Échecs, cinéma et horlogerie : la propriété intellectuelle vue par un réalisateur
Par Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
À 25 ans, le Norvégien Magnus Carlsen est déjà une légende des échecs. En 2004, il est devenu le plus jeune “grand maître international” à tout juste 13 ans et 148 jours. Il est le champion du monde des échecs en titre.
Au début des années 2000, Øyvind Von Doren Asbjørnsen, réalisateur norvégien et passionné d’échecs, a vu Magnus Carlsen à l’œuvre et, impressionné par son talent, a eu l’idée de tourner The Prince of Chess. Ce documentaire entraîne les spectateurs dans un voyage fascinant au cœur de la vie du jeune joueur et explore les mécanismes de son esprit brillant. La dernière production d’Øyvind, le long métrage Magnus, a été primée au Festival du film de Tribeca à New York en avril 2016. Ce film est actuellement projeté en salles dans toute l’Europe.
Dans un récent entretien accordé au Magazine de l’OMPI en marge d’un séminaire itinérant de l’OMPI tenu à Oslo (Norvège) en octobre 2016, Øyvind explique son cheminement pour réaliser le film et en quoi le droit d’auteur est si crucial pour les cinéastes. Il donne également son opinion sur l’importance de la propriété intellectuelle en général à l’heure où il se lance dans un nouveau projet qui allie sa passion pour la réalisation à son amour des montres.
Comment êtes-vous devenu réalisateur?
J’ai toujours été passionné de cinéma. J’ai été diplômé de la London Film School en 1987. J’étais d’ailleurs heureux d’y retourner récemment pour la projection de mon dernier film, Magnus, dont les droits ont désormais été vendus dans 60 pays.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un documentaire et un film sur les échecs?
Je joue aux échecs tous les jours, sans que ce soit à un niveau international. En 2003, j’ai entendu parler, ici à Oslo, d’un jeune garçon très doué. Je suis donc allé le voir jouer. Il était prodigieux. J’ai alors demandé à son entraîneur, que je connaissais, de me présenter Magnus et ses parents. Après discussion, nous avons décidé de faire un documentaire sur Magnus. Nous avons commencé à tourner en 2004 The Prince of Chess, un documentaire d’une cinquantaine de minutes. Il a été primé en 2005 et a été distribué à des chaînes de télévision à l’échelle internationale. Puis, début 2013, j’ai commencé à collaborer avec un jeune réalisateur, Benjamin Ree, en vue de produire un long métrage intitulé Magnus, qui est actuellement à l’affiche dans toute l’Europe.
Pourquoi avez-vous choisi de faire un documentaire?
J’ai réalisé à la fois des films de fiction et des documentaires. Cependant, comme le dit Benjamin Ree, nous vivons à la meilleure époque pour faire des documentaires, car nous avons accès à une mine de documents d’archives. Je suis entièrement d’accord. Les gens filment constamment avec leur téléphone portable et leur appareil photo numérique : une quantité incroyable de vidéos sont donc disponibles sur presque tous les sujets. Parfois, cela demande de longues recherches et il peut être difficile de transférer de vieux documents sur des supports numériques modernes, mais les résultats parlent d’eux-mêmes. En combinant des images d’archive et de nouvelles prises, on peut raconter une histoire encore plus captivante. C’est l’un des avantages de Magnus. Les images retracent les étapes décisives de la vie de ce jeune prodige sur plus de 10 ans. Nous racontons l’histoire au présent. Au lieu de filmer des gens qui parlent du passé, nous montrons ce qui s’est déroulé. Cela confère un caractère immédiat à l’histoire tout en donnant l’impression au public de suivre Magnus tout au long de sa vie. Le résultat est incroyable.
En quoi les droits de propriété intellectuelle sont-ils importants pour les réalisateurs?
La protection du droit d’auteur permet aux artistes qui créent une œuvre cinématographique ou musicale d’obtenir une part équitable des recettes qu’elle génère, ce qui leur donne les moyens d’entreprendre d’autres projets. C’est pour cette raison que la protection du droit d’auteur est si importante : sans cela, les artistes ne seraient tout simplement pas en mesure de continuer à créer. Ils doivent donc être équitablement rémunérés.
Que faire contre le piratage?
Le piratage est comme une hydre. Dès que vous coupez une tête, plusieurs repoussent. La meilleure arme est de proposer des solutions simples et conviviales qui permettent aux utilisateurs de se procurer films, œuvres musicales ou autres créations facilement, légalement et à un prix abordable. Il doit être plus difficile de pirater les contenus que d’y accéder légalement. Dans ce domaine, Netflix et d’autres plateformes telles que Vimeo constituent une avancée. Elles ne sont pas parfaites, mais c’est un pas dans la bonne direction. Et c’est toujours mieux que de laisser tout l’argent aux pirates.
