Peut-on protéger son image comme on protège sa marque?
David Evans, Directeur de Collas Crill IP, Guernesey (Royaume-Uni)
“Aujourd’hui en Angleterre, le droit général d’une personne célèbre (ou de tout autre individu) à exercer un contrôle sur la reproduction de son image n’existe pas.” C’est ce qu’a déclaré le juge Birss dans une affaire récente ayant opposé la pop star Rihanna à la chaîne de vêtements Topshop devant la Haute Cour du Royaume-Uni (Fenty & Ors c. Arcadia Group Brands Ltd (t/a Topshop) & Anor).
Cette allusion directe à la situation actuelle du droit à l’image au Royaume-Uni semble en contradiction totale avec ce qui se passe partout dans le monde s’agissant de l’utilisation de l’image de célébrités. Elle semble également en désaccord avec le régime fiscal appliqué à ce type de droit au Royaume-Uni et à l’étranger et avec les contrats conclus quotidiennement entre les célébrités et les sociétés privées en la matière.
Depuis de nombreuses années, la pratique courante veut que les vedettes du sport et les artistes aient deux grandes sources de revenus : les revenus provenant de leurs prestations et les revenus dits “autres”. Les sommes provenant d’accords de parrainage et d’accords promotionnels, ainsi que les paiements ponctuels en échange d’apparitions en public, relèvent de cette deuxième catégorie. Il est donc admis, comme le montre l’existence même de ce système à deux niveaux, que ces individus peuvent obtenir deux types de revenus distincts, les premiers actifs et les seconds passifs. Ces activités connexes sont généralement regroupées sous la bannière collective de “droit à l’image” et la notion de paiement en échange du droit d’exploiter une image s’est banalisée.
Il semble donc illogique que le système juridique ne reconnaisse pas ce droit en tant qu’élément distinct de la propriété intellectuelle et n’ait prévu aucun système d’enregistrement comparable à celui des marques. Soumettre des droits inexistants à une fiscalité est tout aussi illogique. L’organisme en charge du recouvrement des impôts du Royaume-Uni (Her Majesty’s Revenue & Customs, (HMRC)) a récemment émis un avis sur l’impôt sur les gains en capital en rapport avec le droit à l’image. Si cet avis permet effectivement de définir les modalités en la matière, il n’en reste pas moins que ce droit est censé ne reposer sur aucun fondement juridique.
Chose intéressante, l’avis du HMRC porte sur le transfert du droit à l’image à des tiers (voir Intellectual Property Rights: assignment of "image rights” (CG68420)). Au Royaume-Uni, le vide juridique dans ce domaine, tel que décrit plus haut, signifie que tout transfert de droit à l’image équivaut en réalité à un transfert de notoriété. Or, la notoriété allant de pair avec l’exercice d’une véritable activité commerciale, toute opération de ce type aura de fortes chances d’être déclarée nulle et non avenue, le titulaire initial du droit à l’image n’ayant exercé aucune activité commerciale en lien avec ce dernier. Cette situation s’apparente à celle d’un propriétaire de marque qui la perdrait pour défaut d’usage.
Comment en est-on arrivé là? Comment expliquer la fascination exercée par le droit à l’image et le fait qu’il soit traité de manière si différente d’un pays à l’autre? Est-ce parce qu’on l’associe généralement à des personnes célèbres?
La célébrité, source de l’intérêt manifesté envers un nouveau type de droit
Le droit à l’image est un concept assez récent. Kevin Keegan, le joueur de foot anglais emblématique des années 70, fut le premier grand sportif à chercher à exercer son droit à l’image et à conclure un contrat en la matière. Cet accord, signé lors de son transfert du Royaume-Uni vers l’Allemagne, faisait écho à la notoriété du joueur en dehors du terrain et à sa capacité à faire vendre des produits. Les États-Unis d’Amérique, eux, se sont dotés de longue date d’un “droit de publicité”, mais il ne jouit pas de la même reconnaissance d’un État à l’autre et il est appliqué de manière quelque peu aléatoire. Moins de la moitié des États américains le reconnaissent. Cela étant, les États-Unis d’Amérique se montrent beaucoup plus cléments s’agissant de la reconnaissance des aspects commerciaux de ces droits que d’autres pays, par exemple le Royaume-Uni.
