Lever les entraves à l’accessibilité grâce au Consortium pour des livres accessibles
Par Catherine Jewell, Division des communications de l’OMPI
Dipendra Manocha est aveugle depuis son enfance. Pourtant, malgré tous les obstacles et grâce au soutien de sa famille et aux encouragements de ses professeurs, il a réussi sa scolarité, poursuivi des études de musique à l’Université et décroché un diplôme de deuxième cycle universitaire en 1992. Aujourd’hui, il est président du DAISY Forum et participe à la mise en place d’une plate-forme de communication et de formation qui transforme le quotidien de personnes ayant des difficultés à lire les textes imprimés (qu’elles soient aveugles, déficientes visuelles ou dyslexiques), en Inde et à l’étranger.
Comme des millions d’autres étudiants incapables de lire les imprimés, Dipendra s’est heurté à une insuffisance criante de manuels publiés dans des formats accessibles comme le Braille, les gros caractères ou le format audio qui lui auraient permis d’apprendre en toute autonomie. Il n’avait pas d’autre choix que de faire appel à des lecteurs voyants, lesquels n’étaient pas toujours aussi fiables qu’il l’aurait souhaité et l’empêchaient parfois de respecter d’importantes échéances.
Selon l’Union mondiale des aveugles, moins de 10% de l’ensemble des ouvrages publiés sont disponibles dans des formats accessibles par des personnes ayant du mal à lire les imprimés et une grande partie d’entre eux ne sont disponibles qu’en anglais. Seul le fait de mettre un terme à cette pénurie mondiale de livres permettra de donner à ces personnes les moyens de mener leur vie de manière indépendante et productive.
Un an après le tournant historique marqué par la conclusion du Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées, l’OMPI et ses partenaires redoublent d’efforts pour accroître l’accessibilité et le nombre d’œuvres disponibles dans des formats adaptés.
Tandis que le Traité de Marrakech s’emploie à lever les entraves juridiques à l’échange de ces ouvrages entre pays – en créant des exceptions à la législation sur le droit d’auteur et en autorisant la production et l’échange transfrontière de livres accessibles sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’autorisation du titulaire du droit d’auteur – le tout nouveau Consortium pour des livres accessibles (ABC), lancé en juin 2014, s’efforce d’éliminer les obstacles pratiques à l’accessibilité. “Le Traité de Marrakech est un moyen permettant d’atteindre un objectif, et cet objectif est de rendre les livres accessibles aux personnes ayant du mal à lire les imprimés, grâce à une publication dans des formats adaptés,” a déclaré M. Francis Gurry, Directeur général de l’OMPI, lors de l’inauguration de l’ABC.
L’ABC traduit dans les faits les politiques énoncées dans le Traité de Marrakech et renforce l’écosystème prévu pour la production et la distribution de livres dans des formats accessibles. “Il donne corps au cadre juridique établi au titre du Traité de Marrakech”, a indiqué M. Gurry.
“L’ABC jouera un rôle essentiel s’agissant de mieux faire connaître les dispositions du Traité, d’appuyer l’élaboration de politiques nationales conformes au traité et de renforcer les compétences pour tirer le meilleur parti de ces politiques et systèmes aux niveaux national et international”, a expliqué Dipendra Manocha.
Une convergence d’opinions
Le consortium ABC est une alliance d’organisations représentant les personnes ayant des difficultés à lire des œuvres imprimées, les auteurs et les éditeurs. Toutes ces parties prenantes “devront entretenir un dialogue permanent afin d’améliorer l’accessibilité”, a indiqué Jens Bammel, secrétaire général de l’Union internationale des éditeurs (UIE). Le consortium “a conscience du rôle crucial que jouent les éditeurs en ce qui concerne l’accessibilité aux œuvres des personnes ayant des difficultés de lecture des textes imprimés”, a-t-il déclaré, précisant que l’UIE “soutenait à 100%” ce projet.
Cette collaboration est décisive s’agissant du nombre et de la diversité des œuvres accessibles dans des formats adaptés, a fait remarquer Olav Stokkmo, directeur général de la Fédération internationale des organismes gérant les droits de reproduction (IFRRO). “L’objectif principal est que, grâce à la technologie et à la coopération, les personnes ayant des difficultés à lire les imprimés aient un bien meilleur accès à des livres et autres publications auxquels elles n’avaient pas accès précédemment du fait de formats inadaptés.”
