Anthony Atala : Des pièces de rechange humaines pour demain?
Imaginez un monde dans lequel il serait possible de commander une pièce de rechange pour une partie malade ou dysfonctionnelle de notre corps – un monde dans lequel les médecins pourraient guérir les maladies graves ou chroniques au lieu de simplement les gérer. Se pourrait-il que cela devienne un jour une réalité? Un pionnier de la médecine régénérative, Anthony Atala, directeur de l’Institut de médecine régénérative Wake Forest, titulaire de la chaire W.H. Boyce et président du département d’urologie du Centre médical baptiste Wake Forest, répond par l’affirmative.
Toutes les 30 secondes, un patient meurt d’une maladie que le remplacement d’un tissu aurait permis de traiter.
Le docteur Atala est animé d’un profond désir d’offrir à ses patients le meilleur traitement possible. “Il n’y a rien de plus dramatique pour un chirurgien que d’être dans une salle d’opération et de ne pas avoir le morceau de tissu ou l’organe que l’on devrait remplacer ou de ne pas avoir le traitement idéal, raconte-t-il. Si ces tissus et ces organes pouvaient être créés hors laboratoire et si nous pouvions les avoir à notre disposition, ce serait vraiment excellent pour certains patients. C’est cela qui nous a motivés dans notre travail.”
La médecine régénérative a le potentiel de transformer le paysage médical ainsi que la vie des patients, en offrant des traitements nouveaux pour des maladies autrefois incurables. “La plus belle promesse de la médecine régénérative est de nous permettre d’améliorer réellement la vie ou même de guérir les maladies au lieu de nous contenter de les gérer”, dit le docteur Atala.
Contrairement à la pratique établie, la médecine régénérative cible spécifiquement le patient et la cause sous-jacente de sa maladie en réparant, remplaçant ou régénérant les cellules endommagées. L’idée n’est pas récente, puisqu’elle est dans l’air depuis les années 30, “mais il nous a fallu plusieurs décennies pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui”, observe le docteur Atala. Il y a encore 30 ans à peine, explique-t-il, la plupart des cellules humaines ne pouvaient être cultivées qu’à l’intérieur de l’organisme. “Nous sommes aujourd’hui à un point où nous savons cultiver des cellules humaines, et aussi comment les faire croître à l’extérieur du corps. Nous n’en sommes pas encore à implanter des organes pleins, mais nous pratiquons des implantations d’organes plats, tubulaires ainsi que creux, non tubulaires, chez des patients.”
Niveaux de complexité
La médecine régénérative classe les organes en quatre niveaux de complexité. “Les structures plates, comme la peau, sont les moins complexes, car elles sont constituées en majeure partie d’un seul type de cellules. Elles ne sont pas aussi complexes qu’un organe tubulaire, par exemple un vaisseau sanguin ou un conduit respiratoire, qui se compose de deux types de cellules et dont l’architecture est un peu plus compliquée, dans la mesure où il doit rester ouvert. Ce n’est en fait rien de plus qu’un tube dont la fonction est de permettre à un fluide ou à de l’air de le traverser à un débit régulier dans une fourchette définie” explique le docteur Atala. Les cellules, la forme et la fonction des organes creux, non tubulaires tels que la vessie, offrent un troisième niveau de complexité. Le docteur Atala était à la tête de l’équipe de chercheurs qui, en 1999, a réussi la première implantation d’une vessie fabriquée en laboratoire chez un patient qui vit aujourd’hui une vie active normale. Le sommet de l’échelle de complexité appartient aux organes pleins, tels que les reins, le foie et le cœur. Ces derniers ont une densité cellulaire beaucoup plus importante, et il s’agit de cellules de types beaucoup plus variés qui contiennent de nombreux vaisseaux sanguins, car elles ont besoin d’être massivement irriguées, explique le docteur Atala.
Les trois premiers types d’organes – plats, tubulaires et creux, non tubulaires – ont été cultivés grâce à une combinaison de cellules et/ou d’armatures faites de matières biodégradables et implantés avec succès chez des patients, mais “notre objectif est de continuer à augmenter le nombre d’organes que nous pouvons implanter et de réussir un jour à implanter des organes pleins. Nous nous en approchons chaque jour un peu plus” dit le docteur Atala.