Quel est votre message aux pirates?
Arrêtez de voler! Bien qu’un film ou une œuvre musicale ne soit pas quelque chose de tangible (on ne peut pas le toucher, c’est un fichier numérique), télécharger une copie illégale d’un film revient au même que voler un objet dans une boutique. C’est un délit, il faut le savoir! J’ai été moi-même très frustré de découvrir que mon documentaire The Prince of Chess, auquel j’avais donné accès par des services de vidéo à la demande à un prix raisonnable, avait été autant téléchargé de manière illégale. Avant d’être retiré de YouTube à ma demande, il comptabilisait 1,7 million de vues. Si j’avais pu percevoir une rémunération en conséquence, cela m’aurait aidé à réaliser davantage de films.
Pensez-vous qu’il y a un avenir pour le cinéma en salle?
Oui, je pense qu’aller au cinéma reste la meilleure façon de voir un film. Lorsque les lumières s’éteignent et que les images commencent à défiler sur le grand écran, on se laisse fasciner. Bien entendu, beaucoup préfèrent regarder un film confortablement installés chez eux. Le logiciel d’Apple, iTunes, est désormais très populaire et génère des revenus pour les réalisateurs. Il y a de la place pour les deux formes de diffusion.
Comment avez-vous financé Magnus?
Le film a coûté environ un million d’euros. Il n’aurait pas vu le jour sans le soutien financier du Fonds norvégien pour le cinéma et de l’Institut norvégien du cinéma grâce auquel nous avons pu attirer des investisseurs privés. Cela n’a pas été simple, mais nous y sommes parvenus et ces derniers recevront un bon retour sur investissement.
Et maintenant?
Mon prochain projet inclut la réalisation d’un film promotionnel pour une nouvelle ligne de montres que je suis en train de dessiner et d’élaborer. Depuis que j’ai hérité de la montre de mon arrière-grand-père à l’âge de 12 ans, je suis devenu un fervent collectionneur. Je suis fasciné par la précision, la complexité et la beauté absolue des montres de prestige, et à présent, mon expérience en tant que cinéaste va m’aider à réaliser l’un de mes rêves qui, depuis tout petit, est de fonder ma propre marque horlogère. Après avoir fait plusieurs salons de l’horlogerie en Suisse et à Hong Kong et trouvé des fournisseurs, j’ai commencé à dessiner mes premiers modèles. Ils ont été lancés sur Kickstarter au début du mois de décembre. Le financement participatif peut être un excellent moyen de mettre un projet sur pied et certaines entreprises ont réussi à lever des fonds conséquents pour des produits similaires. Cette nouvelle aventure me donne la possibilité d’allier mes compétences de cinéaste à ma passion pour les montres. De nos jours, si vous voulez lancer un produit sur une plateforme telle que Kickstarter, vous ne pouvez pas vous passer d’un film. Un clip soigné avec une trame narrative captivante mettra en valeur les montres et contribuera à façonner leur image de marque, du moins l’espérons-nous.
Pouvez-vous nous parler de votre logo?
Notre logo est inspiré de la rune scandinave “jera”, qui signifie “année”. C’est la rune du succès et de la continuité. Elle symbolise le cycle des saisons, et évoque le mouvement et le changement. C’était un porte-bonheur pour les Vikings. Nous avons pensé que ce symbole convenait particulièrement bien à nos montres. Leurs contours épurés et leur cadran de style art nouveau, qui leur donnent un côté à la fois vintage et élégant, sont inspirés de l’architecture et des paysages naturels d’Aalesund, sur la côte ouest de la Norvège, où j’ai grandi. Nous avons une bonne marque, une belle histoire, un design élégant, le tout réuni dans une montre dotée d’un mouvement de qualité suisse. Notre but est que nos clients la voient comme un véritable bijou de famille qu’ils seront fiers de posséder. Une fois que la production sera lancée, nous prévoyons donc de distribuer des éditions limitées dans des points de vente haut de gamme, car ce qui est difficile à obtenir est toujours plus désirable.
Et quel rôle joue la propriété intellectuelle pour votre entreprise horlogère?
