Biotechnologie : la protection par brevet des facilitée par le Traité de Budapest de l’OMPI
L’homme utilise les micro-organismes depuis des millénaires. Vivants et microscopiques, ces organismes unicellulaires, à l’image des levures ou des bactéries, sont indispensables à la fabrication de produits alimentaires comme le vin, la bière ou le fromage. Il aura néanmoins fallu attendre le XXe siècle pour que l’application industrielle de ces usines en miniature prenne son essor. Une meilleure compréhension des processus biologiques, résultant en grande partie des travaux de recherche de Watson et Crick sur la structure de l’ADN, fut en effet le prélude au développement de techniques révolutionnaires comme le génie génétique, ce qui permit aux scientifiques de manipuler des micro-organismes de manière totalement inédite, dans le plus grand intérêt de la société.
Dans le domaine médical, les micro-organismes servent à produire une multitude de traitements essentiels, comme les antibiotiques, les vaccins ou l’insuline, ainsi que des outils de diagnostic. Dans l’agriculture, ils contribuent à la mise au point de nouvelles variétés de semences à haut rendement et plus résistantes. On les retrouve également dans les systèmes de gestion écologique des déchets et dans une foule d’applications industrielles, par exemple la production de carburants verts comme l’éthanol. Ces minuscules organismes renferment un immense potentiel en termes d’amélioration de notre qualité de vie, de préservation de notre cadre de vie et de réduction de notre empreinte carbone.
Nombreux sont ceux qui pensent que la biotechnologie est la clé qui nous permettra de relever une partie des défis colossaux auxquels se heurte l’humanité en ce XXIe siècle.
Développer de telles applications novatrices demande un investissement énorme en termes de temps, d’énergie et de ressources. Il s’agit en outre de recherches à haut risque, sachant que toute innovation réussie peut être imitée pour un coût limité. Dans ce contexte, les chercheurs et les entreprises du secteur de la biotechnologie s’appuient très fortement sur le système de la propriété intellectuelle, notamment sur les brevets, pour protéger leur savoir-faire et multiplier leurs chances d’obtenir un retour sur investissement.
Les critères à remplir pour obtenir une protection par brevet
Dans tous les domaines de la technologie, les déposants qui demandent une protection par brevet doivent remplir certains critères énoncés dans la législation nationale sur les brevets. En règle générale, pour pouvoir bénéficier d’une protection par brevet, une invention doit être nouvelle, non évidente pour une personne du métier, et utile ou susceptible d’application industrielle. La procédure de demande de brevet prévoit également une “obligation de divulgation” en vertu de laquelle le déposant doit décrire le fonctionnement de son invention. Cette description doit être suffisamment claire et précise pour permettre à un spécialiste du domaine en question d’exécuter l’invention, ce qui correspond à l’exigence concernant le “caractère suffisant” de la divulgation.
Ces obligations constituent un volet important du compromis social qui sous-tend le processus de délivrance des brevets. Le déposant bénéficie de la protection par brevet et, en contrepartie, il divulgue des informations sur son invention de sorte que des tiers puissent s’en inspirer et mettre au point une technique plus élaborée, contribuant ainsi à repousser les frontières du progrès technique. Ces renseignements relatifs aux brevets sont conservés dans de puissantes bases de données, à l’image du service PATENTSCOPE de l’OMPI, la plus grande base de données sur les brevets en libre accès au monde avec plus de 47 millions de documents de brevet gratuitement consultables.
Le cas particulier des brevets de biotechnologie
Dans le domaine technique, la plupart du temps, une description écrite suffit pour permettre à une personne du métier de reproduire une invention qui fait l’objet d’une demande de brevet. Or ce ne sera généralement pas le cas s’agissant des micro-organismes. Prenons le cas par exemple d’un organisme isolé à partir d’un échantillon de sol qui aurait été “amélioré” par mutation et sélection complémentaire. Il serait pratiquement impossible de décrire la souche et sa sélection de façon à permettre à un autre microbiologiste compétent d’obtenir une souche identique. En pareil cas, le micro-organisme lui-même est considéré comme faisant partie intégrante de la divulgation . C’est la raison pour laquelle de nombreux pays exigent, dans le cadre d’une demande de brevet portant sur un micro-organisme, que la divulgation soit complétée par le dépôt du matériel biologique en question auprès d’une collection de cultures spécialisée.
D’un point de vue pratique cependant, il serait impossible d’accompagner chaque demande de brevet de multiples échantillons. Les offices de propriété intellectuelle ne disposent pas des équipements appropriés pour stocker et conserver du matériel biologique et une telle obligation serait à la fois extrêmement onéreuse et chronophage.
