Une solution basée sur le marché face aux enjeux du système de brevets
Ian McClure, directeur, Intellectual Property Exchange International, Inc. (IPXI®)
Le 4 juin 2013, la Maison Blanche a donné les grandes lignes d’une initiative ayant pour cible de nombreuses questions que beaucoup de personnes jugent problématiques pour le marché de la propriété intellectuelle et pour l’innovation. Parmi les questions soulevées, on citera le manque de transparence, la nécessité de créer des règles du jeu équitables qui s’appliquent à tous les innovateurs ainsi que les litiges excessifs ou futiles. M. Gene Sperling, directeur du National Economic Council (Conseil économique national) et conseiller du président sur les questions de politique économique, a récemment publié le billet suivant sur le blogue officiel de la Maison Blanche : “Il est clair que l’abus du système de brevets étouffe l’innovation et constitue un frein à notre économie […] il est temps d’agir”. Toutefois, le type de réforme législative du système de brevets proposé aujourd’hui aux États-Unis d’Amérique pourrait avoir des conséquences radicales et inattendues. Lorsque, par exemple, l’objet visé par l’action législative est classé dans des catégories de termes et défini par des termes aussi vagues et provisoires que “entité non opérationnelle” ou “entité spécialisée dans la revendication de droits de brevets”, et quand ces catégories ont une signification différente selon le point de vue adopté et la disposition du moment, il peut être difficile d’anticiper parfaitement l’effet d’une telle réforme.
Un marché florissant pour les brevets
Au cours des 10 dernières années, le marché des brevets a prospéré. Les intermédiaires en brevets, les courtiers et autres agents ont développé une réserve de liquidités pour les brevets et droits de brevets, y compris les droits de licences, des renonciations au droit de poursuite et autres hybrides. Ces produits sont commercialisés, vendus, achetés, troqués, échangés, négociés, associés, loués et éliminés tout comme d’autres actifs, biens ou propriétés.
Cependant, contrairement à de nombreux autres marchés, le marché naissant des droits de brevets est composé uniquement de transactions privées bilatérales. À bien des égards, le marché tel qu’il existe aujourd’hui évolue dans un environnement opaque. En effet, il y a une absence partielle voire totale de transparence, qu’il s’agisse des informations sur le marché ou des moyens d’identifier le comportement du marché. La seule façon de réguler ce marché émergent est d’en passer par les tribunaux, où la prévisibilité est difficile et les obstacles à l’entrée – frais juridiques élevés – créent les conditions qui permettent à certaines parties d’exploiter cette incertitude. Ainsi, l’American Intellectual Property Law Association (AIPLA) estime que dans les affaires de brevet dont la valeur se situe entre un et 25 millions de dollars É.-U. en moyenne, les frais de procédure s’élèvent à 2,5 millions de dollars É.-U., et dans celles de plus 25 millions de dollars É.-U., les frais s’élèvent à cinq millions de dollars É.-U.. Sachant que le seul arbitre disponible implique un investissement de ce montant et que l’issue des litiges en matière de brevets est rarement prévisible, certains titulaires de brevets insistent pour des règlements rapides en espèces.
Dans un courrier récent au Congrès des États-Unis d’Amérique, 60 professeurs des États-Unis d’Amérique spécialisés dans le droit des brevets ont déclaré que “les frais de justice élevés et le manque de transparence généralisé qui caractérise le système de brevets font de la défense abusive de brevets un phénomène fréquent à la fois au sein et en dehors du secteur de la technologie. Par conséquent, les milliards de dollars qui pourraient être employés pour le recrutement de salariés et leur maintien dans l’emploi, l’amélioration des produits existants et le lancement de nouveaux produits sont, au contraire, détournés pour des litiges qui sont une perte d’énergie sur le plan social”. Mais comment faire pour enrayer ce type de comportement abusif? Une bourse financière dédiée à l’échange et à la concession de droits de propriété intellectuelle, telle que l’Intellectual Property Exchange International, Inc. (IPXI®) lancé récemment, pourrait contribuer à créer les normes d’information et les mécanismes de tarification nécessaires et pourrait également rendre moins nécessaire la mise en place d’une réforme législative.
IPXI : la première bourse financière mondiale dédiée à la concession et à l’échange de droits de propriété intellectuelle
Créée en 2007, IPXI est la première bourse financière mondiale pour la concession et l’échange de droits de propriété intellectuelle. Elle propose une solution autre que les actions en justice et la concession de licences sur la base d’accords privés bilatéraux. Beaucoup de membres d’IPXI, dont plus de 60 des plus grandes sociétés du monde, des universités, des laboratoires de recherche et des institutions financières, ont contribué à la création de cette nouvelle bourse financière et se sont engagés à y inscrire leurs droits propriété intellectuelle.
Le 5 juin 2013, IPXI a dévoilé sa première gamme de produits, soit un portefeuille de plus de 600 actifs de brevets – dont 225 brevets délivrés – relatifs aux diodes électroluminescentes organiques (OLED), utilisées pour l’affichage dans le domaine des écrans développés par Koninklijke Philips N.V. (Philips).
