Au tribunal: Monsanto contre Bowman : la Cour suprême confirme les droits du détenteur du brevet
Par Theresa M. Bevilacqua, partenaire et Kristin Stastny, associée, Dorsey et Whitney LLP, Minneapolis, États-Unis d’Amérique
Le 13 mai 2013, la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a rendu sa décision concernant l’affaire Bowman c. Monsanto Co., affaire n° 11-796. Par sa décision unanime, la Cour a montré qu’elle défend fermement la protection de la propriété intellectuelle dans le domaine de la biotechnologie agricole.
En cause dans cette affaire, le soja Roundup Ready breveté par Monsanto, une variété génétiquement modifiée afin de résister à l’herbicide glyphosate, connu sous le nom de Roundup. Monsanto, en tant qu’inventeur du soja Roundup Ready et détenteur du brevet le concernant, vend les semences dans le cadre d’un accord de licence qui autorise les agriculteurs à planter ces graines uniquement pour une saison de végétation. Les producteurs peuvent ensuite vendre ou consommer la récolte, mais n’ont pas le droit de la replanter.
(Photo: istockphoto franckreporter)
Pour sa première récolte de la saison, Vernon Bowman, agriculteur dans l’Indiana, a acheté des semences de soja Roundup Ready à une entreprise associée à Monsanto. Conformément à l’accord de licence, Bowman a planté toutes les semences, puis vendu les graines récoltées à un silo, qui revend généralement la récolte à un transformateur agricole en vue de la consommation animale ou humaine. Pour son deuxième semis, en fin de saison donc plus risqué, Bowman a acheté des semences de soja “tout-venant”, considérablement moins chères (des graines récoltées qui ont été amenées à un silo et mélangées avec d’autres graines de soja du même type, de même variété et qualité).
Bowman a acheté ces semences de soja tout-venant destinées à la consommation animale ou humaine à un silo et les a plantées dans ses champs. Comme ces graines étaient essentiellement issues de plantations de soja Roundup Ready, une grande partie des semences plantées par Bowman contenaient la modification Roundup Ready. Bowman a ensuite traité ses champs avec un herbicide à base de glyphosate afin de déterminer quelles plantes disposaient de la modification Roundup Ready, puis a conservé les graines de sa récolte pour les replanter l’année suivante.
Les tribunaux rejettent les arguments invoqués en défense par l’agriculteur
Bowman a répété cette pratique pendant huit saisons de végétation, jusqu’à ce que Monsanto s’en rende compte et intente une action en atteinte de brevet devant le tribunal de district. Bowman a alors invoqué l’épuisement des droits du brevet, qui autorise l’acheteur d’un article breveté et tout titulaire ultérieur à utiliser et revendre l’article en question, mais ne lui permet pas d’en faire de nouvelles copies. Le tribunal de district a rejeté cet argument, décision confirmée par la Cour de circuit fédérale, car l’épuisement des droits de brevet ne protège pas Bowman, qui a “recréé un article sans en avoir le droit”. Bowman, 657 F. 3d 1341 (Fed. Cir. 2011).
Dans sa décision, la Cour suprême a confirmé que tout agriculteur qui achète des semences brevetées n’est pas autorisé à les multiplier en les replantant après la récolte sans l’autorisation du détenteur du brevet. Comme la Cour l’a fait remarquer, sans cette interdiction, un brevet d’invention n’aurait que peu d’intérêt. “Si le fait de copier n’était pas réglementé, un brevet verrait sa valeur dégringoler après la vente du premier article contenant l’invention. Par conséquent, l’innovation ne serait pas autant stimulée que le souhaite le Congrès.” Bowman c. Monsanto, p. 8.
L’épuisement des droits du brevet n’est pas applicable
La doctrine de l’épuisement des droits de brevet “restreint le droit de contrôle que peut exercer un détenteur sur ce qui peut être fait avec un objet représentant ou contenant une invention. Elle établit que la vente autorisée initiale d’un objet breveté met fin à tous les droits de brevet relatifs à cet objet”. Id. p. 4. Toutefois, la doctrine “limite les droits du titulaire uniquement dans le domaine de la vente de l’objet en question, ne traitant pas de la possibilité du détenteur d’empêcher un acheteur de produire des copies de l’objet breveté”. Id. p. 5. En appliquant cette doctrine à la présente affaire, la Cour a conclu que : “selon la doctrine relative à l’épuisement des droits du brevet, Bowman pouvait revendre le soja breveté acheté à un silo et que par conséquent, il pouvait également consommer les graines ou les utiliser pour nourrir ses animaux. Bien que détenteur du brevet, Monsanto n’avait pas son mot à dire concernant ces utilisations du soja Roundup Ready. En revanche, la doctrine relative à l’épuisement des droits du brevet n’autorise pas Bowman à multiplier du soja breveté sans l’autorisation de Monsanto”. Id.
La Cour a également rejeté l’argument selon lequel cette décision empêcherait les agriculteurs de faire un usage approprié des semences Roundup Ready qu’ils acquièrent. Dorsey client CHS, une coopérative qui gère des silos dans 16 états a présenté un mémoire d’amicus curiae indiquant que la pratique de Bowman consistant à acheter du soja tout-venant n’est pas courante et provoque d’autres problèmes pour l’agriculteur, les gestionnaires de silos et les entreprises semencières. La Cour a rappelé que la pratique de Bowman d’acheter du soja à un silo pour planter une nouvelle récolte n’est pas monnaie courante parmi les agriculteurs. “En règle générale, quand un agriculteur achète des graines Roundup Ready en tant que semences (autrement dit pour une nouvelle récolte), il les sème.” Id. p. 9.
Décision à portée restreinte, mais de grande importance
Même si, comme l’a souligné le juge Kagan au nom de la Cour, la portée de la décision est restreinte, les conséquences pour la biotechnologie agricole sont importantes. La présente décision clarifie l’application du droit des brevets dans le domaine particulier des récoltes biotechnologiques, dans lequel la technologie brevetée se multiplie naturellement. En vertu de la décision de la Cour, la règle de l’épuisement des droits du brevet, qui s’applique uniquement à l’article vendu (et pas aux reproductions), vaut également pour les semences brevetées qui se reproduisent naturellement.
L’entier de la décision de la Cour suprême est disponible en anglais.
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