Aujourd’hui, à une époque marquée par un plus grand nombre de litiges, on trouve de nombreux faits divers touchant au droit à l’image de personnes célèbres. Le chanteur Rod Stewart, par exemple, a été poursuivi en justice pour avoir utilisé une photo de lui prise par un photographe semblable à celle qui avait été prise par un autre photographe. De même, l’acteur Frank Sivero, vu dans le film Les Affranchis, a intenté un procès aux créateurs du dessin animé Les Simpsons pour avoir détourné son image afin de créer le personnage de Louie.
De manière analogue, Lindsay Lohan et Manuel Noriega ont entamé des poursuites pour utilisation de leur apparence dans des jeux vidéo. Ce type d’action en justice n’est possible que si le plaignant estime qu’il y a un enjeu. Toutes ces plaintes devant la justice américaine n’en demeurent pas moins déposées dans un pays qui, bien que doté de règles régissant le “droit de publicité” plus élaborées qu’au Royaume-Uni, ne prévoit pour ce type de droit aucun système d’enregistrement de quelque forme que ce soit.
La question se pose donc de savoir comment la loi peut venir en aide aux personnes victimes d’un préjudice suite à l’utilisation commerciale non autorisée de leur image personnelle. La solution, au Royaume-Uni tout au moins, a consisté à combiner tout à la fois le droit au respect de la vie privée, la commercialisation trompeuse et le délit de cautionnement fallacieux pour donner naissance à un ensemble hétéroclite de droits dont aucun, au bout du compte, n’est parfaitement adapté aux réalités du moment s’agissant du culte du vedettariat, de ses enjeux commerciaux et de la puissance de l’Internet.
Plusieurs affaires portées devant la justice britannique, notamment l’affaire Douglas c. Hello! Ltd, l’affaire Edmund Irvine and Tidswell c. Talksport Ltd ou encore l’affaire Rhianna mentionnée plus haut témoignent de la diversité des approches juridiques aplliquées dans ce domaine sensible. Chacune de ces affaires reposait sur des faits particuliers. Et aucun consensus ne se dégage sur la façon de traiter le droit d’auteur, ni du point de vue juridique, ni du point de vue de la propriété intellectuelle.
Selon moi, en raison de la profonde mutation provoquée par l’Internet ces 20 dernières années, les outils traditionnels que constituent le droit d’auteur et les marques sont incapables de résoudre les questions posées par le droit à l’image. De fait, le droit d’auteur protège uniquement les créateurs d’une œuvre (ou leurs cessionnaires), tandis que les marques visent à protéger les noms et les marques dans les secteurs où ils interviennent. Il n’existe donc aucun outil législatif qui définisse précisément le droit à l’image et permette de réparer le préjudice subi par un individu suite à l’utilisation illicite de son image.
Guernesey crée le tout premier registre du droit à l’image au monde
C’était effectivement le cas jusqu’à ce que Guernesey, l’une des îles de l’archipel anglo-normand, prenne la courageuse décision en 2012 de créer le tout premier registre du droit à l’image au monde. Ce faisant, les autorités locales ont permis de codifier la personnalité d’un individu et son droit à l’image sous une forme pleinement fonctionnelle, grâce à l’enregistrement. Différents aspects précis d’une personnalité donnée peuvent désormais être enregistrés. Le registre prévoit plusieurs catégories de déposants différentes et plusieurs statuts – individu, couple, entreprise, personnage fictif ou groupe. Il permet aussi l’enregistrement de toutes sortes de moyens d’expression, par exemple des gestes, des mimiques, des voix, pour n’en citer que quelques-uns. En somme, il permet de brosser le “tableau” complet d’une personnalité. Une fois enregistrées, toutes ces caractéristiques peuvent faire l’objet de contrats de licence, de sous-licence ou de cession, au même titre que d’autres droits de propriété intellectuelle. Cette initiative représente un immense pas en avant en matière de reconnaissance et permet de mieux cerner le droit à l’image sur le plan juridique, ce qui s’était avéré difficile jusque-là.