Chaque groupe est un maillon clé de la chaîne de valeur liée à l’édition et à la distribution de livres en formats accessibles et joue un rôle de premier plan dans la réalisation de l’objectif qui veut qu’un même livre soit mis à la disposition des personnes malvoyantes au même prix et au même moment que pour les personnes voyantes. “Le consortium contribuera à ce que les aveugles et les déficients visuels se voient proposer des publications dans des formats adaptés le plus rapidement et le plus simplement possible”, a expliqué François Hendrikz, directeur de la South African Library for the Blind.
Le Consortium pour des livres accessibles regroupe les organisations suivantes :
Les travaux de l’ABC comprendront trois grands volets : le renforcement des capacités, la mise en place d’un système d’échange d’ouvrages entre pays (le service TIGAR) permettant de recenser les livres en formats adaptés et d’en faciliter l’accès, et l’édition en formats accessibles.
Le renforcement des capacités
Améliorer les compétences et renforcer le socle de connaissances des pays en développement en vue de la production et de la distribution de livres, en particulier de manuels scolaires, dans des formats accessibles (et des langues locales) est une priorité. De fait, près de 90% des personnes ayant des difficultés à lire les textes imprimés vivent dans des pays en développement. Privés d’outils d’apprentissage appropriés de la lecture et de l’écriture, les enfants souffrant de déficience visuelle voient leurs chances de réussite dans la vie se réduire considérablement. Ainsi, dans ces pays, l’Union mondiale des aveugles estime que le taux d’emploi des personnes ayant du mal à lire les imprimés est inférieur à 10%.
L’ABC forme des organismes de soutien aux personnes ayant des difficultés de lecture des imprimés, des éditeurs locaux et des services publics aux toutes dernières techniques d’édition en formats accessibles. À terme, cette initiative permettra d’accroître la diversité et d’augmenter le nombre d’ouvrages disponibles. En Inde par exemple, à peine 18 000 livres sont proposés dans des formats accessibles (dont la plupart uniquement en anglais), comparé à la collection de 184 084 ouvrages du Service national des bibliothèques pour les aveugles et les handicapés physiques des États-Unis d’Amérique.
“Pour rendre les livres accessibles, il importe que les éditeurs les produisent dans des formats adaptés et que les organisations qui produisent et distribuent ces ouvrages aux personnes aveugles ou ayant du mal à lire les imprimés aient les compétences et les moyens de le faire. Ce point est particulièrement important dans les pays en développement, où les bibliothèques ou organisations proposant des services aux aveugles sont souvent rares,” a fait observer Scott Labarre, représentant de l’Union mondiale des aveugles auprès de l’ABC. Le consortium peut “nous aider à faire en sorte qu’un jour, tous les livres électroniques soient publiés d’emblée dans un format accessible,” a-t-il ajouté.
Une source de débouchés et d’économies
L’objectif est de renforcer l’écosystème éditorial de sorte que chaque maillon de la chaîne de valeur s’efforce d’œuvrer en faveur de l’édition d’ouvrages en formats accessibles et de la satisfaction des besoins des personnes ayant des difficultés de lecture des imprimés.
“Les titulaires de droits d’auteur et les membres de la communauté des personnes ayant du mal à lire les imprimés ont un intérêt commun à voir évoluer les techniques permettant aux éditeurs de produire des exemplaires en format accessible selon un bon rapport coût/efficacité,” a expliqué M. Stokkmo. C’est en effet un moyen de créer de nouveaux débouchés pour les éditeurs mais aussi “de rendre accessibles des livres qui ne l’étaient pas jusque-là et d’amener les éditeurs à répondre aux besoins des personnes souffrant d’un handicap de lecture [et] de proposer un même ouvrage simultanément aux clients voyants et aux clients ayant une déficience visuelle,” a-t-il indiqué.
“Notre objectif est d’intégrer le processus d’édition d’ouvrages dans des formats accessibles au processus ordinaire d’édition numérique de façon à ne pas avoir à rééditer des informations qui le sont déjà,” a déclaré M. Manocha.