Un mécanisme international pour faciliter l’obtention de brevets de biotechnologie
Conscients des difficultés propres au dépôt de brevets sur des micro-organismes, et de la nécessité de mettre en place une procédure internationale simplifiée et économique, les décideurs ont adopté vers la fin des années 70 le Traité de Budapest sur la reconnaissance internationale du dépôt des micro-organismes aux fins de la procédure en matière de brevets, administré par l’OMPI.
L’un des principaux avantages du Traité de Budapest réside dans le fait qu’aux fins de la procédure en matière de brevets, il n’est plus nécessaire de déposer de multiples échantillons du même matériel biologique auprès de centres de ressources biologiques dans chaque pays où la protection est demandée. Il offre ainsi aux déposants un moyen simple, efficace et économique de satisfaire aux obligations de divulgation liées à l’obtention de brevets sur des micro-organismes et d’autre matériel biologique.
Pour adhérer au Traité de Budapest, un pays ou une organisation intergouvernementale compétente n’est pas tenu de modifier en profondeur sa législation nationale ou régionale sur les brevets car le traité ne donne pas de définition du terme “micro-organisme” et ne prévoit pas de critères de brevetabilité.
Les principaux utilisateurs et parties au Traité de Budapest sont des offices de brevets, des déposants de matériel biologique, des déposants de demandes de brevet, des conseils en brevets, des scientifiques et des autorités de dépôt internationales (ADI).
Les collections de cultures nationales au cœur du dispositif
Aux termes du traité, des centres de ressources biologiques ou collections de cultures sont reconnus au titre d’ADI auprès desquelles peuvent être déposés et conservés des échantillons de matériel biologique relatifs à des brevets (ce qui permet de satisfaire à l’exigence de divulgation et de mise à disposition du public d’informations concernant l’invention). On dénombre actuellement 45 autorités de dépôt internationales dans le monde, et tout matériel biologique déposé auprès de l’une d’entre elles est reconnu par l’ensemble des membres du traité comme valable aux fins de la procédure en matière de brevets dans tous les pays dans lesquels une protection de l’invention en question est demandée. À ce jour, 79 pays ont adhéré au Traité de Budapest.
N’importe quel centre de ressources biologiques ou collection de cultures a la possibilité d’obtenir le statut d’ADI au titre du Traité de Budapest à condition de remplir certains critères et d’être officiellement nommé par un pays membre. Ces établissements sont spécialisés dans la collecte et le stockage de types précis de matériel biologique qu’ils mettent à disposition à des fins de recherche. À titre d’exemple, la Banque allemande de micro-organismes et de cultures cellulaires (Leibnitz Institut – Deutsche Sammlung von Mikroorganismen und Zellkulturen GmbH, (DSMZ)) abrite une collection ouverte de plus de 35 000 cultures d’archées, bactéries, ADN génomique, bactériophages, champignons, levures, cultures de cellules végétales, virus végétaux et cultures de cellules humaines et animales qu’elle met à la disposition de chercheurs du monde entier.
Toutes les ADI sont tenues de respecter un certain nombre d’obligations. Elles conviennent notamment d’accepter et de stocker le matériel déposé pour une durée d’au moins 30 ans ou pour une période d’au moins cinq ans après la réception de la plus récente requête en remise d’un échantillon, la plus tardive de ces deux dates étant retenue. Elles s’engagent également à ne remettre des échantillons de matériel déposé qu’aux seules parties habilitées (p. ex. toute personne présentant une autorisation écrite du déposant ou tout office des brevets “intéressé”). Stocker des substances biologiques et traiter des échantillons aux fins de la procédure en matière de brevets n’en reste pas moins onéreux; or le Traité de Budapest permet une réduction considérable de ces coûts.
La DSMZ a démarré ses activités en tant qu’ADI aux termes du Traité de Budapest en 1981. À ce titre, elle sert de “centre pour le dépôt sécurisé de matériel biologique aux fins de la procédure en matière de brevets”, indique Vera Bussas, représentante de la DMSZ en tant qu’ADI et responsable de la gestion des dépôts. Riche de plus de 8000 demandes de brevet déposées selon le Traité de Budapest, et capable d’accueillir une large palette de substances biologiques, la DSMZ est l’une des plus grandes autorités de dépôt internationales au monde.
Dès réception d’un échantillon lié à un brevet, la DSMZ contrôle la viabilité et la pureté du matériel biologique déposé. L’opération peut prendre de quelques jours à plusieurs semaines, en fonction du type de matériel et des espèces d’organismes. L’ADI délivre ensuite un récépissé de dépôt et une attestation de viabilité (formules BP/4 et BP/9). En règle générale, toutes ces informations doivent être remises au moment du dépôt de la demande de brevet; il convient donc de prendre des dispositions en amont.
