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Cardiopad : au cœur des communautés rurales d’Afrique

Septembre 2014

Par Edward Harris, Division des communications, OMPI

Dans une clinique isolée de Mbankomo, le long d’une piste de terre rouge du Cameroun, un médecin pose des électrodes sur la poitrine d’un patient allongé sur une table d’examen. Tout en lui murmurant des paroles rassurantes, il enregistre son activité cardiaque sur une tablette médicale à écran tactile de conception africaine. Les données sont ensuite transmises via le réseau de téléphonie mobile sans fil à des spécialistes travaillant dans de grands centres urbains à plusieurs dizaines de kilomètres de là pour y être interprétées, avant qu’un diagnostic ne soit posé et un traitement prescrit.

Vidéo: Rencontre avec Arthur Zang, Inventeur de Cardiopad Video | Visionner sur YouTube

En permettant de réaliser des examens comme des électrocardiogrammes dans des villages reculés d’Afrique, cette tablette donne la possibilité de dispenser des soins cardiaques adéquats dans des cliniques rurales souvent mal équipées où se rendent de nombreux Camerounais pour se faire soigner. Elle met ainsi en relation des patients vivant en milieu rural (qui le plus souvent n’ont ni les moyens, ni le temps, les relations ou la force nécessaires pour se rendre dans une grande ville) avec les quelques cardiologues que compte le Cameroun, établis pour la plupart dans de grands centres urbains.

Mis au point par un jeune ingénieur camerounais de 26 ans, Arthur Zang, le Cardiopad devrait permettre à des communautés rurales isolées de bénéficier de soins cardiaques adaptés. De construction robuste, il est conçu pour résister au climat humide et aux chemins accidentés menant aux villages éloignés. Muni d’une batterie, il dispose d’une autonomie de près de six heures à pleine puissance. (Photo: E. Harris/OMPI).

Susceptible de sauver des vies, le Cardiopad – mis au point au Cameroun en réponse à une problématique nationale mais diffusé dans toute l’Afrique – est le fruit de la créativité d’un jeune ingénieur de 26 ans, Arthur Zang. Pour l’heure, la lecture et l’interprétation de la fréquence cardiaque n’en sont qu’au stade de la simulation, mais la situation pourrait rapidement évoluer si M. Zang parvient à ses fins.

Lauréat de nombreuses récompenses et subventions internationales, M. Zang nourrit l’espoir que son invention – une sorte d’iPad équipé d’un logiciel artisanal destiné à inonder la brousse africaine – va révolutionner la médecine cardiaque au Cameroun. Il en fait aussi une affaire personnelle. “Plusieurs membres de ma famille souffrent de problèmes cardiaques,” explique-t-il en évoquant la récente disparition de son oncle, atteint de cardiopathie. “Cette situation m’a touché à titre personnel mais surtout, je crois qu’elle a servi de déclencheur parce que je connais bien le quotidien des habitants du village … J’y ai vécu, et je sais à quel point il est difficile d’accéder à des soins spécialisés.”

Selon M. Zang, le Cameroun compte à peine quelques dizaines de cardiologues pour environ 22 millions d’habitants, lesquels se concentrent pour la plupart dans de grands centres urbains comme la capitale, Yaoundé, ou dans la principale ville portuaire du pays, Douala. D’après la Banque mondiale, près de la moitié de la population vit en milieu rural et, parmi les citadins, nombreux sont ceux qui n’ont pas accès à des spécialistes en cardiologie.

Un dispositif qui pourrait sauver des vies

Le jeune ingénieur a décelé un problème et s’est efforcé de le résoudre. En 2009, alors qu’il est encore étudiant, M. Zang entreprend le développement d’un logiciel capable d’aider les médecins à suivre l’état de santé cardiovasculaire de leurs patients. Il prend contact avec un cardiologue de Yaoundé, le professeur Samuel Kingué, qui l’aide à mieux cerner le type de solution technique. Sur la base de ces informations, il rédige un programme qu’il propose ensuite sous forme de logiciel standard. Très rapidement cependant, il prend conscience que, pour plus de souplesse, il a besoin de sa propre plate-forme, ce qui le pousse à créer son propre matériel. C’est ainsi que ce que M. Zang désigne comme la première tablette médicale d’Afrique voit le jour : le Cardiopad.

