Comment Boeing utilise sa propriété intellectuelle et donne des ailes à l’innovation
Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
Peu de géants technologiques arrivent à la hauteur de Boeing. Depuis près d’un siècle, les entreprises pionnières qui constituent Boeing sont à la pointe de l’innovation dans l’aviation. Participant à la réalisation de chaque avancée technologique majeure dans le domaine tout au long du XXe siècle – des avions à réaction aux voyages dans l’espace – Boeing continue de façonner l’industrie mondiale de l’aérospatiale dans sa recherche pour développer de nouvelles technologies qui améliorent notre façon de vivre, de communiquer et de voyager. M. Peter Hoffman, vice-président de la gestion de la propriété intellectuelle chez Boeing, parle de l’approche adoptée par la société en matière de propriété intellectuelle et partage ses vues sur l’avenir de l’aviation.
Pourquoi la propriété intellectuelle est-elle importante pour Boeing?
Les industries de l’aérospatiale et de la défense dans lesquelles Boeing opère sont axées sur la technologie, et notre avantage concurrentiel dépend de notre capacité à innover mieux que nos concurrents. La protection de nos innovations nous permet d’avoir des résultats commerciaux rentables et de continuer à développer des produits leaders sur le marché.
Comment déterminez-vous ce que vous allez faire breveter?
Boeing met beaucoup d’ardeur à protéger ses inventions. Le processus que nous suivons est un processus assez détaillé comprenant plusieurs étapes. Sachant que les brevets sont des documents publics, nous nous demandons régulièrement si la divulgation d’une invention spécifique par le biais de la publication d’une demande de brevet est dans l’intérêt de Boeing à long terme. Les innovations qui sont visibles sur nos produits et services ainsi que les innovations qui peuvent être facilement copiées par ingénierie inverse sont les candidats idéaux à la protection de brevets.
Par ailleurs, nous décidons souvent de ne pas breveter des innovations militaires ou des innovations qui peuvent être effectivement tenues à l’écart du domaine public comme des secrets d'affaires. Les inventions qui se situent à mi-chemin sont en outre évaluées sous l’angle de la portée des éventuelles revendications de brevets, de leur utilisation probable sur des produits ou dans des services, de la possibilité de concession de licences et d’autres facteurs.
Comment qualifieriez-vous l’approche adoptée par Boeing en matière de propriété intellectuelle?
Le portefeuille d’actifs de propriété intellectuelle de Boeing – nos marques, notre matériel soumis à droit d’auteur, nos brevets et nos secrets commerciaux – est un actif stratégique que nous utilisons pour faire en sorte de demeurer compétitifs. Si nous développons quelque chose de nouveau dans les systèmes de réseau, par exemple, quelque chose qui a une application dans une entreprise non concurrente, comme l’industrie automobile, nous sommes très intéressés par le partage de cette propriété intellectuelle par le biais d’accords de licence. Il s’agit d’un scénario gagnant-gagnant; l’industrie automobile a accès à une nouvelle technologie et évite ainsi les coûts de développement d’un tel système tandis que nous générons des revenus supplémentaires issus de la concession de licences. À l’heure actuelle, nos activités d’octroi de licences, qui sont considérables et en pleine expansion, sont principalement axées sur les entreprises de notre chaîne d’approvisionnement et les partenaires avec lesquels nous produisons des avions. Mais nous sommes désireux d’accorder des licences d’exploitation à d’autres secteurs.
