Pour la Cour européenne de justice, un lien hypertexte pointant vers un contenu illicite peut contrevenir au droit d’auteur
Par Tobias Cohen Jehoram, associé, De Brauw, Blackstone, Westbroek, Amsterdam (Pays-Bas)
* Cet article a été publié pour la première fois sur www.debrauw.com/newsletter/ecj-hyperlinks-unauthorised-content-may-infringe-copyright
Insérer des hyperliens devient de plus en plus risqué. Dans l’arrêt très attendu qu’elle a rendu le 8 septembre 2016 dans l’affaire Sanoma c. GS Media, la Cour européenne de justice (CEJ) a considéré que le fait de publier un hyperlien pointant vers un contenu illicite protégé par le droit d’auteur et hébergé sur un site tiers peut porter atteinte au droit d’auteur. Tel sera notamment le cas si les responsables du site savaient ou étaient censés savoir que le lien en question renvoie vers des œuvres illégalement mises en ligne. La CEJ a aussi soutenu que, si les hyperliens sont publiés dans un but lucratif, il y a lieu de présumer que la nature potentiellement illégale des œuvres est connue. Les parties commerciales vont dès lors devoir effectuer des recherches approfondies afin de vérifier le type de contenu vers lequel elles renvoient sur leurs sites Web et autres plateformes de communication en ligne.
L’affaire en question
Cette affaire concerne une plainte déposée par Sanoma, l’éditeur de la version néerlandaise du magazine Playboy, relative à la publication sur le site Geen Stijl (GS) de photos inédites de la vedette de téléréalité Britt Dekker. Dans son billet, GS fournissait un lien vers un site australien où il était possible de télécharger certaines photos de Playboy protégées par le droit d’auteur. Sanoma a fait valoir que la simple publication de cet hyperlien était constitutive d’“une communication au public” protégée par son droit d’auteur et devait à ce titre être interdite. GS s’est défendu en argumentant que l’hyperlien ne relevait pas du droit exclusif de l’auteur puisque la CEJ ne considérait pas qu’un lien vers un contenu licite soit constitutif d’une infraction en l’absence d’un acte de communication à un “nouveau public” (Svensson and Bestwater). En 2015, la Cour suprême du Danemark a décidé de renvoyer les questions préliminaires devant la CEJ.
Les réponses apportées par la CEJ dans l’affaire Sanoma Media Netherlands BV et consorts c. GS Media soulignent la nature ambiguë du statut juridique d’un hyperlien. Au sens du droit d’auteur européen, un hyperlien pointant vers un contenu illicite ne relève pas d’une “communication au public”. Cependant, si l’hyperlien est publié en pleine connaissance du caractère illégal du contenu hébergé par un tiers, il relève dès lors du droit exclusif de l’auteur et peut être interdit. Le caractère licite d’un hyperlien relèvera donc d’une appréciation individuelle. Pour la CEJ, le fait de poursuivre ou non un but lucratif est déterminant à cet égard. La Cour a estimé que les parties commerciales sont supposées faire les recherches nécessaires avant de publier un lien et qu’elles sont censées être parfaitement conscientes de la légalité du contenu tiers auquel elles renvoient.
Les conséquences d’un tel arrêt
Bien que cette hypothèse puisse être réfutée, l’arrêt Sanoma c. GS Media risque d’avoir de sérieuses conséquences pour les opérateurs commerciaux de sites Web en général et, pour les groupes de presse en particulier. La présomption de connaissance de la légalité ou non de tel ou tel contenu va s’appliquer non seulement dans les cas où la publication de l’hyperlien est directement en rapport avec le but lucratif poursuivi, mais également, semble-t-il, aux sites à but lucratif au sens le plus large du terme. Autrement dit, à l’exception des médias d’État, tous les propriétaires de sites commerciaux ou presque vont courir davantage de risques juridiques lorsqu’ils publieront un hyperlien. Les parties commerciales ont donc tout intérêt, en prévision des résultats des instances en cours, à réexaminer minutieusement leurs procédures de vérification et de retrait. En outre, elles devraient soigneusement reconsidérer l’intérêt de publier des liens renvoyant vers du contenu tiers. Il leur faudra vérifier la légalité de tout nouveau lien qu’elles publient. Il est également conseillé de contrôler régulièrement la légalité du contenu tiers après la publication des hyperliens, car ce contenu peut changer sans notification.
Cette décision semble marquer une nouvelle approche de la définition de la “communication au public” en l’assujettissant à des critères subjectifs, tels que le but commercial et la connaissance réelle ou présumée de la nature des sources. Elle risque aussi de créer un flou juridique dans d’autres cas de figure.
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