Le Cardiopad dispose d’une interface tactile intuitive adaptée aux besoins des professionnels de santé travaillant à distance qui pourraient ne pas être parfaitement informés des derniers outils informatiques et ne pas avoir tout le savoir-faire nécessaire pour les manipuler. Lors d’essais menés par la communauté scientifique du Cameroun, le Cardiopad s’est révélé fiable à 97,7%. De construction robuste, il est conçu pour résister au climat humide et aux chocs subis lors du transport sur des routes défoncées, le plus souvent non asphaltées, à l’image de celle qui mène à la clinique de Mbankomo. L’appareil est également capable de résister aux fréquentes coupures d’électricité qui surviennent au Cameroun et dans l’ensemble de l’Afrique. Muni d’une batterie, il dispose d’une autonomie de près de six heures à pleine puissance.

Grâce à une aide de près de 30 000 euros accordée par le Gouvernement camerounais, M. Zang a pu mettre au point un prototype et se rendre en Chine, où il a trouvé une usine capable de produire une série limitée de tablettes, le temps qu’il trouve de nouveaux partenaires pour l’aider à financer son projet. Obtenir des financements n’a pas été chose facile, et trouver le bon interlocuteur au sein de sociétés étrangères demeure un véritable défi, tout comme la mise au point d’un bon argumentaire. L’appareil vise en effet à venir en aide à des Africains au sein de communautés rurales et démunies, ce qu’un grand nombre de sociétés ne considère pas comme une perspective prometteuse, explique M. Zang. C’est la raison pour laquelle il envisage de recourir à un modèle de financement très en vogue – le financement collectif – en s’appuyant sur des plates-formes comme Kickstarter qui permettent à des internautes de faire des dons ou d’acheter des parts dans de jeunes entreprises.

À présent, il recherche de nouveaux financements dans l’espoir de tirer parti du Prix Rolex Jeunes Lauréats, doté de 50 000 CHF, obtenu en 2014. En dépit de problèmes constants de financement, les premières tablettes qu’il a réussi à produire sont désormais testées dans plusieurs hôpitaux du Cameroun.

Le but de M. Zang est de fabriquer et de commercialiser son appareil pour environ 2200 euros l’unité, soit un prix nettement inférieur à celui d’autres dispositifs disponibles dans le commerce moins facilement transportables. Il espère ainsi que les établissements qui achèteront le Cardiopad à moindre coût seront en mesure de faire baisser le prix des examens médicaux et d’accélérer la pose de diagnostics.

(Photo: Mimore Medical)

La protection par brevet du Cardiopad

Le jeune ingénieur a également fait appel au système de la propriété intellectuelle pour faire avancer ses travaux. En décembre 2011, il a déposé une demande de brevet par le biais de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) de Yaoundé [voir encadré]. Sa technologie a ainsi été protégée par un brevet (n° 16123) délivré par l’OAPI portant sur certains aspects du logiciel mais aussi du matériel informatique.

Obtenir ce brevet fut une étape importante pour M. Zang. “Je l’ai fait pour me rassurer,” indique-t-il, “mais aussi pour protéger le produit et jouir d’une bien plus grande crédibilité auprès, par exemple, des partenaires avec qui je souhaitais signer des contrats pour pouvoir fabriquer puis commercialiser le produit.”

Dès qu’il disposera de fonds suffisants, il envisage également d’enregistrer le Cardiopad ainsi que sa société, Himore Medical, actuellement chargée de la production de la tablette, en tant que marques.

