La détermination de Gilead à éradiquer l’hépatite C
Par Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
On estime à 185 millions le nombre de personnes atteintes par le virus de l’hépatite C (VHC) dans le monde, la plupart d’entre elles vivant dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Qualifié de “tueur silencieux”, le virus passe souvent inaperçu, jusqu’à ce que de graves lésions hépatiques apparaissent (cirrhose ou cancer du foie). De nombreux porteurs du virus développent une infection chronique et, jusqu’à récemment, ils devaient suivre un traitement antiviral complexe, conjugué à la prise d’Interféron et de Ribavirine. Cette thérapie était difficile à administrer et souvent mal tolérée.
En tant que telle, elle n’est pas disponible dans tous les pays et la plupart des patients qui auraient besoin d’être traités ne le sont pas. Le progrès scientifique dans le domaine des médicaments antiviraux a néanmoins débouché sur des régimes thérapeutiques plus simples, plus sûrs et plus efficaces, aux taux de guérison plus élevés. Gilead Sciences, Inc., la société américaine de recherche en produits pharmaceutiques, a dernièrement obtenu l’approbation des autorités réglementaires des États-Unis d’Amérique pour mettre sur le marché deux nouveaux traitements révolutionnaires; elle s’emploie désormais à les rendre plus largement accessibles. Gregg Alton, directeur général adjoint des affaires institutionnelles et médicales chez Gilead, nous fait part des difficultés qu’il rencontre dans cette entreprise.
Quels sont les avantages des nouveaux traitements de Gilead contre le VHC?
Jusqu’ici, les traitements contre le VHC étaient très toxiques, difficiles à administrer, mal tolérés par les patients et, dans la plupart des cas, les populations des pays en développement n’y avaient pas accès. Les nouveaux produits proposés par Gilead changent profondément la donne et pourraient radicalement transformer la lutte contre l’hépatite C.
En quoi consistent ces nouveaux traitements et comment envisagez-vous de les distribuer à l’échelle mondiale?
Nous nous concentrons sur la mise au point de produits novateurs simples à utiliser et présentant des taux de guérison élevés. À ce jour, nous avons conçu le Sovaldi® (sofosbuvir), efficace dans le traitement des souches 1 à 4 du VHC, et l’Harvoni®, une association médicamenteuse fixe de ledipasvir et de sofosbuvir, particulièrement efficace dans le traitement de la souche 1 du virus. Nous travaillons également à l’élaboration d’un régime thérapeutique pangénotypique (le GS-5816), actuellement en phase 3 de développement, au potentiel extrêmement prometteur en ce qui concerne la lutte contre l’hépatite C dans le monde.
Au début de nos travaux de recherche sur le VHC, en 1986, notre taux de réussite était de 6%. Aujourd’hui, grâce à ces nouveaux médicaments, nous guérissons 94% des patients atteints de l’hépatite C. Nous sommes convaincus qu’il est désormais possible d’éradiquer la maladie à l’échelle mondiale mais pour ce faire, des approches innovantes en matière d’accessibilité sont indispensables.
En septembre 2014, nous avons conclu des accords de licence avec sept sociétés indiennes spécialisées dans la fabrication de produits génériques dans le but d’élargir l’accès à nos médicaments contre le VHC. Les 91 pays relevant de ces accords représentent près de 54% du nombre de personnes touchées par le virus dans le monde, soit plus de 100 millions d’individus. De tels accords de licence ont eu un effet notable sur notre capacité à élargir l’accès à nos traitements contre le VIH dans le monde (voir l’article “Une concession de licences novatrice élargit l’accès aux traitements contre le VIH”).
Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés en ce qui concerne l’élargissement de l’accès aux traitements contre le VHC?
