Sonder l’innovation : la voie choisie par les Philippines
Par Andrew Michael Ong, ancien vice-directeur général en charge des politiques, des relations internationales et des questions juridiques de l’Office de propriété intellectuelle des Philippines
Alors que l’économie des Philippines figure parmi les plus dynamiques de la planète, avec un taux de croissance de 6,6% en 2012, l’archipel a toutes les chances de parvenir à se défaire enfin de son image de “pays malade de l’Asie”. Fort d’une solide consommation intérieure qui alimente sa croissance et d’un secteur de l’industrie et des services revigoré suite à la mise en place de réformes et de mesures anticorruption, le pays est désormais prêt à montrer de quoi il est capable sur le plan économique. Pour ce faire, les responsables de l’élaboration des politiques vont devoir s’employer à instaurer un cadre juridique, des institutions et des systèmes destinés à soutenir l’innovation et le développement technologique tandis que les entreprises s’attacheront à passer du statut de consommatrices de technologies à celui de conceptrices de technologies en exploitant leurs capacités de recherche-développement pour proposer des produits et des services de qualité, innovants et porteurs de valeur ajoutée.
Tirer un avantage maximum de l’information en matière de brevets
Utilisé de manière stratégique à des fins de développement, le système des brevets a un rôle majeur à jouer en termes de soutien de l’innovation et de la croissance économique. Grâce à la reconnaissance et à la rétribution qu’ils procurent aux inventeurs, les brevets incitent non seulement à poursuivre les investissements dans le domaine de la recherche et du développement technologique mais ils servent aussi d’instruments de diffusion du savoir technologique. En effet, tout inventeur déposant une demande de protection par brevet est tenu d’expliquer comment fonctionne son invention, si bien que cette “obligation de divulgation” fait des brevets une mine d’informations techniques.
Qui plus est, les brevets ont également le pouvoir de transformer de précieux savoirs en droits de propriété négociables et celui de servir de point de départ, par exemple, à l’établissement de contrats de licence de technologie permettant de faciliter les transactions technologiques entre de multiples partenaires et de réduire les risques d’appropriation illicite ou d’atteinte aux droits. Nombreux sont les pays qui tirent parti des licences de technologie pour accéder à un savoir-faire existant à l’étranger dans le but de renforcer leurs capacités industrielles et de production nationales. Rien ne s’oppose, du moins en théorie, à ce que les Philippines tirent elles aussi parti du système des brevets en agissant de même.
Sensibiliser à la propriété intellectuelle : une priorité
En pratique cependant, les entreprises philippines se révèlent peu informées de la façon dont une utilisation stratégique des brevets peut stimuler l’innovation et permettre d’obtenir un avantage concurrentiel. Les statistiques relatives aux dépôts de demandes de brevet au niveau national témoignent effectivement d’un manque de sensibilisation à la propriété intellectuelle, et ce même parmi les experts en technologie et les dirigeants d’entreprise. Depuis la promulgation du Code de la propriété intellectuelle des Philippines (Loi de la République n° 8293) en 1984, on constate ainsi que le nombre de demandes de brevet déposées par des résidents est resté très faible puisqu’il n’a représenté que de 3 à 5% du nombre annuel total des demandes (voir figure 1). Manifestement, il existe donc un vaste potentiel encore inexploité que l’industrie pourrait mettre à profit en utilisant les brevets pour renforcer les activités de recherche-développement et créer un climat propice à l’innovation.
Soucieux de stimuler l’utilisation du système des brevets dans la communauté des entreprises philippines et de sensibiliser à la valeur stratégique des brevets, l’Office philippin de la propriété intellectuelle (l’IPOPHL, l’organisme d’État chargé de promouvoir l’utilisation de la propriété intellectuelle au service du développement économique national) a recentré ses activités. Depuis 2010, il s’est donné pour priorité absolue d’expliquer les avantages de la propriété intellectuelle et comment la mettre à profit pour contribuer à la réalisation des objectifs de développement du pays.
