L’édition aux Émirats arabes unis vue de l’intérieur
Catherine Jewell, Division des communications de l'OMPI
Bodour bint Sultan Al-Qasimi joue un rôle de premier plan dans le développement du secteur de l’édition aux Émirats arabes unis et dans la promotion de la lecture et de la littérature pour la jeunesse en langue arabe. Elle est la fondatrice et la directrice générale de la maison d’édition Kalimat, la fondatrice et la présidente d’honneur de la section émirienne de l’Union internationale pour les livres de jeunesse, la fondatrice et la présidente d’honneur de l’Association des éditeurs des émirats et la directrice de l’initiative Knowledge without Borders. Devenue en 2014 la première femme arabe à siéger au comité exécutif de l’Union internationale des éditeurs, Mme Al-Qasimi nous fait part de son point de vue sur l’évolution du monde de l’édition aux Émirats arabes unis et sur les opportunités et difficultés rencontrées.
Comment vous êtes-vous lancée dans l’édition?
J’ai découvert le monde de l’édition en 2007 par le biais de la littérature de jeunesse. À l’époque, il y avait très peu de livres pour enfants en langue arabe de qualité. On trouvait uniquement des traductions d’ouvrages étrangers à la qualité d’impression et aux illustrations médiocres. C’est ce qui m’a poussée à créer la maison d’édition Kalimat, dans l’objectif de proposer des livres de qualité écrits en arabe et capables de stimuler l’imagination et de donner le goût de la lecture aux enfants.
Comment décririez-vous le monde de l’édition actuel aux Émirats arabes unis?
L’édition aux Émirats arabes unis en est encore à ses débuts mais elle présente un énorme potentiel de développement au sein d’un secteur d’un grand intérêt stratégique aux plans national et régional.
Si on ne dispose d’aucun chiffre précis, on estime à un milliard de dirhams des Émirats arabes unis (environ 272 millions de dollars É.-U.) la valeur du marché du livre émirien, lequel devrait connaître un nouvel essor avec la multiplication des livres électroniques.
Dans un pays qui compte parmi les plus férus de nouvelles technologies au monde (92% de la population étant équipés d’Internet et 72% de smartphones), l’édition électronique est promise à un bel avenir. Pour autant, je reste convaincue que si la technologie numérique va incontestablement encourager la lecture, le livre papier continuera d’avoir sa place. La lecture sur papier restera toujours un plaisir (sachant par ailleurs qu’elle se révèle moins fatigante pour les yeux que la lecture sur écran). Ceci étant dit, pour rester dans la course, les éditeurs devront s’adapter au progrès technologique et créer suffisamment de contenus interactifs de qualité pour répondre aux besoins en constante évolution du consommateur.
Lors de mes premiers pas dans l’édition, je voyais l’avenir avec optimisme mais je n’aurais jamais pu imaginer que le secteur de l’édition en langue arabe connaisse un essor aussi fulgurant. Éditer des livres dans le monde arabe est une aventure aussi fascinante que stimulante et, forts de leur dynamisme en tant que marché émergent, les Émirats arabes unis servent déjà de carrefour aux éditeurs et aux ouvrages du monde entier.
Pour que le secteur puisse poursuivre sa croissance, il faut faire du développement des compétences une priorité. Former une nouvelle génération d’éditeurs et d’auteurs talentueux et passionnés, dont les idées novatrices serviront de source d’inspiration à une nouvelle génération de lecteurs, est fondamental pour assurer l’avenir du secteur.
Sur quelles initiatives novatrices s’appuie l’essor du secteur de l’édition aux Émirats arabes unis?
La volonté à l’échelle du pays tout entier d’aider les enfants à maîtriser la lecture et d’accroître le niveau d’éducation se traduit par un intérêt accru envers les livres pour enfants. Tout un éventail de festivals, d’ateliers et de programmes visant à favoriser la lecture sous toutes ses formes font ainsi l’objet d’un engouement croissant.
Plusieurs initiatives novatrices stimulent l’expansion du secteur. Citons par exemple le prix Etisalat de littérature en langue arabe, qui attire de plus en plus l’attention sur la littérature de jeunesse, ce prix ayant pour objet de donner à chaque enfant la possibilité de prendre goût à la lecture et d’avoir accès à des ouvrages de qualité.
