Les entrepreneurs africains montrent la voie de l’adaptation au changement climatique
Par Maëli Astruc, Division des défis mondiaux, OMPI
Dans le cadre des efforts visant à édifier des sociétés résilientes et durables, il est extrêmement important de concevoir et mettre en place des technologies vertes pour atténuer les effets les plus dévastateurs du changement climatique et s’y adapter. Ces technologies sont particulièrement nécessaires en Afrique, l’un des continents parmi les plus exposés aux effets du changement climatique.
Heureusement, de nombreuses initiatives sont en cours pour relever les défis formidables qui attendent le continent. Les entreprises sont en première ligne des efforts déployés au niveau local dans toute l’Afrique. C’est ce qu’a mis en lumière une exposition consacrée aux technologies vertes pour l’Afrique organisée en marge de la vingt-deuxième Conférence des parties (COP22) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) tenue à Marrakech en novembre 2016.
Cette exposition, organisée conjointement par la plateforme de l’OMPI pour les technologies vertes, WIPO GREEN (voir l’encadré), l’Institut national français de la propriété industrielle (INPI) et l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC), présentait les innovations de 44 petites et moyennes entreprises (PME) basées en Afrique ou orientées vers le marché africain.
“Grâce à cette exposition, ces entreprises ont acquis une visibilité accrue sur le plan international. Cette occasion d’élargir leur réseau contribue à la promotion de leurs technologies et accélère leur adoption dans les régions où il y a le plus besoin de solutions”, fait observer Anatole Krattinger, qui supervise la plateforme WIPO GREEN.
“Cette exposition était une occasion pour moi de montrer aux Africains que nous sommes capables de trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons. Il nous suffit de nous regrouper et de nous persuader que nous pouvons réussir”, explique l’un des exposants, Isidore Nzeyimana, directeur général de Tekatangije au Rwanda.
Dans le contexte de l’entrée en vigueur récente de l’historique Accord de Paris (voir l’encadré), et en marge des discussions importantes de la COP22 visant à intensifier la lutte mondiale contre la menace du changement climatique, l’exposition a montré, d’un point de vue très pratique, ce que font les entreprises sur le terrain pour favoriser l’innovation en vue d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter.
Plus de 180 entreprises avaient présenté leur candidature pour participer à l’exposition, dont 80% provenant de 22 pays africains, ce qui reflète le dynamisme des PME africaines en matière d’élaboration de technologies respectueuses de l’environnement dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture et de l’eau. Ces trois domaines sont considérés comme des priorités par la CCNUCC.
Les deux exemples ci-après illustrent le type de technologies en cours d’élaboration en Afrique pour relever les défis environnementaux locaux. Le premier porte sur des toilettes sèches conçues en Ouganda, et le second sur un système d’irrigation contrôlé à distance par téléphone portable au Niger.
À propos de WIPO GREEN — le marché des technologies durables
WIPO GREEN est un marché interactif qui encourage l’innovation et la diffusion des technologies vertes en mettant en rapport les prestataires de services et de technologies avec les personnes à la recherche de solutions innovantes.
À propos de l’accord de Paris sur les changements climatiques
L’Accord de Paris sur les changements climatiques est un accord historique qui est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Selon la CCNUCC, il a jusqu’à présent été signé par des pays produisant plus de 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Patricia Espinosa, secrétaire exécutif de la CCNUCC, a déclaré que cet accord représentait “un extraordinaire résultat politique, qui a ouvert la porte à un changement fondamental de la manière dont le monde perçoit le changement climatique, s’y prépare et lutte contre celui-ci grâce à des mesures plus fortes à tous les niveaux du secteur public, du secteur privé, des groupes d’investissement et de la société civile”.
Les toilettes sèches en Ouganda
La dégradation des sols, les conditions d’hygiène précaires et le manque d’accès aux énergies propres sont des défis importants pour les agriculteurs et les habitants des régions rurales en Afrique. Selon la Fondation Bill et Melinda Gates, 40% de la population mondiale n’a pas accès à des installations sanitaires décentes, ce qui explique en partie le décès d’environ 700 000 enfants par an des suites de diarrhées. Par ailleurs, l’utilisation de combustibles solides comme le bois, les déchets agricoles, le charbon et le charbon de bois pour la cuisine et le chauffage contribuent au degré élevé de pollution de l’air à l’intérieur des habitations, ce qui cause 4,3 millions de décès prématurés par an, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Consciente des liens qui existent entre dégradation des sols, conditions sanitaires et énergies propres, Rachael Nabunya Kisakye, ingénieure de projet pour l’entreprise ougandaise Tusk Engineers, a conçu des toilettes sèches.