Sur le plan médical, lutter contre le VHC à l’échelle mondiale est un énorme défi car le virus présente six souches différentes, chacune d’entre elles nécessitant un traitement particulier. Pour les pays en développement, aux ressources limitées et aux faibles capacités de diagnostic et de génotypage, il est particulièrement important de proposer une solution couvrant l’ensemble des génotypes. Actuellement à l’étude, notre régime pangénotypique (le GS-5816, que nous espérons pouvoir mettre sur le marché en 2016) peut traiter l’ensemble des six souches dans le cadre d’une seule et même thérapie, avec un taux de guérison supérieur à 90% pour chaque souche. Ce médicament permettra notamment de surmonter le problème lié à l’établissement des diagnostics dans les pays en développement.
Sur le plan politique, le plus gros défi consiste à obtenir les financements nécessaires. Nous avons de solides ressources chez Gilead en termes de recherche-développement, d’activité réglementaire, de développement clinique et de fixation des prix, mais au bout du compte, pour concrétiser tous nos efforts, nous avons besoin que les gouvernements nationaux et les bailleurs de fonds internationaux se mobilisent. La prise en charge des patients ne pourra pas uniquement reposer sur des médicaments à bas prix. Pour parvenir à élargir l’accès aux traitements, il est crucial que les ONG et les patients réclament des financements et la mise en œuvre de programmes de traitement, et que les gouvernements investissent dans le renforcement des capacités nationales dans le domaine de la santé.
Dans le cas du VIH, le financement offert par les bailleurs de fonds internationaux a joué un rôle déterminant dans la création d’un marché viable et concurrentiel pour les antirétroviraux et dans la baisse des prix des médicaments. Aujourd’hui, toute la question est de savoir si un marché similaire verra le jour pour le VHC, si la lutte contre la maladie connaîtra une mobilisation internationale aussi importante et si des pays donateurs seront prêts à verser des milliards de dollars pour que des pays en développement aient accès aux traitements. Chez Gilead, nous avons décidé que rester les bras croisés dans l’attente de financements n’était pas la solution. Nous avons pris les devants, convaincus qu’il est de la responsabilité des entreprises nationales d’agir dès à présent.
Faits nouveaux
Depuis la réalisation de cet entretien, plusieurs faits nouveaux sont apparus en lien avec le programme de lutte contre le VHC de Gilead. Le 13 janvier 2015, le Sovaldi (sofosbuvir), autorisé par les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne, a obtenu l’approbation réglementaire de l’Inde, premier pays d’Asie à donner son aval à ce médicament. La demande d’approbation a été traitée en quatre mois à peine, un record.
Le 14 janvier 2015, Gilead a appris que l’Office indien des brevets rejetait sa demande de brevet sur les métabolites du sofosbuvir. L’office jugeait en effet que ces métabolites présentaient bien un caractère nouveau et inventif mais rejetait la demande en invoquant l’article 3.d) de sa législation nationale sur les brevets qui stipule qu’une invention assimilable à “la simple découverte d’une nouvelle forme de substance connue, qui ne renforce pas l’efficacité connue de cette substance” ne peut être brevetée. Pour contester cette décision, le 21 janvier 2015, Gilead a déposé une requête devant la Haute Cour de Delhi en invoquant un rejet fondé sur une application erronée des règles et de la législation. Le 30 janvier, la Haute Cour de Delhi a ordonné le renvoi de la demande de brevet de Gilead devant l’Office indien des brevets en vue d’un nouvel examen, ce qui a eu pour effet de rouvrir le dossier. La demande de brevet déposée par Gilead va donc faire l’objet d’un nouvel examen auprès de l’office des brevets et la société va présenter de nouveaux éléments à l’appui de sa requête. Gilead est persuadée que cette demande et d’autres demandes portant sur des inventions liées au sofosbuvir remplissent toutes les conditions pour être acceptées au titre de la législation indienne sur les brevets.