Combler les lacunes technologiques
Le consortium s’efforcera également de combler les lacunes technologiques et les insuffisances en matière d’infrastructures dans les pays en développement. Celles-ci sont particulièrement manifestes “lorsqu’il s’agit de produire des ouvrages dans des formats accessibles ou d’être en mesure de lire des fichiers numériques au moyen d’un logiciel d’aide”, a expliqué M. Manocha. En Inde par exemple, il existe des logiciels de synthèse vocale en anglais et en hindi mais pas dans les 21 autres langues utilisées dans le pays. “En Inde, il n’existe aucun logiciel de synthèse de la parole en pendjabi, si bien que même si des fichiers textes numériques sont disponibles, l’utilisateur n’a pas la possibilité de les lire. Il est impératif de combler cette lacune”, a déclaré M. Manocha. Dans de nombreux pays en développement, lorsqu’ils sont disponibles, les logiciels de synthèse vocale sont souvent élémentaires et onéreux (leur prix équivalant parfois à un tiers du salaire mensuel).
“Pour pouvoir participer au système d’échange d’ouvrages entre pays, nous devons être en mesure de recueillir les informations nécessaires sur les livres distribués, à qui et en combien d’exemplaires”, a observé M. Manocha. “Pour ce faire, il est essentiel de renforcer les capacités des pays en développement, de façon à créer un environnement dans lequel les éditeurs auront toute confiance et où ils pourront échanger leurs ouvrages avec les organisations au service des personnes souffrant de difficultés de lecture des textes imprimés.” C’est là l’une des priorités du consortium.
Le renforcement des compétences au Bangladesh
Grâce à un financement du Gouvernement australien, l’ABC forme des collaborateurs de la Young Power in Social Action (YPSA), une organisation non gouvernementale établie au Bangladesh, aux techniques d’édition dans des formats accessibles dans l’objectif d’offrir un plus large éventail de supports pédagogiques aux étudiants ayant des difficultés à lire les imprimés de l’Université de Chittagong. Ce projet est “un pas de géant” indique Vashkar Bhattacharjee, membre de la YPSA. “Pour la première fois dans l’histoire du Bangladesh, nous mettons à la disposition d’élèves de deuxième cycle du secondaire atteints d’une déficience visuelle du matériel éducatif publié dans un format accessible [en bengali],” déclare-t-il. Les élèves sont également très enthousiastes à l’idée de pouvoir prochainement utiliser un dictionnaire bengali dans un format accessible.
Le service TIGAR
Créé par l’ABC, le service TIGAR vise à permettre au plus grand nombre d’accéder à des ouvrages publiés dans des formats accessibles en facilitant la recherche et l’échange transfrontière de livres. À ce jour, ce répertoire mondial unique en son genre comprend plus de 238 000 titres dans 55 langues. Les organisations membres du réseau (actuellement au nombre de 12) peuvent consulter la base de données pour y trouver les ouvrages dont elles ont besoin. L’objectif est de faire de TIGAR la base de données mondiale de référence en matière d’ouvrages en formats accessibles.
TIGAR est “un outil extraordinaire qui permet à chacun de savoir quels livres ont été publiés en format accessible où que ce soit dans le monde et de prendre contact avec ceux qui les détiennent,” a expliqué M. Bammel.
L’objectif est de rallier davantage de partenaires. “Nous nous employons à relier au catalogue TIGAR le plus grand nombre possible de bibliothèques et d’organisations connexes œuvrant à répondre aux besoins en lecture et en information des personnes ayant du mal à lire les imprimés,” a précisé Francois Hendrikz.
Le service TIGAR contribuera à garantir l’existence d’un mécanisme convivial d’exonération de licence destiné à faciliter l’échange transfrontière d’œuvres en format accessible. Tant que le Traité de Marrakech ne sera pas entré en vigueur, pour que l’échange de livres d’un pays à l’autre puisse avoir lieu, il sera nécessaire d’obtenir les droits auprès des titulaires concernés. Par la suite, ce ne sera plus le cas dans les pays qui auront ratifié le traité. “C’est formidable de disposer d’une base de données contenant la liste de tous les livres accessibles et indiquant où se les procurer, mais ça ne sert pas à grand-chose si les livres ne peuvent pas être échangés par-delà les frontières,” a fait remarquer Maryanne Diamond, présidente sortante de l’Union mondiale des aveugles et présidente actuelle de l’International Disability Alliance, exhortant les États membres de l’OMPI à faire de la ratification du traité une priorité.