La propriété intellectuelle est vraiment présente partout dans notre entreprise. Quand il s’agit de contrats internationaux de défense, les engagements d’implication industrielle sont très fréquents. Les pays qui dépensent des milliards de dollars É.-U. pour nos produits reconnaissent que Boeing et les entreprises comme Boeing sont détentrices d’une propriété intellectuelle et d’un savoir-faire dont la richesse peut aider à faire progresser leur économie. Ils en tirent profit en nous obligeant à satisfaire des engagements d’implication industrielle supplémentaires. Pour être compétitive dans l’industrie de la défense, une entreprise doit être en mesure de proposer un produit hautement performant à bon prix ainsi qu’une offre industrielle attrayante. Dans ce contexte, nous utilisons comme monnaie notre technologie protégée la propriété intellectuelle. Nous sommes très bons en ce qui concerne l’emballage et la diffusion de notre technologie de cette façon, et c’est l’un de nos principaux facteurs concurrentiels sur le marché.
Est-ce que le fait de transférer votre propriété intellectuelle de cette façon menace vos intérêts à long terme?
En l’occurrence il y a un équilibre à trouver. Une technologie a une certaine durée de vie, et il nous arrive de partager des technologies qui aident des industries de l’aérospatiale moins avancées à se développer alors que nous continuons à investir dans la promotion de l’enveloppe technologique en ce qui concerne nos nouveaux produits. Tant que nous continuons à investir dans l’avenir et à maintenir une avance sur nos concurrents, nous sommes en mesure de rester compétitifs.
Toutes vos opérations de propriété intellectuelle sont-elles basées aux États-Unis d’Amérique?
Notre équipe chargée de la propriété intellectuelle est basée aux États-Unis d’Amérique, mais nous sommes au service d’une entreprise mondiale. Notre équipe de gestion de la propriété intellectuelle basée aux États-Unis d’Amérique est responsable de l’évaluation de toutes les technologies développées dans nos centres de R-D dans le monde. Elle travaille avec un large réseau mondial de juristes experts en propriété intellectuelle qui fournissent des conseils en temps réel sur la législation et les pratiques locales.
Notre entreprise est en pleine expansion à l’échelle internationale. Pour rester compétitifs, nous devons être encore plus présents à l’internationale. Nous adoptons cette stratégie depuis un certain temps, et elle a porté ses fruits. C’est une question de temps avant que nous entamions l’expansion de notre équipe de gestion de la propriété intellectuelle à l’échelle internationale pour gérer nos affaires localement.
La violation de la propriété intellectuelle est-elle un gros problème pour vous?
Historiquement, le secteur de l’aéronautique n’est pas aussi procédurier que d’autres secteurs industriels. Si Boeing ne s’est pas engagé dans de nombreux litiges en matière de propriété intellectuelle cela ne signifie pas cependant que nous ne faisons pas respecter nos droits de propriété intellectuelle. Nous le faisons à travers le respect des contrats et les octrois de licences, et nous sommes généralement en mesure de résoudre les différends avant qu’ils se transforment en poursuites à part entière.
Un domaine qui s’avère un grand défi est le repérage de l’usage abusif du portefeuille de marques de Boeing, en particulier dans l’environnement en ligne. Nous avons une équipe qui s’occupe exclusivement de cette question. Nous menons des recherches en ligne de manière proactive, et nous évaluons de près les cas rapportés de soupçons d’utilisation abusive de nos marques avant d’envoyer un courrier de demande de mise en demeure.
Quels sont les principaux défis auxquels doit faire face l’industrie aérospatiale aujourd’hui?
Le ralentissement économique et le resserrement des budgets de la défense ont posé de réelles difficultés à certains secteurs industriels. Cela dit, nos activités de défense se portent bien et en ce qui concerne l’aviation commerciale, même si les ventes ont plutôt tendance à stagner en Amérique du Nord et en Europe, la croissance en Asie et au Moyen-Orient est très forte. Nous ne pouvons pas construire des avions suffisamment rapides, ce qui est un défi majeur.
Quels sont les principaux défis en matière de propriété intellectuelle?
La menace cybernétique permanente représente un défi de taille. En effet, Boeing a des activités très en réseau, et nous devons donc nous assurer que nos données sont protégées contre les pirates.