Un besoin croissant d’organes humains
L’évolution de la médecine régénérative répond à un réel besoin. La demande de tissus humains est de plus en plus importante. “Toutes les 30 secondes, un patient meurt d’une maladie que le remplacement d’un tissu aurait permis de traiter”, souligne le docteur Atala. Les listes d’attente pour les transplantations d’organes ne cessent de s’allonger, et seulement aux États-Unis d’Amérique, une personne s’y ajoute toutes les 10 minutes. Le problème est majeur. “Sur une période d’une décennie, le nombre de transplantations a augmenté de 1%, mais celui des patients inscrits sur la liste d’attente a doublé”, ajoute-t-il. “Nous sommes déjà dans une crise d’envergure, car nous vivons plus longtemps qu’avant, de sorte que nous courons plus de risques d’avoir des problèmes d’organes. Nous avons vraiment besoin d’avoir des organes à notre disposition pour ne pas être obligés d’attendre un décès chaque fois que nous avons besoin de faire une transplantation.”
L’un des grands avantages de la médecine régénérative est qu’en exploitant le potentiel naturel de guérison de l’organisme et en remplaçant des tissus et des organes endommagés par des nouveaux qu’elle a cultivés à partir des propres cellules du patient, elle élimine pratiquement les problèmes de rejet. Qui plus est, elle est axée sur la cause profonde de la maladie et vise à guérir le patient plutôt que de gérer simplement ses symptômes ou enrayer la progression de son mal. Elle est donc porteuse de la promesse d’une qualité de vie grandement améliorée pour les patients et d’énormes économies pour les systèmes de santé nationaux.
S’ils ne sont pas protégés par des droits de propriété intellectuelle, les gens n’investiront pas dans ces technologies, ce qui veut dire que si nous voulons les voir utilisées chez des patients, nous avons besoin d’une protection de propriété intellectuelle. C’est déterminant pour ces technologies.
Des stratégies pour la création d’organes pleins
Dans leur quête de moyens de cultiver les organes pleins dont les patients ont besoin, le docteur Atala et son équipe multidisciplinaire de 300 chercheurs se tournent vers des stratégies parallèles.
Imprimer des organes en 3D
Utilisant des images obtenues par tomographie informatisée et des logiciels de conception assistée par ordinateur, les chercheurs ont mis au point des imprimantes tridimensionnelles conçues pour fabriquer de nouveaux organes. “Nos machines à imprimer ressemblent beaucoup à des imprimantes à jet d’encre, mais au lieu de mettre de l’encre dans la cartouche, nous y mettons des cellules qui sont déposées couche après couche à l’endroit exact où elles doivent aller afin de créer des structures en trois dimensions qui pourront mener à des organes fonctionnels” explique M. Atala. L’équipe travaille actuellement sur des projets tels que des os, des muscles et des cartilages, et elle a un objectif à long terme qui est d’imprimer un jour un foie.
Réutiliser des organes rejetés
Les chercheurs utilisent aussi des organes rejetés parce qu’ils ne fonctionnent plus. Ils les emportent au laboratoire où ils les nettoient à l’aide de détergents doux pour les débarrasser des cellules existantes, en ne laissant intacte que leur structure tridimensionnelle. “Cette structure est destinée à être utilisée comme un moule pouvant être repeuplé avec les propres cellules du patient, explique le docteur Atala. Le but est de prendre un petit morceau de tissu de l’organe malade du patient, d’isoler les cellules normales pour les replacer dans l’organe qui sera ensuite réimplanté chez le patient.”
Une quête constante de solutions
Pour le docteur Atala, l’innovation fait partie du quotidien. Il dit que “la première chose à faire pour innover, c’est d’essayer, car si vous n’essayez pas, vous ne trouverez jamais de solution”. “Chaque fois que nous voyons un obstacle, nous devons trouver des façons de le contourner”, observe-t-il, en mettant l’accent sur la nécessité de constamment remettre en cause les vérités établies et d’élaborer de nouvelles approches en se fondant sur les nouvelles connaissances et les nouveaux outils que l’on peut avoir à sa disposition.
“En fait, notre travail, en tant que scientifiques, c’est de développer les technologies. Si nous créons une technologie transformationnelle, qui permette aux patients d’être en meilleure santé, les fournisseurs de soins de santé voudront l’utiliser. Il faudra alors que quelqu’un investisse dans cette technologie et s’assure de la protéger par des droits de propriété intellectuelle. Si tous ces éléments tombent en place, la technologie en question sera produite, et elle sera utilisée et distribuée pour les patients et leur bien-être. Mais pour que tout cela se produise, il faut avant tout disposer d’une technologie porteuse de transformations pour nos patients.”