Créé en 2009, ce prix a été lancé à l’initiative de la section émirienne de l’Union internationale pour les livres de jeunesse, avec le soutien d’Etisalat. Avec une enveloppe annuelle d’un million de dirhams des Émirats arabes unis, il est le plus richement doté et récompense les meilleurs écrivains de littérature pour la jeunesse de la région.
Le prix Etisalat comprend également l’initiative Warsha (“atelier” en arabe), un programme très prisé qui vise à favoriser l’éclosion de nouveaux talents dans le secteur du livre pour enfants et adolescents en langue arabe. Au moyen d’ateliers consacrés à l’écriture, l’illustration et l’édition, il a pour objet de valoriser les compétences d’une nouvelle génération d’écrivains, d’illustrateurs et d’éditeurs très prometteurs.
La création de la Sharjah Book Authority, chargée de l’organisation de manifestations culturelles comme le Salon international du livre de Sharjah ou le Festival du livre pour enfants de Sharjah, a elle aussi contribué à stimuler l’intérêt envers le monde de l’édition.
Sharjah est également à l’origine de la première zone franche pour maisons d’édition, l’objectif étant de donner une vigoureuse impulsion aux activités et publications culturelles au sein du pays et de favoriser une saine concurrence en faveur de la création de livres de qualité.
Quelles sont les difficultés auxquelles se heurte le secteur?
Partout dans le monde, les éditeurs doivent trouver un juste équilibre entre la nécessité de s’adapter au progrès technologique et celle de préserver la solidité et la viabilité de leur activité. En définitive, un éditeur n’est ni plus ni moins qu’une entité économique qui, à ce titre, doit absolument réussir sur le plan financier pour assurer sa pérennité.
Par ailleurs, la distribution d’ouvrages dans la région peut se révéler un véritable cauchemar sur le plan logistique, chaque pays disposant de législations et de réglementations différentes. Dans ce contexte, la distribution en ligne a un rôle crucial à jouer et nombreux sont les éditeurs qui ont déjà entrepris de revoir leurs accords en termes de droits pour qu’ils intègrent automatiquement les droits numériques. La censure, le piratage, la faiblesse du pouvoir d’achat, l’instabilité politique et l’analphabétisme figurent également parmi les difficultés à surmonter.
Quelle est l’incidence du piratage sur le secteur du livre dans la région?
Aux Émirats arabes unis, la législation sur le droit d’auteur est conforme aux normes internationales. En revanche, le droit d’auteur ne fait pas l’objet d’une approche commune dans l’ensemble de la région, ce qui rend son application extrêmement difficile et fait du piratage une activité très répandue, d’où la complexité du problème.
Aux Émirats arabes unis, l’Alliance arabe de lutte contre le piratage, en collaboration avec le Ministère de l’économie, joue un rôle déterminant en la matière. Son programme global de lutte contre le piratage prévoit toute une série d’activités de sensibilisation du public, de vastes campagnes de pression et des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle.
Les autorités de l’ensemble de la région ont conscience de l’incidence négative du piratage sur les industries de la création et sur l’économie, ce qui incite d’autant plus à sensibiliser aux questions relatives à la propriété intellectuelle et à prendre des sanctions à l’encontre des contrevenants.
Qu’est-ce qui vous a poussée à créer la section émiratie de l’Union internationale pour les livres de jeunesse?
Cette section a été créée dans le but de promouvoir la culture de l’écrit auprès des enfants et des jeunes des Émirats arabes unis. Elle a notamment pour mission de donner aux enfants de notre pays, en particulier à ceux qui vivent dans des zones reculées, la possibilité d’accéder à des livres de grande qualité sur les plans littéraire et artistique.
L’union encourage la publication et la distribution de livres pour enfants dans tous les Émirats arabes unis, donne aux auteurs en devenir ou déjà publiés, ainsi qu’aux illustrateurs et aux maisons d’édition du pays, des possibilités de réseautage, d’échanges et de renforcement des capacités. Elle œuvre aussi en faveur d’un rapprochement entre les peuples par le biais de la littérature de jeunesse.
Est-ce dans la même optique que vous avez créé le programme Horouf Educational Publishing?
Horouf Educational Publishing est l’une des branches du groupe Kalimat. Ce programme a pour objectif de proposer des solutions d’apprentissage novatrices pour soutenir l’enseignement de la langue arabe dans les écoles maternelles et primaires. Il vise notamment à améliorer les capacités linguistiques en arabe des enfants en mettant à disposition des supports pédagogiques en arabe spécialement conçus à leur intention.