Le paysage concurrentiel de la partie commerciale de notre activité a également évolué de manière spectaculaire, ce qui constitue également un défi majeur. Par exemple, les monocouloirs sont maintenant produits par de nombreux nouveaux entrants. Alors qu’auparavant nous ne devions garder un œil que sur un concurrent majeur, à savoir Airbus, il y a désormais beaucoup plus d’acteurs. Nous investissons des milliards de dollars É.-U. dans la recherche et le développement afin de maintenir notre position sur le marché, nous devons donc nous assurer que nos concurrents font le même genre d’investissements et ne se contentent pas de se reposer sur nous pour réussir.
Comment Boeing parvient-il à rester à la pointe de l’innovation?
L’innovation est quelque chose d’essentiel pour Boeing. Notre structure organisationnelle aide, et nous proposons différentes initiatives pour motiver notre personnel. Ainsi, chaque année, nous récompensons les individus et/ou les équipes ayant présenté de nouvelles inventions ou trouvé de nouvelles applications par rapport aux technologies existantes. Nous gérons également un programme de bourses technique proposant à nos scientifiques et à nos ingénieurs de premier ordre des modalités distinctes d’évolution de carrière. Cependant le principal moteur de l’innovation de la société est Boeing Research and Technology, qui entreprend des recherches qui profitent à l’entreprise dans son ensemble. Boeing investit également dans les technologies du futur – en prévision de ses besoins à venir. Ainsi, bien que cette technologie commence à peine à être à la portée du grand public, cela fait des décennies que nous faisons des recherches sur l’utilisation de l’impression 3D, ou fabrication additive, dans la production aéronautique.
Pensez-vous que l’impression 3D a de l’avenir dans le secteur de l’aérospatiale?
Absolument, mais le plus grand défi que nous devons relever aujourd’hui est de savoir comment faire évoluer cette technologie. Elle a été utilisée d’abord pour le prototypage rapide, mais maintenant nous avons besoin de machines capables de produire plus rapidement des objets plus grands et fonctionnant 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Certaines pièces dont nous avons besoin ont tendance à être très grosses, et on ne peut pas fabriquer ce type de pièces avec la poudre actuellement utilisée dans l’impression 3D, donc nous devons trouver des façons de le faire (voir L’impression 3D et le futur des objets). Nous travaillons avec des chercheurs et les grands constructeurs d’imprimantes 3D pour développer des machines avec un coefficient d’utilisation supérieur, capables de répondre à nos besoins.
Est-il concevable que nous ayons un avion imprimé en 3D en 2050?
Ce serait bien, mais il est beaucoup plus impliqué que juste la conception d’un avion, en appuyant sur un bouton et l’imprimer. Il y a beaucoup de pièces interdépendantes sur un avion. La fabrication additive aura certainement un impact à l’avenir sachant qu’elle permettra de concevoir et de construire des avions partout et de produire des pièces à la demande, mais elle restera une capacité qui aura sa place aux côtés des nombreuses autres techniques nécessaires à la production d’un aéronef.
Même si les imprimantes 3D d’aujourd’hui sont très performantes, il nous manque une communauté de conception qui comprenne le processus. Les concepteurs conçoivent généralement quelque chose de facile à construire, mais avec la fabrication additive, vous pouvez oublier cette approche parce que vous pouvez tout simplement construire tout ce que vous pouvez imaginer. Avec cette technologie, vous pouvez créer des composants multifonctionnels complexes d’un coup au lieu d’utiliser de nombreux composants différents. Ces pièces sont plus solides et plus légères que les composants usinés traditionnellement, ce qui se traduit par des économies de maintenance et de carburant. Une trentaine de composants du 787, qui consomme 20% de carburant de moins que le 767 qu’il remplace, sont imprimés en 3D.
Quelles réflexions vous a inspiré la production du 787 Dreamliner?