La propriété intellectuelle est très importante. Bien entendu, en tant que réalisateur, je connais le droit d’auteur, mais je suis relativement novice en matière de protection des marques et des dessins et modèles. Lorsque je me suis lancé dans ce projet, l’un des premiers conseils que j’ai reçu a été celui d’un vieil horloger suisse qui a insisté sur la nécessité d’enregistrer ma marque. Bien que beaucoup m’aient dit de ne pas m’en soucier, j’ai suivi son précieux conseil et j’ai désormais enregistré ma marque en Norvège ainsi que dans 31 autres pays qui utilisent le système de Madrid administré par l’OMPI pour l’enregistrement international des marques. Toute entreprise se doit de protéger sa marque, en particulier dans le secteur du luxe où la contrefaçon est monnaie courante. Le fait d’enregistrer sa marque est une étape importante pour créer une image de marque et bâtir une réputation d’authenticité. Par ailleurs, cela peut pousser les contrefacteurs à réfléchir à deux fois avant de copier votre produit.
Quels sont les défis que vous avez dû relever pour lancer votre entreprise?
Les défis n’ont pas manqué. Il m’a fallu par exemple trouver les bons fabricants et fournisseurs de pièces détachées, voyager dans de nombreux pays pour contrôler la qualité des matériaux et être attentif à une multitude de détails. Certes, cela a été difficile, mais c’était aussi un plaisir : je me consacre chaque jour à ma passion à plein temps. En outre, j’adore dessiner de nouveaux modèles.
La bonne nouvelle, c’est que les gens restent très attachés aux montres. Bien que nous vivions à l’ère numérique, ils sont toujours friands de belles montres analogiques avec un mécanisme de qualité. La montre est un accessoire qui permet de se distinguer et, avec cette marque, j’ai la possibilité de créer toute une collection de montres d’exception pour hommes et pour femmes. Bien sûr, créer sa marque n’est pas facile, mais ça l’est sans doute plus que jamais dans notre monde numérique toujours plus interconnecté.
Quelle est votre propre expérience de l’enregistrement d’une marque?
C’est très simple. Tout d’abord, j’ai enregistré ma marque auprès de l’Office norvégien de la propriété industrielle. À présent, je suis en train de déposer ma demande d’enregistrement international par le biais du système de Madrid de l’OMPI. L’émolument de base pour enregistrer une marque à l’international couvre trois classes de produits (au-delà, un supplément doit être payé), j’ai donc décidé d’enregistrer la marque pour des montres (classe 14), des lunettes de soleil (classe 9) et des sacs à main (classe 18). Le système de Madrid est simple d’utilisation et les tarifs sont abordables, ce qui est très important pour un jeune chef d’entreprise comme moi. Lorsque j’en ai entendu parler, j’étais ravi et soulagé d’apprendre que nous ne devions pas effectuer nous-mêmes toutes les démarches pour enregistrer notre marque dans chacun des marchés cibles et qu’il nous suffisait de déposer une seule demande d’enregistrement international par le biais du système de Madrid. En outre, le système nous donne la possibilité d’élargir la protection de notre marque à mesure que nous développons la marque et investissons de nouveaux marchés. Le fait de pouvoir participer à des événements tels que le séminaire itinérant de l’OMPI a été très utile (voir encadré). J’ai appris en quoi consistent les divers services que propose l’OMPI pour les entreprises, dont certains sont gratuits. Par exemple, j’ai hâte d’explorer PATENTSCOPE et la base de données mondiale sur les marques.
Maintenant que vous avez sauté le pas, quel conseil donneriez-vous aux réalisateurs et aux entrepreneurs qui débutent?
Suivez vos rêves et vos passions! Si votre passion est vraiment profonde et sincère, et que la fascination est là, lancez-vous. Soyez curieux, et n’ayez jamais peur de poser des questions bêtes.
À propos des séminaires itinérants de l’OMPI
Les séminaires itinérants de l’OMPI offrent à des entrepreneurs, inventeurs et chercheurs locaux une occasion unique d’en savoir plus sur les activités de l’OMPI, notamment sur les systèmes et les services que l’Organisation propose pour faciliter la protection des actifs de propriété intellectuelle sur les marchés mondiaux.
Depuis 2013, des séminaires se sont tenus dans plus de 60 villes, d’Auckland à Thessalonique en passant par Atlanta et Toulouse. En 2016, 18 villes ont été couvertes, et plus de 20 devraient l’être en 2017 afin de répondre à la demande croissante.
Les séminaires sont organisés en partenariat avec les offices nationaux de propriété intellectuelle et sont adaptés aux besoins et intérêts particuliers des publics cibles.
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.