Le 26 janvier 2015, Gilead a élargi ses accords de licence en incluant le régime thérapeutique pangénotypique GS-5816, actuellement en phase expérimentale. Ces accords élargis permettront aux partenaires indiens de Gilead de fabriquer le GS-5816 et le régime thérapeutique à base de sofosbuvir/GS-5816 à prise unique pour les distribuer, une fois approuvés, dans 91 pays en développement, sachant que ces pays totalisent 54% des personnes touchées par le virus de l’hépatite C dans le monde. Proposer une solution thérapeutique couvrant toutes les souches du virus est particulièrement important pour les pays en développement, où l’analyse du génotype est souvent peu fiable ou difficile à réaliser.
Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de la mise en œuvre de votre programme concernant l’élargissement de l’accès aux traitements contre le VIH?
Nous sommes persuadés que l’adoption d’un système de prix différentiels – en vertu duquel le prix d’un traitement est fixé en fonction du revenu national et de la charge de morbidité de tel ou tel pays – conjuguée à la fabrication et à la distribution de produits génériques dans différents pays peut considérablement améliorer l’accès aux médicaments. C’est ce que nous avons appris de notre programme sur l’accès aux traitements contre le VIH (lequel comprend également des traitements contre l’hépatite B). Ce sera donc l’un des piliers de notre approche concernant l’élargissement de l’accès aux traitements contre le VHC.
Nous devons travailler en étroite collaboration avec les ministères de la santé du monde entier pour qu’ils nous apportent leur soutien et nous aident à obtenir l’approbation réglementaire nécessaire pour ces produits, à établir des guides thérapeutiques et à créer des programmes de sensibilisation aux maladies. Nous sommes également prêts à coopérer avec des organisations non gouvernementales (ONG) et des gouvernements pour élaborer des approches sur mesure et atteindre les populations touchées dans les pays à revenu intermédiaire.
Nous avons également appris de notre expérience dans le traitement du VIH qu’il était essentiel d’obtenir au plus vite une approbation réglementaire internationale. Avant même d’aborder les questions de prix et d’accès aux traitements, le fait est qu’il nous est impossible de commercialiser un produit dans un pays tant qu’il n’a pas été autorisé. Dans de nombreux pays, l’approbation réglementaire est subordonnée à la réalisation d’essais cliniques, ce qui peut retarder la mise sur le marché d’un médicament d’une durée pouvant atteindre trois ans. L’Égypte, où la prévalence du VHC est la plus élevée au monde, a décidé de déroger aux exigences relatives aux essais cliniques concernant nos médicaments contre l’hépatite C, ce qui nous a permis de les commercialiser dans l’année qui a suivi leur approbation réglementaire aux États-Unis d’Amérique. Nous espérons que d’autres pays feront de même.
Nous faisons preuve d’une très grande transparence s’agissant de notre stratégie de dépôt de demandes d’approbation réglementaire. En règle générale, nous déposons des demandes dans les pays où nous pourrons toucher le plus grand nombre de patients dans le délai le plus court possible. La charge de morbidité d’un pays et sa volonté de traiter les personnes atteintes sont deux facteurs déterminants dans notre décision de déposer ou non une demande. L’Égypte est un excellent exemple de pays résolu à lutter contre le VHC. En nous concertant, nous sommes parvenus à négocier un prix de 300 dollars É.-U. pour un flacon de Sovaldi, soit 1800 dollars pour un traitement de 24 semaines. Nous sommes également en étroits pourparlers pour introduire le Harvoni en Égypte. Au titre des accords en vigueur, 50 000 patients bénéficieront d’un traitement d’ici à la fin 2015. Nous espérons améliorer considérablement l’accès au traitement au fil du temps. Outre l’obtention des autorisations réglementaires, la formation et l’enseignement de la médecine sont deux éléments clés de l’élargissement de l’accès aux traitements. Il serait également utile de disposer de prévisions sur la demande mondiale de façon à ce que Gilead et ses partenaires spécialisés dans la fabrication de produits génériques puissent garantir aux patients un accès aux traitements en temps utile.