Dans les débuts de l’aviation, les frères Wright utilisaient des composites, à savoir du bois et du tissu. Ce fut la norme jusqu’à l’introduction de l’aluminium, qui a engendré plusieurs défis à relever. Après plusieurs tâtonnements, cette nouvelle technologie s’est finalement imposée comme la norme à son tour. Puis les composites renforcés de fibres ont commencé à être mis en place à petite échelle, d’abord dans la défense puis dans l’aviation commerciale. Notre première utilisation commerciale importante des matériaux composites de carbone a été sur les ailettes verticales et horizontales du 777. En ce qui concerne le 787 Dreamliner, les composites sont utilisés pour le fuselage, les ailes et la queue. Ce fut résolument un bond en avant sur le plan technologique. Il fallait le faire, et je suis fier de dire que nous avons été les premiers à le faire.
Concevoir l’avion de telle façon qu’il puisse être produit à moindre coût et en quantités commerciales a été le plus grand défi que nous ayons eu à relever. Nous avons beaucoup appris à cette occasion, et nous continuons à améliorer l’avion tous les jours, mais l’apprentissage peut être douloureux parfois. L’innovation peut devenir compliquée, et nous avons certainement subi les conséquences du fait d’être les premiers en la matière, mais c’est le rôle des champions de l’innovation dans l’industrie.
Quelle est votre vision de l’innovation ouverte?
Bien qu’elle ne soit pas une fin en soi, l’innovation ouverte est un outil très utile. Il y a beaucoup d’entreprises et d’individus qui innovent dans le monde. Même si nous avons beaucoup d’ingénieurs hautement qualifiés et de technologies avancées chez Boeing, nous reconnaissons que nous n’avons pas la mainmise sur les talents, alors nous recherchons activement les plus brillants cerveaux et les meilleures technologies où qu’ils soient.
Rester à la pointe de la technologie coûte beaucoup d’argent. Chez Boeing, nous essayons d’atténuer ces coûts en cessant toute relation d’affaires avec les entreprises et les chercheurs qui tentent de résoudre les mêmes problèmes que nous. Nous co-investissons dans cette recherche et partageons les résultats, ce qui réduit les coûts pour les deux parties.
Comment utilisez-vous le Traité de coopération en matière de brevets (PCT)?
Nous utilisons le PCT pour les dépôts de brevets internationaux. Le PCT nous permet de différer la plupart des coûts associés au dépôt de demandes de brevet largement dans plusieurs régions, et le rapport de recherche internationale obtenu par le biais du PCT peut nous être très utile pour comprendre l’état de la technique se rapportant à des technologies particulières.
Quel est l’avenir de l’aviation?
Nous continuerons à nous concentrer sur la recherche de façons de produire des avions moins chers, plus respectueux de l’environnement et plus efficaces. Nous sommes d’ores et déjà en train de repousser les limites de vitesse et de pulvériser les records de vitesse hypersonique. Les gens veulent toujours atteindre leur destination plus rapidement, mais nous devons trouver une façon de le faire à moindre coût, avec un impact minimal sur l’environnement.
Gestion de la propriété intellectuelle chez Boeing : faits marquants
- En janvier 2014, Boeing détenait plus de 7000 brevets actifs américains et plus de 13 500 brevets actifs dans le monde; la société a aussi 8500 demandes de brevet en attente dans le monde (y compris plusieurs centaines de demandes selon le PCT et de demandes de brevet européen qui vont se multiplier à compter de l’entrée dans les phases nationale ou de validation).
- En 2012, Boeing a déposé 145 demandes internationales de brevet selon le PCT.
- Boeing a déposé environ 1000 demandes de brevet pour le seul programme 787 Dreamliner.
- Les dépôts de brevets comprennent des technologies dans les domaines liés à l’avionique, aux structures, à l’informatique, aux satellites, à l’énergie, aux technologies de simulation et à la fabrication.
- Chaque année, Boeing récompense ses meilleurs innovateurs pour la création de nouveaux droits de propriété intellectuelle.
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