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De la nécessité de mettre à jour les droits de propriété intellectuelle des organismes de radiodiffusion – Une perspective asiatique

Juin 2013

By John Medeiros, Conseiller principal en politique, Cable and Satellite Broadcasting Association of Asia (CASBAA)

Je vous propose une expérience : sortez votre téléphone intelligent de votre poche et observez-le. Imaginez à présent que les règles concernant la fabrication et l’utilisation de ce type d’appareil soient les mêmes aujourd’hui que celles qui étaient en vigueur il y a 50 ans. Impossible me direz-vous : il y a 50 ans, les mobiles n’existaient pas! Effectivement, il fallut attendre le début des années 70 pour que les premiers téléphones portables soient proposés à des abonnés. Le premier satellite commercial de télécommunications fut lancé en 1962 et la transmission par satellite de programmes de télévision directement vers les foyers remonte à la fin des années 80. En outre, dans les années 60, nul n’aurait pu imaginer l’avènement de l’Internet.

Ainsi, lorsque le traité international toujours en vigueur qui régit les aspects de propriété intellectuelle touchant aux émissions, à savoir la Convention de Rome sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, fut conclu en 1961, nul ne pouvait prévoir l’évolution du secteur de la radiodiffusion à l’échelle mondiale – ni les multiples stratagèmes employés pour s’emparer de programmes et en faire un usage abusif sans l’autorisation des organismes de radiodiffusion. La Convention de Rome jeta les bases de la protection des droits de propriété intellectuelle des radiodiffuseurs au niveau international à une époque marquée par la diffusion de programmes analogiques, en noir et blanc, à l’intérieur de pays aux frontières fermées. Or, cette époque est depuis longtemps révolue, ce qui explique pourquoi le système de protection des droits des organismes de radiodiffusion prévu au titre de traités doit absolument être actualisé.


(Photo: istockphoto Jitalia17)

Les organismes de radiodiffusion d’Asie, comme de nombreux autres dans le monde, pensent qu’il est de plus en plus urgent d’agir car les méthodes employées pour détourner les signaux de radiodiffusion et les envoyer en un éclair sur l’ensemble de la planète – ce qui entraîne la contamination des marchés et porte atteinte aux intérêts des radiodiffuseurs, des industries de la création et des gouvernements – sont sans cesse renouvelées. La consommation télévisuelle connaît actuellement un essor fulgurant en Asie, un nombre croissant de personnes se connectant à des réseaux toujours plus nombreux et consommant davantage d’émissions. Or, si cet essor repose sur les flux radiodiffusés, les radiodiffuseurs qui financent, génèrent et rassemblent ces flux n’ont pas d’autre choix que d’assister, impuissants, à la retransmission par des tiers de leurs propres programmes – en direct ou en différé, grâce à diverses techniques – sans leur autorisation et sans percevoir de rémunération en contrepartie.

Le détournement de signaux : une pratique courante

Si les méthodes “traditionnellement” utilisées jusqu’ici pour détourner des signaux radiodiffusés étaient déjà condamnables – par exemple lorsque des câblo-opérateurs interceptaient des émissions par satellite destinées à des abonnés payants résidant à l’étranger pour les distribuer à leurs propres clients en réalisant un profit – le vol de signaux se fait désormais selon une multitude de façons.

Aujourd’hui, il n’est pas inhabituel, par exemple, de rencontrer dans le métro de Singapour des voyageurs en train de regarder en direct sur leur portable une série diffusée en République de Corée rendue accessible par des sites pirates. On trouve également dans la RAS de Hong Kong des séries et autres films hollywoodiens transmis vers des téléphones portables vietnamiens. De même, des fictions malaises sont retransmises dans le pays voisin, en Indonésie, sans qu’aucune rémunération ne soit versée aux organismes de radiodiffusion malais à l’origine du contenu.

Les œuvres isolées ne sont pas les seules à être téléchargées et stockées sur des “cyberlockers” (des sites de stockage et de partage de fichiers) en vue d’un téléchargement de masse ultérieur. Des flux entiers d’émissions radiodiffusées sont désormais piratés puis retransmis par le biais de réseaux d’un nouveau type nés de la multiplication des connexions à haut débit dans le monde et à l’essor de la “télévision sur le Web”, autant de dispositifs qui permettent de se procurer bien plus facilement des programmes piratés et de les visionner.

Obtenir une protection juridique : un véritable défi

Dans de nombreux pays, les régimes juridiques fondés sur les normes minimales énoncées dans la Convention de Rome permettent difficilement, voire pas du tout, aux organismes de radiodiffusion de protéger leurs flux de programmes. Les radiodiffuseurs en tant que tels ne pouvant bénéficier d’une protection dans ces pays, tout recours en justice dépend non pas de l’organisme de radiodiffusion local mais du studio de cinéma, du producteur de série, du créateur de documentaire historique ou de la ligue sportive situé(e) très loin de là qui est titulaire du droit d’auteur initial sur le contenu en question. Force est de reconnaître que dépendre de tiers pour faire valoir ce qui devrait revenir de droit aux réalisateurs de programmes d’Asie n’est ni correct, ni viable sur le plan commercial.