Cette nouvelle approche de la part de l’IPOPHL interpelle le milieu national de la propriété intellectuelle et éveille également l’attention de nouveaux cercles, dont certains n’avaient jamais pensé que la propriété intellectuelle pouvait les concerner. Toute la difficulté consiste à présent à transmettre le savoir-faire et les outils nécessaires pour que ces nouvelles parties prenantes puissent mettre le système de propriété intellectuelle au service de leurs intérêts. Renforcer les connaissances et les compétences requises pour effectuer des recherches et exploiter l’information en matière de brevets semblait un point de départ idéal pour donner les moyens à de nouveaux utilisateurs d’apporter une valeur ajoutée à leur travail et d’en tirer profit.
Un meilleur accès à l’information en matière de brevets grâce aux techniques numériques
Dans le passé, rechercher de l’information en matière de brevets revenait à “chercher une aiguille dans une botte de foin” : l’opération était à la fois longue, difficile et coûteuse. Aujourd’hui, la plus grande interopérabilité des plates-formes informatiques et la facilité avec laquelle il est possible de télécharger et de transmettre des données numérisées sur Internet améliorent la fluidité de l’information, y compris dans le domaine des brevets. Ces évolutions combinées à la mise à disposition de bases de données et de moteurs de recherche élaborés et puissants permettent aux chercheurs, aux inventeurs et aux entrepreneurs d’accéder bien plus rapidement aux informations techniques figurant dans les documents de brevet. Ces renseignements sont très utiles en termes de veille stratégique et de connaissance des marchés et sont de plus en plus souvent exploités pour informer et sensibiliser les parties prenantes de différentes organisations et différents pays. Ils servent par exemple de matière première pour dresser des “panoramas” de la technique et donner un aperçu de la densité relative de la recherche dans des domaines techniques particuliers, apportant ainsi des éclairages précieux susceptibles d’influer sur les décisions en matière de recherche et d’investissement. En somme, grâce aux techniques numériques, il est désormais possible de puiser dans l’immense réserve mondiale de documents de brevet et d’exploiter la mine de renseignements scientifiques et techniques qu’ils renferment.
Favoriser la création de propriété intellectuelle
Conscient des multiples avantages liés à la possibilité d’accéder à l’information en matière de brevets et de la rechercher, l’IPOPHL a élaboré un projet de création de bureaux d’appui à l’innovation et à la technologie. Ce projet a été lancé en 2010, parallèlement à l’initiative CATI de l’OMPI visant à mettre en place des centres d’appui à la technologie et à l’innovation dans les offices de propriété intellectuelle des États membres pour encourager un plus large éventail de milieux intéressés à recourir de manière plus active et généralisée à l’information en matière de brevets.
L’objectif était d’intégrer des centres de services d’information en matière de brevets dans les universités du pays pour favoriser la création de propriété intellectuelle en incitant les industries locales à tirer parti des informations scientifiques et techniques figurant dans les bases de données en matière de brevets et en aidant les chercheurs à utiliser l’information en matière de brevets dans le cadre de leurs travaux. Les universités et les institutions d’enseignement supérieur offrant un vaste vivier de professionnels compétents et étant réparties dans tout le pays, il est logique de créer des bureaux d’appui à l’innovation et à la technologie dans ce type d’établissement.
Au titre de ce projet, chaque bureau d’appui à l’innovation et à la technologie offre sur demande aux entreprises locales des services d’information en matière de brevets à un prix abordable et aide à encourager la collaboration entre les universités et le milieu de l’industrie en faveur de l’innovation. Dans certains cas, ces bureaux proposent également de brèves formations à l’intention des membres du corps enseignant et participent à la conception de matériel pédagogique sur la propriété intellectuelle dans le cadre de programmes universitaires. Si une université ne dispose pas de bureau de transfert de technologie, ils peuvent également apporter leur concours en matière de rédaction de demandes de brevet, de procédure d’examen ou de commercialisation d’une technique.