Les partenariats que nous avons établis avec des fabricants indiens de produits génériques – experts mondiaux en chimie des procédés et aux compétences éprouvées en termes de qualité et de régularité – jouent un rôle essentiel dans l’augmentation des capacités de fabrication et nous aident à réaliser notre objectif : faire en sorte que les patients qui en ont besoin bénéficient effectivement de l’innovation scientifique de Gilead.
Les accords de licence conclus avec nos partenaires fabricants de génériques prévoient un transfert de technologie complet, y compris en ce qui concerne notre savoir-faire. En tant qu’entreprise axée sur l’innovation, nous faisons de la recherche fondamentale dans le but d’identifier les molécules et de les développer sur le plan clinique. Les fabricants de génériques avec qui nous travaillons ont la capacité de produire à grande échelle des médicaments à bas prix. Grâce au transfert de technologie, ils peuvent rapidement accroître la production, en quantités commerciales, de médicaments de qualité, sûrs et efficaces. Établir des partenariats facilite également l’obtention de l’approbation réglementaire car nos partenaires fabricants de génériques peuvent citer les techniques de fabrication et les données transmises par Gilead. Pour réduire encore le temps qui sépare la fabrication des produits par nos partenaires et leur distribution aux patients, nous concédons également sous licence des molécules en essais de phase 3.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux gouvernements?
Nous espérons que les gouvernements profiteront de l’opportunité offerte par les innovations scientifiques dans le domaine de la lutte contre le VHC pour mettre en œuvre des programmes de traitement et améliorer la santé publique et le bien-être des populations. Nous entendons collaborer avec des gouvernements du monde entier à la mise en application de programmes destinés à dépister et à traiter les patients atteints d’hépatite C.
Quelle sera l’incidence de la découverte de ce traitement sur votre activité à long terme??
Gilead et l’ensemble de l’industrie travaillent sur le VHC depuis les années 90 et ont investi près de 50 milliards de dollars É.-U. dans quelque 700 molécules. Notre nouveau traitement contre le VHC peut guérir un patient en l’espace de huit semaines à peine. Sur certains des marchés que nous desservons, le prix de nos produits a soulevé la polémique mais il est important que les gens comprennent que les médicaments contre le VHC que nous proposons représentent une dépense non récurrente en échange d’un traitement qui, à long terme, permet de réaliser de substantielles économies.
Pensez-vous que la propriété intellectuelle permet l’accès aux soins de santé?
Nous sommes convaincus que le système de propriété intellectuelle peut et parvient effectivement à faciliter l’accès aux soins de santé. Nous avons démontré qu’en fixant un prix juste et adapté pour nos produits, en concertation avec les gouvernements et d’autres parties intéressées, et en les concédant sous licence à des fabricants de génériques pour accroître la capacité de production et réduire encore les prix, il est possible d’élargir l’accès à des médicaments à un prix abordable.
Dans quel sens souhaiteriez-vous voir évoluer le débat sur la propriété intellectuelle?
J’aimerais que la question de la propriété intellectuelle et de l’accès aux médicaments fasse l’objet d’un débat plus rationnel axé sur la façon dont le système de propriété intellectuelle peut et doit être mis à profit. Le modèle proposé par Gilead a montré qu’un régime de propriété intellectuelle qui favorise l’accès aux traitements et l’innovation présente des avantages incontestables. Pour faire réellement évoluer le débat sur la propriété intellectuelle, d’autres sociétés devront néanmoins se mobiliser et adopter des approches similaires en ce qui concerne la gestion de leurs actifs de propriété intellectuelle. À cet égard, l’organisation Medicines Patent Pool joue un rôle clé en faisant adhérer d’autres sociétés à son projet grâce à des solutions que nous ne serions pas en mesure de déployer. L’étape suivante, naturellement, consiste à étendre le modèle à d’autres maladies que le VIH et le VHC. Pourquoi pas?
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