La mise à disposition de matériel biologique aux fins de la recherche
“Nous nous chargeons ensuite de stocker et de conserver le matériel biologique sur une période minimum de 30 ans, conformément au Traité de Budapest”, explique Mme Bussas. “En règle générale, nous utilisons deux méthodes de conservation, à savoir la lyophilisation ou le stockage dans l’azote liquide, et la viabilité des cultures fait l’objet de contrôles réguliers”, ajoute-t-elle.
“Le principal intérêt du dépôt de matériel biologique lié à un brevet auprès d’une ADI est de le rendre accessible à des parties autorisées à des fins de recherche et d’examen”, explique Mme Bussas, précisant que les acteurs de l’industrie déposent un nombre d’échantillons bien plus élevé que leurs homologues au sein d’instituts de recherche. À l’échelle mondiale, les ADI fournissent pas moins de 2000 échantillons par an. “La DSMZ remet près de 150 échantillons par an, à destination essentiellement de clients industriels étrangers.”
Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Budapest début 1981, plus de 90 000 échantillons de matériel biologique relatif à des brevets ont été déposés auprès d’ADI du monde entier. En 2014, la Chine (à hauteur de 51%) et les États-Unis d’Amérique (à hauteur de 21,9%) représentaient 72,9% des dépôts. “Le nombre annuel des dépôts ne cesse d’augmenter, notamment auprès d’ADI d’Asie, lesquelles affichent des taux de progression stupéfiants”, indique Mme Bussas.
Permettre aux entreprises de biotechnologie de créer de la valeur
“Conscientes de l’énorme potentiel offert par la biotechnologie dans le traitement de la maladie chez l’homme, de nombreuses entreprises biopharmaceutiques ont fait une priorité de la découverte et du développement de micro-organismes capables de guérir un large éventail de pathologies, comme le cancer, les allergies ou des maladies auto-immunes et inflammatoires”, explique Emil Pot, conseiller juridique chez ActoGeniX, une petite entreprise de biotechnologie établie en Belgique.
“Dans les 10 prochaines années, ce domaine crucial devrait faire l’objet d’investissements encore plus conséquents et bien d’autres produits liés au génome humain devraient faire leur apparition sur le marché. En déposant ce précieux matériel biologique par le biais du Traité de Budapest, les entreprises ont la possibilité d’obtenir une protection par brevet et, ce faisant, d’en exploiter la valeur commerciale, de préserver leurs droits et d’ouvrir de nouveaux horizons en ce qui concerne le financement de la recherche”, fait observer M. Pot.
La multiplication des brevets de biotechnologie
Face à l’augmentation de la demande en brevets liés à la biotechnologie (le secteur a connu une hausse de 4,7% du nombre de brevets déposés entre 2007 et 2011) le nombre des ADI ne cesse de croître. En 1990, on en dénombrait à peine 10, contre 33 en 2000 et pas moins de 45 aujourd’hui. La majorité d’entre elles (soit 27) se situent en Europe, 4 se trouvent en Amérique du Nord, 10 en Asie, 2 en Australie et 2 autres en Amérique latine. Actuellement, seuls quatre pays en développement disposent de collections de cultures jouissant du statut d’ADI (voir encadré). Mme Bussas est persuadée que cette situation est amenée à rapidement évoluer : “Avec l’essor de la biotechnologie en Afrique et en Amérique du Sud, de plus en plus d’ADI devraient voir le jour dans ces régions du monde”.
Collections de cultures bénéficiant du statut d’ADI dans des pays en développement
Chine
- Centre chinois de cultures de référence (CCCR)
- Centre général chinois de cultures microbiologiques (CGCCM)
Chili
- Colección Chilena de Recursos Genéticos Microbianos (CChRGM)
Inde
- Microbial Culture Collection (MCC)
- Microbial Type Culture Collection and Gene Bank (MTCC)
Mexique
- Colección de Microorganismos del Centro Nacional de Recursos Genéticos (CM-CNRG) (statut d’ADI obtenu en août 2015)
Bien qu’elle table sur un élargissement du réseau mondial des ADI, Mme Bussas lance une mise en garde : “Avant de prétendre au statut d’autorité de dépôt internationale, il importe de disposer d’une collection de cultures qui fonctionne correctement”, explique-t-elle. “Il est essentiel que les pays actifs dans le secteur de la biotechnologie envisagent d’adhérer au Traité de Budapest, ce qui leur permettra de profiter de tous ses avantages en termes d’uniformité et de rentabilité des procédures.”
À l’heure où la recherche continue de repousser les limites du possible, et où le nombre de brevets liés au secteur de la biotechnologie ne cesse d’augmenter, l’avenir s’annonce prometteur pour le Traité de Budapest et l’expansion de son réseau d’ADI, sans parler des nombreuses entreprises de biotechnologie qui économisent du temps et de l’argent par leur intermédiaire.
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