“Le concept a été imaginé pour alléger la situation des femmes africaines qui doivent subvenir aux besoins de leur famille, dès lors qu’elles disposent d’une source d’énergie largement sous-exploitée. Les toilettes sèches sont la solution”, affirme Mme Nabunya.
Le concept
“Ce sont des toilettes respectueuses de l’environnement, reliées à un digesteur de biogaz qui convertit les excréments humains en un engrais de qualité pouvant être manipulé en toute sécurité et utilisé pour l’agriculture. Par ce même processus, on produit aussi un combustible (biogaz) qui peut être utilisé pour la cuisine, le chauffage et l’éclairage. Ce système complet combine les aspects liés à l’énergie, à l’assainissement, à la protection de l’environnement et à la production agricole dans un seul cycle, et nous en sommes très fiers”, explique Mme Nabunya. Ses toilettes sèches améliorent l’hygiène, la situation sanitaire, la qualité de vie et l’environnement en général, grâce à une meilleure gestion des déchets et à la production d’engrais et de biogaz de haute qualité.
Les digesteurs de biogaz et les toilettes sèches sont installés dans des lieux publics – centres communautaires, écoles, églises et hôpitaux – de manière à être facilement accessibles. Des toilettes individuelles sont également installées dans des lieux accessibles à 20 foyers ou plus, chaque famille contribuant aux coûts de fonctionnement mensuels des toilettes. “Chaque foyer est relié au digesteur de biogaz par un compteur à gaz électronique, qui relaie les informations à une unité centrale de traitement à des fins de facturation”, explique Mme Nabunya.
Utiliser les ressources existantes pour répondre aux défis locaux
Les toilettes sèches sont fabriquées à partir de pièces vendues dans le commerce, notamment des digesteurs de biogaz venant d’Inde et de Chine, ainsi que des lampes, des manomètres et des cuisinières à biogaz venant de Chine.
Ayant pour ambition de concevoir le digesteur parfait, l’entreprise prévoit des améliorations supplémentaires pour accroître la performance de ses toilettes sèches. “Nous comptons introduire un agitateur pour faciliter la méthanisation et tirer le maximum de biogaz du digesteur. Nous allons également prévoir un système qui recyclera automatiquement l’eau des effluents dans la chambre de méthanisation. Il reste de nombreux obstacles techniques à surmonter avant que nous parvenions à fabriquer les toilettes sèches “idéales”, mais une fois que nous l’aurons fait, nous comptons protéger notre invention”, dit Mme Nabunya, ajoutant que l’entreprise consigne scrupuleusement tous les aspects de la conception, du fonctionnement et de l’entretien des toilettes sèches. “Si notre invention devait être copiée à ce stade, les résultats ne seraient pas garantis”, prévient-elle.
“L’innovation consiste à faire usage de toutes les ressources disponibles, comme les technologies, la main-d’œuvre et les machines, pour résoudre les problèmes immédiats. Il ne s’agit pas seulement d’innovation; il s’agit aussi de créer les capacités nécessaires pour résoudre les problèmes locaux afin de rendre le monde meilleur”, observe Mme Nabunya.
Objectif : expansion nationale
L’entreprise teste actuellement sa technologie dans plusieurs communautés; elle a construit des toilettes sèches reliées à plus de 150 digesteurs de biogaz domestiques et 40 digesteurs institutionnels, dont la taille varie entre 6 et 70 m3.
“Nous travaillons actuellement à Gulu dans le nord de l’Ouganda, où nous avons relié un digesteur de 50 m3 à 10 toilettes sèches”, indique Mme Nabunya. “Notre objectif est de desservir la totalité de la population rurale de l’Ouganda.”
Avec un digesteur de 45 m3, on peut générer 15 m3 de biogaz en 24 heures. “Les cuisinières au biogaz actuellement sur le marché consomment 0,15 m3 par heure à plein régime. Cela signifie que des toilettes sèches de 45 m3 ont la capacité de fournir du biogaz pendant 100 heures, pour plus de 20 familles”, comme l’explique Mme Nabunya.
Ayant terminé l’installation de ses sites de démonstration, Tusk Engineers cherche maintenant à lancer une campagne de sensibilisation dans tout l’Ouganda. “Notre campagne sera principalement axée sur les populations non raccordées au réseau électrique, afin que notre technologie soit adoptée et utilisée à grande échelle”, ajoute Mme Nabunya.
Télégestion de l’eau au Niger
La téléphonie mobile a transformé la vie de millions d’Africains. La moitié des habitants du continent possèdent un téléphone portable, et l’innovation dans ce domaine est l’un des secteurs à plus forte croissance en Afrique, en particulier en ce qui concerne la santé et la banque en ligne. On constate également l’émergence d’innovations “vertes” fondées sur la téléphonie mobile, qui présentent un fort potentiel pour favoriser une utilisation plus efficace des ressources naturelles.