“Les réseaux de pirates multinationaux ont une telle capacité à s’emparer de flux d’émissions pour les diffuser en toute impunité dans le monde entier qu’ils privent les radiodiffuseurs des pays en développement de marchés réels ou potentiels."

Parallèlement, un nombre sans cesse croissant de sites Web se contentent de s’emparer de programmes transmis par satellite ou d’émissions numériques gratuites pour les retransmettre sur Internet. En règle générale, ces sites Web sont hébergés dans des pays ne bénéficiant que d’une faible protection des droits de propriété intellectuelle mais ils prennent pour cible un public situé à l’étranger, ce qui signifie qu’ils sont manifestement créés à des fins commerciales. Les programmes subtilisés servent à étayer tout un éventail de modèles d’entreprise différents. Ainsi, certains opérateurs en ligne diffusent des émissions piratées dans le seul but de générer un gros volume de pages consultées et de recettes publicitaires sur leur site.  D’autres cherchent à doper leurs ventes de matériel et proposent des dispositifs “connectés” permettant aux consommateurs de visionner les contenus piratés. D’autres enfin, de plus en plus nombreux, tentent de tirer profit des contenus en facturant des frais d’inscription. Ce faisant, ils font concurrence aux organismes de radiodiffusion légitimes et réduisent la capacité de jeunes entreprises du secteur technologique à être compétitives à l’intérieur du système juridique en place.

Une jeune pousse de ce type a récemment fait faillite au Japon. Son activité consistait à vendre des émissions de divertissement indiennes à des Indiens résidant au Japon qui avaient à la fois les ressources nécessaires et la volonté d’assouvir leur soif de programmes nationaux, ce qui aurait dû assurer le succès de cette entreprise. Mais c’était sans compter sur la concurrence de sites Web basés dans des pays voisins qui se servaient de complices en Inde pour voler des programmes sans l’autorisation du radiodiffuseur avant de les retransmettre au Japon à un tarif nettement inférieur. Ils ont agi comme des sangsues, se nourrissant de l’énergie créatrice des producteurs légitimes situés en Inde.

L’impact considérable du vol de propriété intellectuelle

 

Ce type de vol de propriété intellectuelle porte préjudice à de grands organismes de radiodiffusion qui cherchent à amortir les coûts d’investissement liés à la réalisation des émissions en demandant des frais d’abonnement. Il porte également atteinte aux organismes de radiodiffusion gratuite qui voient leurs recettes publicitaires détournées par les pirates du Web. Les gouvernements sont également pénalisés en termes de recettes fiscales car les pirates sont généralement basés à l’étranger et échappent à toute imposition.

Dans le monde interconnecté qui est le nôtre, même les organismes de radiodiffusion publics cherchent à accroître leurs recettes en vendant leurs flux de programmes à l’extérieur de leur marché national. Ainsi, en Asie, des radiodiffuseurs publics de pays aussi divers que la Chine, l’Inde, le Japon, les Philippines, la République de Corée, la Thaïlande ou le Viet Nam tentent de générer des revenus en s’adressant à leurs concitoyens à l’étranger (qu’ils résident en Australie, en Amérique du Nord ou en Europe) mais leur tâche est de plus en plus ardue compte tenu des flux d’émissions déjà retransmis par des pirates présents sur le Web.

Comble de l’ironie, et il faut y voir un grand facteur d’inquiétude, l’élargissement de l’accès à la connectivité haut débit dans le monde devrait favoriser les échanges culturels à l’échelle mondiale et améliorer les exportations de biens culturels des pays en développement. Or, c’est l’inverse qui se produit. Grâce à leur richesse économique et aux affinités socioculturelles qu’ils présentent, ces marchés devraient constituer un terrain propice à la vente de produits culturels nationaux. Or, les réseaux de pirates multinationaux ont une telle capacité à s’emparer de flux d’émissions pour les diffuser en toute impunité dans le monde entier qu’ils privent les radiodiffuseurs des pays en développement de marchés réels ou potentiels.

Qui plus est, dans la plupart des pays en développement, les organismes de radiodiffusion comptent aussi dans leurs rangs de grands producteurs de contenus autochtones, ce qui signifie que dans les pays pauvres, le piratage dépouille chaque jour un peu plus l’économie de la création de ses ressources. La création culturelle nationale en pâtit et, dans les pays où le gouvernement décide de consacrer ses maigres ressources à la promotion des exportations de produits culturels, du fait de la multiplication des nouvelles formes de piratage, le Trésor public de ces pays en développement court le risque de subventionner de riches consommateurs de contenus nationaux résidant à l’étranger, alors même que les flux devraient aller en sens inverse.

Pour toutes ces raisons, l’industrie internationale de la radiodiffusion – dans toute sa diversité sur les plans commercial, technique et culturel – espère vivement que les gouvernements accéléreront la conclusion d’un traité pour protéger les droits des organismes de radiodiffusion en ce XXIe siècle.

 

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