“La propriété intellectuelle a beaucoup à nous apporter en Afrique car elle renforce la crédibilité des produits africains. Or c’est un élément essentiel de tout plan d’activités, sachant que si vous manquez de crédibilité, vous aurez du mal à vendre vos produits,” explique M. Zang.

Une initiative au rôle moteur

Le jeune entrepreneur a déjà engagé une collaboration avec d’autres ingénieurs camerounais afin d’élaborer toute une gamme de nouveaux appareils médicaux et de développer de nouvelles techniques à destination des zones rurales. En matière d’innovation, il attire l’attention sur l’existence d’un certain décalage au Cameroun, sachant que dans le domaine de la médecine par exemple, la plupart des créateurs et des inventeurs sont aussi jeunes que lui (environ la moitié de la population camerounaise a moins de 18 ans), si bien qu’il est rare qu’ils souffrent de pathologies contre lesquelles des produits comme le Cardiopad entendent lutter.

En outre, compte tenu de la croissance rapide de la population urbaine, il se pourrait que les besoins spécifiques des personnes vivant dans des zones rurales isolées soient négligés. Aux yeux de M. Zang, pour innover, il faut faire preuve d’ouverture d’esprit, d’une solide connaissance du fonctionnement économique d’un écosystème donné et d’une aptitude à commercialiser ses idées.

“Il ne suffit pas d’avoir des idées innovantes,” explique-t-il. “Il faut aller plus loin, sonder les problèmes auxquels se heurtent les Africains, poursuivre les recherches pour trouver des solutions, subventionner la création d’entreprises, créer des pépinières d’entreprises capables de faire éclore de nouveaux projets, d’encourager les chercheurs et les ingénieurs et de les aider concrètement à passer de la phase d’étude à la phase de fabrication.”

La réalisation d’un rêve

En somme, M. Zang ne rêve que de continuer à œuvrer à “l’amélioration des conditions de vie” en étendant ses activités à d’autres technologies médicales, par exemple en concevant des appareils spécialement adaptés dans les domaines de l’échographie ou de la radiologie.

À la clinique de Mbankomo, ce type d’équipement de pointe fait cruellement défaut. Entouré d’une parcelle impeccable au sol balayé parsemé d’arbres d’ombrage, le bâtiment d’un étage présente une apparence austère. Les salles de consultation sont rafraîchies en ouvrant les fenêtres mais n’abritent que très peu de machines sophistiquées. M. Zang indique que les médecins qui y travaillent n’arrivent pas à faire face aux besoins de santé des patients, dont le degré de gravité va de bénin à fatal. Connecter des cliniques de ce type, via le réseau de téléphonie mobile, à des hôpitaux mieux équipés, c’est créer un lien vital.

M. Zang espère pouvoir prochainement produire le Cardiopad au Cameroun et aider le pays à créer un centre de fabrication d’appareils à moindre coût spécialement adaptés aux milieux ou aux marchés à plus faibles ressources, à l’image de ceux de l’Afrique de l’Ouest.

“Ces appareils permettront une diminution du coût des examens médicaux et un accès élargi à des soins de qualité, jusque dans les villages les plus reculés,” déclare-t-il. “C’est le rêve qui me tient le plus à cœur.”

L’OAPI

L’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) assure la protection des droits de propriété intellectuelle dans la plupart des pays francophones d’Afrique. Elle a vu le jour en 1977 suite à l’adoption de l’Accord de Bangui visant à instaurer une législation uniforme en matière de propriété intellectuelle et à créer un office de propriété industrielle commun à Yaoundé, au Cameroun. L’OAPI compte 17 États membres : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, les Comores, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République centrafricaine, le Sénégal, le Tchad et le Togo.

Dans chaque État membre, l’OAPI tient lieu à la fois d’office national de la propriété intellectuelle et d’organisme central de documentation et d’information en la matière. Elle offre également des formations et participe à l’élaboration de politiques de propriété intellectuelle.

Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.