Abdou Maman, expert nigérien en technologies de l’information et de la communication et fondateur de Tech Innov, a conçu une solution qui permet aux agriculteurs de contrôler leurs systèmes d’irrigation à distance grâce à leur téléphone portable.
Le manque d’eau est un défi majeur et l’amélioration des pratiques agricoles, notamment en matière d’irrigation, est une priorité absolue pour de nombreux pays de la région, comme indiqué dans les rapports d’évaluation des besoins technologiques publiés par le Centre et réseau des technologies climatiques de la CCNUCC.
Les technologies de l’information sont un catalyseur de développement important pour l’Afrique, qui pourrait ainsi rattraper son retard en un temps record. Les entrepreneurs devraient en faire bon usage, sans oublier de protéger leurs innovations.
Abdou Maman
“Je me suis aperçu très jeune que la méthode d’irrigation employée par les agriculteurs était rudimentaire et tributaire de l’énergie physique”, raconte M. Maman. “C’est encore le cas aujourd’hui, alors que des technologies modernes existent. Étant passionné de technologies de l’information et de la communication, j’ai décidé de tirer parti des avantages naturels et technologiques de la région pour résoudre les problèmes récurrents liés à l’irrigation.”
Améliorer les pratiques agricoles
Grâce au système de télé-irrigation d’Abdou Maman, les agriculteurs peuvent contrôler leurs systèmes d’irrigation à distance de tout lieu et à tout moment. Ils régulent le débit de l’eau grâce à leur téléphone, et peuvent aussi collecter et partager des données météorologiques et hydrologiques en temps réel et à distance, notamment au sujet de la température, de la teneur en eau du sol, des précipitations, du rayonnement solaire et de la force du vent. Le système comprend une station solaire ou éolienne, un mécanisme de pompage (pompe solaire), un réseau de distribution d’eau standard et du matériel de télécommunications pour en assurer la synchronisation. Il devrait améliorer la productivité agricole et la gestion de l’eau en Afrique. Il rendra également l’agriculture plus attractive pour les jeunes, contribuera à accroître le taux de pénétration des téléphones mobiles, générera davantage de trafic pour les opérateurs et déchargera les jeunes filles de la corvée d’eau, leur donnant ainsi du temps pour aller à l’école.
“La plupart des pays du Sahel et du Sahara présentent des caractéristiques climatiques et écologiques similaires, et rencontrent les mêmes difficultés en matière de gestion de l’eau. Notre solution peut être facilement mise en place dans ces régions. Notre système suscite une forte demande dans des pays comme le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et le Togo”, explique M. Maman.
L’importance de la propriété intellectuelle
M. Maman a inventé son concept de télé-irrigation en 2010 et fabriqué son premier prototype une année plus tard. Il a remporté le Prix orange de l’entrepreneur social en Afrique décerné par France Télécom, ainsi que plusieurs autres récompenses prestigieuses pour son travail. En partenariat avec Orange Niger et deux banques locales, M. Maman a commencé à commercialiser son application en 2013. “Notre système est breveté et protégé par l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) au titre du brevet 16025 BOPI No.07BR / 2013. Cela protège mon invention et me permet d’en tirer des revenus. Le brevet est aussi un atout pour la commercialisation de mon application à grande échelle”, explique M. Maman. “Les technologies de l’information sont un catalyseur de développement important pour l’Afrique, qui pourrait ainsi rattraper son retard en un temps record. Les entrepreneurs devraient en faire bon usage, sans oublier de protéger leurs innovations.”
“Le système de la propriété intellectuelle joue un rôle essentiel en encourageant les inventeurs à investir dans la conception de nouvelles technologies”, note Anatole Krattinger de WIPO GREEN. “Il apporte une reconnaissance aux innovateurs et les récompense pour les nouveaux produits et services qu’ils parviennent à commercialiser. Plus précisément, l’information technique rendue librement accessible grâce à la publication des brevets offre aux innovateurs de nombreuses sources d’inspiration pour perfectionner les inventions existantes et repousser les limites de la technologie. En outre, le système de la propriété intellectuelle est un moyen de structurer le transfert et la diffusion des technologies.”
Ces deux exemples ne sont que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne le développement des technologies vertes en Afrique. Ils donnent cependant un aperçu de la vision, de la détermination et du génie des innovateurs africains, et montrent qu’ils sont conscients de l’importance de protéger leurs innovations lorsqu’ils conçoivent des technologies nouvelles et plus efficaces en vue d’appuyer les efforts d’adaptation aux effets du changement climatique et d’atténuation de ces effets.
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