Les obstacles à surmonter
Parvenir à ce que les universités adhèrent à ce concept et obtenir un engagement financier à long terme de leur part s’est néanmoins révélé complexe. Trouver des enseignants prêts à suivre une formation pour travailler dans un bureau d’appui à l’innovation et à la technologie n’a pas non plus été chose aisée. À l’image de leurs homologues dans le milieu de l’industrie, de nombreux enseignants n’avaient pas conscience de l’intérêt de l’information relative aux brevets dans le cadre de leurs activités, ni des avantages potentiels du brevetage de leurs travaux de recherche. Obnubilés par l’idée de “publier ou périr”, nombre d’entre eux n’envisageaient même pas la possibilité d’assurer la protection de leur invention par brevet avant de la publier. Faire évoluer cette mentalité profondément enracinée fut un travail de longue haleine.
Le franchisage : un moyen d’assurer la viabilité financière du projet
Au terme de près d’une année de tournée visant à présenter les avantages du projet au monde universitaire, un premier groupe de 29 établissements signa un accord initial sur deux ans prévoyant la création et la gestion d’un bureau d’appui à l’innovation et à la technologie sur leurs campus respectifs. Ce faisant, ils s’engageaient également à conclure un contrat de franchise avec l’IPOPHL en vertu duquel ces bureaux seraient gérés sous forme d’entités financièrement autonomes constituant un réseau de franchisés au niveau national.
Face à une pénurie chronique de ressources, l’IPOPHL estima que le système de franchisage était la seule solution réaliste pour assurer la viabilité à long terme des bureaux d’appui à l’innovation et à la technologie et préserver leur rôle clé en ce qui concerne la mise en place des conditions nécessaires à l’innovation. Au titre de ce système, les bureaux sont censés atteindre leur autonomie financière à l’issue d’une période de deux ans durant laquelle ils bénéficient d’un soutien de l’État. L’établissement hôte assure la direction du bureau et tire ses revenus des services qu’il procure au monde de l’industrie. Chaque bureau relève néanmoins d’un système de franchise, ce qui permet de mettre les ressources en commun, de garantir des niveaux de qualité élevés et d’appliquer des procédures uniformes sous l’égide d’une autorité centrale. En sa qualité de franchiseur, l’IPOPHL définit les règlements et les lignes directrices régissant les activités des bureaux et apporte un soutien technique, notamment en ce qui concerne la négociation de conditions préférentielles permettant aux bureaux d’utiliser des bases de données sur les brevets exclusives.
Lors du forum sur l’accès à la technologie pour l’innovation organisé par l’IPOPHL en mars 2012, le Directeur général de l’OMPI, M. Francis Gurry, a indiqué que “le système des brevets constitue le registre le plus complet, le plus systématique et le plus accessible des technologies créées par l’homme”. Le programme de création de bureaux d’appui à l’innovation et à la technologie de l’IPOPHL sert de clé permettant aux entreprises et aux chercheurs des Philippines d’accéder à cette mine d’informations dans l’intérêt du progrès scientifique et technique et au profit de la réalisation des objectifs de développement économique à long terme du pays. À ce jour, quelque 50 bureaux ont vu le jour et de nombreuses autres universités ont hâte de prendre part au projet.
S’il est encore trop tôt pour évaluer le succès du système de franchise de l’IPOPHL, le projet de bureaux d’appui à l’innovation et à la technologie a d’ores et déjà entraîné une modification du comportement des universitaires à l’égard des brevets. Dans ce milieu, l’information relative aux brevets est désormais largement reconnue comme une précieuse source de renseignements techniques et les chercheurs sont plus enclins à envisager la possibilité de faire breveter leurs travaux. Ce changement d’attitude devrait bientôt avoir des retombées tangibles et positives sur le paysage industriel et les perspectives commerciales du pays.
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