Le service TIGAR permet également de réaliser des économies substantielles en évitant les doublons. À supposer par exemple que la South African Library for the Blind ait besoin d’une version en format accessible d’Harry Potter et la chambre des secrets, elle peut se la procurer auprès d’une autre bibliothèque membre du réseau et faire appel à ses ressources pour convertir d’autres titres. “Il est inutile qu’un livre soit réédité plusieurs fois dans des formats accessibles. Il suffit qu’il ait été converti une seule fois dans un format accessible pour pouvoir être échangé entre plusieurs organisations et parvenir aux utilisateurs finaux,” a expliqué M. Manocha.
Promoting publishing in accessible formats
Dans le prolongement de l’objectif premier visant à intégrer l’édition d’ouvrages dans des formats accessibles au processus ordinaire d’édition – de sorte que les livres publiés puissent être utilisés d’emblée aussi bien par les voyants que par les personnes ayant des difficultés à lire les imprimés – le consortium a créé la Charte mondiale de l’édition en format accessible.
Elsevier, chef de file de l’édition scientifique, a été le premier à signer la charte lors de l’inauguration de l’ABC. “Elsevier est fier d’être le premier à signer cette nouvelle charte,” a déclaré Alicia Wise, directrice de la division accès et politiques d’Elsevier, en se félicitant du rôle moteur joué par l’ABC dans ce domaine. “Chez Elsevier, nous nous efforçons de rendre nos produits accessibles à tous, indépendamment de tout handicap physique,” a-t-elle ajouté.
Membres actuels du service TIGAR
- Afrique du Sud : South African Library for the Blind
- Australie : VisAbility (anciennement Association for the Blind of Western Australia)
- Brésil : Dorina Nowill Foundation for the Blind
- Canada : Institut national canadien pour les aveugles
- Danemark : Nota – Danish National Library for Persons with Print Disabilities
- États-Unis d’Amérique : National Library Service for the Blind and Physically Handicapped
- France : Association Valentin Haüy
- Norvège : Norwegian Library of Talking Books and Braille
- Nouvelle-Zélande : Royal New Zealand Foundation of the Blind
- Suède : Swedish Agency for Accessible Media
- Suisse : Association pour le Bien des Aveugles et malvoyants et Bibliothèque suisse pour les personnes aveugles, malvoyantes et ayant des difficultés à lire les textes imprimés
Quel avenir?
Les membres de l’ABC sont enthousiastes et confiants en leur capacité à faire évoluer la situation. “Nous espérons vraiment que le consortium nous aidera à mettre un terme à la pénurie de livres en formats accessibles,” a affirmé M. Manocha.
“Nous avons une formidable occasion de transformer la vie de plusieurs millions de personnes. Les aveugles du monde entier placent énormément d’espoir dans le traité adopté il y a un an. Nous avons hâte de voir notre quotidien transformé et c’est à nous de faire bouger les choses, collectivement,” a déclaré Mme Diamond.
Poursuivre cette mission fondamentale demande néanmoins des ressources considérables et un appui financier indispensable. Le secrétariat de l’ABC, situé au siège de l’OMPI en Suisse, recherche activement des contributions financières ou en nature pour que cette initiative novatrice puisse pleinement aboutir.
Si vous souhaitez soutenir les activités du consortium et contribuer à transformer la vie de personnes ayant des difficultés à lire des textes imprimés, contactez Accessible.Books@wipo.int.
L’Inde, premier pays à ratifier le Traité de Marrakech
Tout juste un an après sa conclusion, l’Inde est devenue le premier pays à ratifier le Traité de Marrakech, un texte historique visant à faciliter l’accès aux livres des personnes ayant des difficultés de lecture des textes imprimés.
Selon le représentant permanent de l’Inde auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, M. l’Ambassadeur Dilip Sinha, “l’Inde appuie le Traité de Marrakech pour sa dimension en matière de droits de l’homme et de développement social. La ratification rapide du traité reflète l’engagement de l’Inde à faciliter l’accès de millions d’aveugles, de déficients visuels et de personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées.”
“Nous espérons que d’autres pays suivront rapidement l’exemple de l’Inde de manière à ce que le traité puisse entrer en vigueur et que nous commencions à voir les avantages concrets et tangibles pour la communauté mondiale des aveugles et des déficients visuels”, a-t-il ajouté.
Le traité entrera en vigueur lorsque 20 ratifications ou adhésions auront été présentées à l’OMPI.
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