube]
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