Quel est l’objectif de l’initiative Knowledge Without Borders?
Knowledge Without Borders vise à diffuser les connaissances auprès des communautés locales et à maintenir une langue et une véritable identité islamique et arabe. Cette initiative appuie la création d’une société du savoir en favorisant l’instauration d’une culture de la lecture dans les Émirats arabes unis. Pour ce faire, chaque foyer émirati se verra remettre 50 livres, ce qui est déjà le cas de plus de 20 000 foyers de Sharjah.
Toujours dans le cadre de cette initiative, de petites bibliothèques ont été installées au sein de ministères et d’institutions publiques, des bibliothèques mobiles ont été créées dans des hôpitaux et un bibliobus s’installe dans différents quartiers et espaces publics de Sharjah.
Dernièrement, Knowledge Without Borders a également lancé l’idée de proposer des livres en langue arabe à bord des avions de la compagnie Air Arabia, une première dans le monde arabe!
Pourquoi était-il indispensable de créer l’Association des éditeurs des émirats?
Cette initiative était indispensable non seulement pour parler d’une seule voix lors de manifestations et de salons organisés aux niveaux local et international, mais aussi pour faire progresser le secteur de l’édition des Émirats arabes unis.
L’un des principes fondamentaux de l’association est de protéger les droits de propriété intellectuelle des éditeurs, des auteurs et des illustrateurs et de les aider à éviter d’avoir à subir des pertes en cas d’atteinte au droit d’auteur. Pour ce faire, l’association a lancé plusieurs campagnes de sensibilisation du public à la propriété intellectuelle; parallèlement, elle s’emploie à mettre en place une organisation de gestion des droits de reproduction et une association ayant pour mission de protéger les droits de tous les créateurs et de lutter contre le piratage.
L’Association des éditeurs des émirats soutient ses membres en leur offrant des services d’assistance et de formation et en œuvrant à l’amélioration de la situation du secteur et de la législation applicable. Elle propose par exemple à de jeunes éditeurs un programme de tutorat sur un an destiné à approfondir leurs compétences professionnelles et à enrichir leur expérience. Elle a également pour vocation de promouvoir et d’appuyer la traduction d’ouvrages à partir de et vers la langue arabe.
En 2015, l’association a également coorganisé la troisième Conférence des éditeurs de langue arabe, un événement remarquable qui témoigne du rôle moteur qu’elle joue dans la région.
Quel type d’évolution souhaiteriez-vous s’agissant du cadre réglementaire des Émirats arabes unis?
Les Émirats arabes unis disposent d’un cadre réglementaire solide et complet, et les droits des auteurs, des illustrateurs et d’autres créateurs sont respectés. Il faut bien comprendre que le secteur de l’édition joue un rôle déterminant dans la promotion et la diffusion des connaissances et de l’information. Pour autant, à une époque marquée par l’évolution constante du monde de l’édition, il est toujours possible de prendre de nouvelles dispositions pour garantir une meilleure protection du droit d’auteur et des droits de propriété intellectuelle. Avec l’avènement de l’édition numérique, les frontières entre pays s’estompent. Dans ce contexte, il sera indispensable de renforcer la collaboration au niveau international pour élaborer, adopter et faire respecter des normes et des politiques applicables à l’ensemble du secteur de l’édition.
Et quel type d’évolution souhaiteriez-vous pour le secteur de l’édition aux Émirats arabes unis?
Si nul ne peut prédire l’avenir, chacun s’accorde à reconnaître que le monde de l’édition connaît une profonde mutation à l’échelle mondiale. À court terme, l’apparition des techniques numériques, les menaces qui pèsent sur le droit d’auteur et les droits de propriété intellectuelle, la nécessité de créer de nouveaux circuits de distribution et les changements au niveau du comportement des consommateurs demeurent autant de sujets de préoccupation pour les éditeurs, forcés de revoir leurs stratégies commerciales et la façon dont ils exercent leur activité.
Je forme le vœu que la multiplication des opportunités à laquelle nous assistons permette à de jeunes auteurs et illustrateurs de créer des œuvres originales exceptionnelles et aux éditeurs de proposer des livres en arabe de grande qualité, voire de les traduire dans d’autres langues.
Dernière question et non la moindre, que lisez-vous en ce moment?
The Blue Between Sky and Water, de Susan Abulhawa, un récit captivant et bouleversant sur la douleur, la résilience, l’humanité, la famille et l’amour.
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