Une fois ses droits enregistrés, le titulaire (une personne morale ou physique où qu’elle se trouve dans le monde) peut directement invoquer tel ou tel droit au moment de négocier un contrat de promotion ou de parrainage, ce qui peut être très utile en cas de litige. Au titre de la législation de Guernesey, tout ou partie de ces droits peut également être légué, permettant ainsi de transmettre aisément à la génération suivante un patrimoine de valeur. En outre, ces droits peuvent être renouvelés à l’infini, constituant ainsi une classe d’actifs à long terme. Comparé au droit d’auteur, qui voit sa durée de validité limitée dans le temps, le droit à l’image peut donc représenter une valeur inestimable pour la personnalité concernée et ses héritiers.
À l’instar des marques, du droit d’auteur et des brevets, être titulaire d’un droit à l’image peut avoir des conséquences sur le plan fiscal, et il convient de gérer soigneusement la façon dont ces actifs sont concédés sous licence ou cédés pour s’assurer qu’ils présentent un avantage fiscal durable. La possibilité de négocier et de gérer ce type de droit explique en partie pourquoi il rencontre un tel succès auprès des vedettes établies et des étoiles montantes. Sachant par exemple qu’une carrière sportive est relativement courte, il est essentiel pour un sportif de maximiser ses revenus en l’espace de quelques années pour pouvoir subvenir à ses besoins le jour où il ne sera plus au sommet de sa discipline.
Ce droit à l’image sert également de dispositif auquel recourir en cas d’atteinte par des tiers non autorisés et de négociations commerciales. Comme d’autres droits de propriété intellectuelle, le droit à l’image a un caractère territorial, ce qui signifie qu’il ne produit d’effets juridiques qu’à l’intérieur du pays ou de la région où il a été accordé. Néanmoins, toute atteinte sur l’Internet pourra éventuellement relever de la compétence des tribunaux de Guernesey, et par conséquent de sa législation sur le droit à l’image, sachant que de nos jours, c’est essentiellement sur la Toile que la plupart des atteintes à ce type de droit sont commises.
À noter par ailleurs que, sur le modèle du droit des marques, la justice peut être saisie aussi bien par le titulaire du droit que par son cessionnaire. À supposer que le droit à l’image soit détenu par une société tierce ou qu’il ait été cédé sous licence à un commanditaire, tous deux seront habilités à porter plainte en cas d’atteinte sans pour autant devoir forcément impliquer la personnalité concernée.
En légiférant sur la question, Guernesey a créé un modèle dont pourront s’inspirer d’autres juridictions et qu’elles pourront même envisager de copier dans le futur. Tant que l’Internet continuera de gagner du terrain et que l’apparent culte de la célébrité restera ancré dans les mentalités, il ne fait aucun doute que le droit à l’image ne cessera de gagner en importance et en valeur.
Tout comme le site de partage de photos en ligne Pinterest avait soulevé un certain nombre de questions intéressantes pour le droit d’auteur, le régime instauré par Guernesey soulève des interrogations sur le caractère approprié des outils traditionnels de propriété intellectuelle pour traiter du droit à l’image. Depuis son lancement en 2012, plus de 60 demandes ont été enregistrées, preuve de la demande croissante en matière de droit à l’image. Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour que d’autres juridictions prennent des mesures similaires et fassent en sorte que le droit à l’image des personnalités soit effectivement pris en compte dans la législation nationale?
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