Améliorer la transparence du marché
L’un des principaux objectifs d’IPXI est d’améliorer la transparence du marché en ce qui concerne les échanges commerciaux de droits de brevets et d’aider à instaurer des règles du jeu plus équitables, qui s’appliquent à tous les innovateurs. Tout d’abord, IPXI diffuse publiquement toutes les informations essentielles relatives aux titulaires des droits et au bénéficiaire direct de leur transfert par le biais de la bourse IPXI, y compris les conditions du transfert de droits. IPXI fournit des informations sur le prix ainsi que toute autre information utile, y compris une analyse de la qualité des actifs et les données agrégées sur l’achat et à l’échange de droits – ainsi que les conditions générales à tous les donneurs de licence potentiels pour chaque offre d’actifs du portefeuille. “Nous sommes convaincus qu’IPXI permettra une meilleure transparence du marché de la propriété intellectuelle, avec des prix de marché équitables pour les droits de propriété intellectuelle échangés. Nous sommes l’une des premières entreprises à avoir inscrit en bourse certains de ses droits de propriété intellectuelle, et nous pensons que d’autres entreprises suivront bientôt”, a déclaré M. Ruud Peters, chef de la Direction propriété intellectuelle de Royal Philips Electronics, l’un des membres fondateurs d’IPXI.
Comme l’a fait valoir l’économiste Friedrich Hayek dans un ouvrage intitulé The Pure Theory of Capital, l’objectif d’un marché est la préservation et l’utilisation de l’information unique contenue dans le prix d’un bien. Toutefois, sur un marché de brevets sans repères et avec des résultats biaisés en raison du coût des actions en justice et des actifs incorporels subjectifs tels que la position de négociation et les probabilités escomptées du succès des poursuites, l’information exploitable contenue dans un prix est brouillée. Cela crée les conditions idéales pour que les “entités spécialisées dans la revendication de droits de brevets”, plus connues sous le nom de “chasseurs de brevets”, puissent tirer parti des situations où les actifs ayant une validité ou une portée des revendications discutables se voient attribuer une valeur simplement parce qu’il y a un doute quant à leur valeur finale.
Des procédures fondées sur des règles
IPXI met en place des procédures fondées sur des règles ainsi qu’un processus d’examen par un comité afin d’évaluer objectivement les actifs qu’il offre et d’informer le marché sur la qualité des portefeuilles cotés en bourse. Ainsi IPXI procède à une évaluation exhaustive de la qualité grâce à des recherches indépendantes menées par des tierces parties. Les informations relatives à la validité des brevets et les données sur l’utilisation en cours ou la demande future de la technologie, y compris les prévisions du marché, sont disponibles publiquement sur la plate-forme d’échange d’IPXI. En ce qui concerne les OLED proposées par Philips, plus de 1100 documents relatifs à cette offre sont mis à la disposition des parties intéressées sur le site Internet d’IPXI.
Avant de lancer sa première offre, IPXI a publié son Market Rulebook (Recueil de règles de fonctionnement du marché). Ce recueil vise à guider le comportement de ceux qui participent au marché IPXI et contient des règles relatives à la création, l’émission, la défense et la vérification du produit primaire de la Bourse, à savoir un droit de licence non-exclusive marchéisé, appelé Unit License Right™ (ULR™) ou droit de licence unitaire. Surtout, le recueil de règles d’IPXI a été développé avec le soutien et les idées de beaucoup de ses membres qui participent au Comité des règles. Tout membre de la Bourse peut soumettre des modifications de règles à ce comité.
Tant que la communauté des titulaires de brevets adopte sans question un marché central comme IPXI, avec des normes et des critères fiables de comportement sur le marché, les chances de supprimer le modèle économique complexe et lucratif des “chasseurs de brevets” sont minces.
Apprivoiser les conditions actuelles du marché de la propriété intellectuelle
“Au cours des deux dernières années, le nombre de procès intentés par des chasseurs de brevets a quasiment triplé, représentant 62% des actions en justice en matière de brevets lancées en Amérique”, a fait observer M. Gene Sperling dans la communication de la Maison Blanche signalée précédemment. Bien que la prudence s’impose lorsqu’il s’agit de faire la distinction entre les “chasseurs de brevets” et ceux qui n’entrent pas dans cette catégorie, ce phénomène d’actions en justice a un impact clair sur la façon de faire des affaires. L’argent gaspillé et le temps passé à se soucier de “contentieux abusifs en matière de brevets” mobilisent des ressources qui seraient plus utiles à la création de nouveaux produits. Selon le rapport de la Maison Blanche, dans plusieurs grandes entreprises, les dépenses liées aux contentieux en matière de brevets dépassent maintenant les dépenses de recherche et développement. De même, parmi les petites entreprises, 40% des jeunes pousses technologiques visées par les “chasseurs de brevets” ont rapporté que les actions en justice ou la menace de poursuites avaient un impact négatif sur leurs activités commerciales. Les entités non opérationnelles auront peut-être la possibilité d’exploiter IPXI, mais leur succès dépendra de la qualification de leurs actifs et de leur engagement à fonctionner en vertu des mêmes règles et niveaux de transparence que les autres acteurs du marché. Si ces conditions sont réunies, leur succès ne pourra pas être considéré comme un “abus” du système des brevets. Autrement dit, le problème n’est pas les “chasseurs de brevets” en tant que tels, mais les caractéristiques actuelles du marché des brevets, qui réunissent les conditions idéales pour que leur modèle d’entreprise fonctionne.
Si la loi américaine sur les inventions adoptée en septembre 2011 va dans le sens de la transformation du paysage juridique des brevets aux États-Unis d’Amérique, les questions de poursuites abusives et de manque de transparence sur le marché des brevets nécessitent un examen plus approfondi. En ajoutant à l’équation des dynamiques de marché comparables à celles qui ont permis de remédier aux dysfonctionnements du marché dans de nombreux secteurs pendant des siècles, IPXI propose une solution qui permet d’éviter le foisonnement de textes législatifs. Avant de demander aux pouvoirs publics d’établir des normes et de surveiller les comportements sur le marché, les acteurs du marché pourraient bien d’abord envisager de faire ce que d’autres marchés efficients ont fait dans le passé, à savoir créer et adopter un marché central et des normes de comportement sur le marché.
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