Bien qu’elle ait réalisé des percées considérables, la médecine régénérative n’en est encore qu’à ses balbutiements. “Nous avons encore de nombreux obstacles à surmonter, tant de choses à faire fonctionner pour tant d’organes différents. Quand vous commencez à multiplier le nombre d’organes que vous pouvez reproduire, vous multipliez aussi les indications; il y a de nouvelles utilisations, de nouvelles inventions, de nouvelles méthodes, de nouveaux procédés. Il n’y a vraiment pas de limite. C’est un domaine dans lequel l’innovation a vraiment sa place”, dit le docteur Atala.
Le rôle de la propriété intellectuelle
En tant qu’habitué de longue date du système des brevets – il a à son actif plus de 200 demandes et enregistrements de brevets dans le monde entier – le docteur Atala est fermement convaincu du rôle essentiel de la propriété intellectuelle en tant que moyen de stimuler et faire progresser les technologies médicales, ainsi que de garantir leur utilité pour les patients. “La propriété intellectuelle est extrêmement importante. Ce qu’il faut savoir, c’est que sans droits de propriété intellectuelle, nous n’avons aucun outil pour commercialiser ces technologies, pour étendre leur utilisation de façon à faire baisser leur prix. À défaut d’investissements, elles ne se rendront jamais jusqu’aux patients. Il faut littéralement des centaines de millions de dollars pour les produire et les distribuer dans le monde entier”, dit-il. “Les gens ont besoin de savoir qu’ils vont rentabiliser leur investissement. S’ils ne sont pas protégés par des droits de propriété intellectuelle, les gens n’investiront pas dans ces technologies, ce qui veut dire que si nous voulons les voir utilisées chez des patients, nous avons besoin d’une protection de propriété intellectuelle. C’est déterminant pour ces technologies”, dit M. Atala.
Recherche collaborative
La médecine régénérative est un domaine complexe, qui fait appel à de nombreuses disciplines. Les chercheurs de l’Institut de médecine régénérative Wake Forest travaillent tous dans le même laboratoire et effectuent des tests rigoureux sur les tissus à chaque étape du processus de développement. “La sécurité des patients est primordiale pour nous, dit le docteur Atala; c’est leur vie que nous avons entre les mains, et nous devons donc nous rappeler que quoi que nous fassions, nous devons avant tout éviter de leur faire du mal, et ensuite leur apporter un bénéfice.”
L’Institut participe à un grand nombre de collaborations de recherche en plus du Centre médical baptiste Wake Forest (plus de 100 aux États-Unis d’Amérique et plus de 50 au niveau international). “Notre objectif est de créer un réseau international et d’y distribuer nos cellules, pour que ces technologies soient étudiées par un grand nombre de scientifiques”, poursuit M. Atala. Cette collaboration permet également à l’Institut de constituer un réseau international de sites d’essais cliniques. “Au bout du compte, cela contribuera à faire progresser ces technologies pour tout le monde”, ajoute-t-il.
La prochaine grande étape
“Nous sommes constamment à la recherche de possibilités de faire des percées”, observe M. Atala, et il explique que la prochaine grande étape en matière de médecine régénérative est une série de petites choses. “Nous regardons dans tellement de directions, il y a tellement de petits obstacles à surmonter, de petites victoires à remporter avant de faire le prochain grand pas en avant. Tout cela dans le but d’implanter des organes pleins chez des patients. Ça, ce sera vraiment quelque chose de gros.”
“Il ne faut jamais dire jamais”, observe le docteur Atala. “Si une salamandre a la capacité de régénérer un membre sectionné, pourquoi pas nous? La possibilité d’activer ces systèmes existe quelque part dans le domaine de la biologie. La question qui se pose est de savoir comment faire; et une question encore meilleure est de savoir quand cela deviendra possible. Une chose en tout cas est certaine : ces technologies pourront un jour aider les patients. Les cellules que nous utilisons, les techniques que nous choisissons pour le faire, ce n’est pas vraiment cela qui importe pour nous; ce qui compte le plus, c’est que nous aidions nos patients à aller mieux.”
Pourquoi la médecine régénérative est révolutionnaire :
- elle promet de sauver des vies et d’améliorer celle des personnes qui souffrent de maladies chroniques débilitantes;
- elle est annonciatrice du passage d’un modèle de médecine normalisée à un modèle de soins de santé centrés sur le patient;
- elle élimine le risque de rejet d’organe;
- elle s’attache à mobiliser la capacité naturelle de guérison du corps humain, cible la cause des maladies et pourrait éventuellement guérir certaines maladies chroniques mortelles;
- elle ouvre tout un monde de traitements médicaux nouveaux;
- elle a la capacité de transformer le paysage des soins de santé et promet de réduire sensiblement les coûts liés à la santé d’une population vieillissante et de plus en plus demandeuse de soins.
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