Didier Awadi sur l’avenir de la musique en Afrique
Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
L’un des moments forts des manifestations organisées cette année dans le cadre de la Journée mondiale de la propriété intellectuelle au siège de l’OMPI à Genève (Suisse) a été la table ronde sur le thème : Tous pour la musique! Quel est l’avenir de la musique? Cet événement a réuni des acteurs de l’ensemble du secteur de la musique autour de la question de l’impact de la révolution numérique, une révolution qui change radicalement les modalités de production, de distribution et de consommation des œuvres de création. Ce qui suit est une synthèse des commentaires de Didier Awadi, artiste de rap et entrepreneur musical d’avant‑garde originaire d’Afrique de l’Ouest, qui a participé à cet événement et fait part de ses réflexions sur ce que la musique représente pour lui et sur l’avenir de la musique en Afrique.
Sur la musique en général
La musique adoucit les mœurs et elle est l’expression de l’âme, c’est pourquoi elle est pour moi un droit fondamental. Nous autres artistes avons des droits, des droits d’auteur et des droits connexes, qui doivent être respectés par tout un chacun, y compris les consommateurs et l’industrie de la musique en général.
Sur les opportunités et les enjeux que représente l’environnement numérique
L’Internet, mais également la téléphonie mobile, nous offrent une chance unique. Le taux de pénétration de la téléphonie en Afrique est tout à fait stupéfiant. Tout le monde possède un, deux, voire trois téléphones mobiles. Tous ces téléphones, qui restent abordables, peuvent être utilisés pour écouter de la musique ou pour télécharger de la musique ou des vidéos, et les opérateurs font tout ce qu’ils peuvent pour fournir un accès Internet gratuit et pour que les téléphones 4G soient accessibles au plus grand nombre. La téléphonie mobile, c’est l’avenir.
Les défis à relever dépendront de la façon dont nous utilisons les téléphones mobiles, du cadre dont nous disposons pour réglementer leur utilisation et de la volonté de nos gouvernements de tirer parti de cette évolution. Nous autres artistes du disque devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, nous réunir, réfléchir ensemble et parler d’une seule voix de sorte que tous les acteurs commerciaux comprennent que nous avons des droits, notamment le droit à une rémunération équitable.
L’environnement numérique ouvre de nombreuses perspectives. Même avec des moyens modestes, on peut facilement créer du contenu et le diffuser sur des plates‑formes musicales qui offrent un accès facile et rapide aux œuvres et qui ont une portée mondiale. Tout cela est très bien. Cependant, dès lors qu’un morceau est en ligne, il est facile à télécharger, d’où un manque à gagner. De plus, dès que l’on cède sa création à une plate‑forme, on n’a plus vraiment de prise sur ce que celle‑ci décide d’en faire. Si votre œuvre est diffusée sur différentes plates‑formes, vous ne pouvez jamais être sûr d’être rémunéré de manière équitable. Il faut qu’il y ait plus de transparence dans la manière dont l’argent est distribué pour que les créateurs touchent leur dû. Cela vaut particulièrement pour les pays du Sud, où trop souvent le cadre juridique fait défaut. Il est vrai que nous avons des opportunités, mais la seule chose que nous maîtrisons vraiment aujourd’hui, ce sont les interprétations en direct. C’est là que l’on peut se montrer véritablement créatif et faire quelque chose d’original qui peut avoir un retentissement mondial.
Sur l’incidence qu’auront les nouveaux modèles commerciaux de l’industrie de la musique sur les pays en développement
Dans de nombreux pays d’Afrique, les artistes sont au fait des nouveaux services de streaming sur abonnement, mais ils n’ont pas totalement confiance en ce système car il ne rapporte pas assez. Il faut vraiment un nombre très élevé de diffusions pour que cela rapporte quelque chose. Si les artistes du disque en Afrique ne sont pas rémunérés de manière équitable, ils ne s’intéresseront pas à ces nouveaux modèles commerciaux car ils vivent dans un état d’urgence permanent. Si des artistes comme Jay Z sont en train de créer leur propre plate‑forme de diffusion, c’est qu’il y a un problème dans la façon dont les services de streaming fonctionnent. Si les artistes veulent créer leurs propres plates‑formes pour pouvoir être équitablement rémunérés, c’est que le système manque de transparence. Pour moi, les services de streaming sont bons pour les consommateurs, qui peuvent accéder à leurs listes de lecture où qu’ils se trouvent, mais rémunèrent‑ils correctement les artistes pour leur créativité? Certes, le streaming est intéressant mais, économiquement parlant, il ne rapporte pas grand‑chose. Nous attendons de voir comment cela va évoluer. Les opérateurs de téléphonie sont en train de signer des contrats faramineux avec les grandes maisons de disque pour pouvoir accéder à leurs catalogues mais, pour l’heure, nous ne voyons pas vraiment ce que cela nous apporte.
Sur le renforcement d les droits des artistes en Afrique
Au Sénégal, les choses évoluent dans le bon sens, même si le combat est loin d’être gagné. C’est comme vider l’océan à la petite cuillère, mais les choses bougent. D’une manière générale, chaque pays possède une société de gestion collective qui s’occupe des droits des auteurs, à laquelle tous les auteurs sont affiliés, ce qui signifie concrètement que nos droits sont protégés par différentes sociétés dans le monde entier. Les artistes du disque de nombreux pays d’Afrique œuvrent pour défendre leurs droits sur les plates‑formes de streaming par l’intermédiaire du réseau Arterial Network en Afrique du Sud (www.arterialnetwork.org/about/vision). Nous devons nous regrouper et partager nos connaissances, mais il faut aussi que nos gouvernements mettent en place des structures juridiques appropriées. Au Sénégal, nous avons lutté pour faire entendre notre voix dans l’élaboration de la nouvelle législation sur la gestion collective du droit d’auteur et des droits connexes, mais cela requiert une connaissance approfondie de la législation sur le droit d’auteur. Il faut harmoniser davantage les législations sur le droit d’auteur en Afrique. Par exemple, si une organisation sous‑régionale comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pouvait harmoniser ses lois, le mouvement pourrait s’étendre à toute l’Afrique. Cela doit se faire rapidement. Nous disposons déjà d’un cadre pour la radiodiffusion terrestre, mais il nous faut un cadre harmonisé pour le contenu en ligne.
Sur l’avenir
En Afrique, la révolution viendra non pas de la télévision, mais de la téléphonie. Il y a un câble qui traverse l’Afrique du Nord au Sud et où transite une énorme quantité de données et de contenu. Le défi à relever pour les artistes du disque en Afrique consiste à créer et à produire du contenu pour le marché africain et à faire en sorte que ce contenu soit accessible dans le monde entier. Nous devons nous tourner vers les maisons de disque, les éditeurs et les plates‑formes et services de streaming et veiller à obtenir un accord équitable dans tous les pays. Trop souvent, nous hésitons à nous séparer de nos œuvres et à les céder à des plates‑formes de streaming en raison du manque de transparence. J’appelle tous les pays à mettre en place les cadres juridiques dont nous avons besoin pour pouvoir vivre décemment de notre art, comme les artistes des autres régions du monde.
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