Politiques universitaires en matière de propriété intellectuelle : perception et application
Par Ruth Soetendorp, Mandy Haberman et Steve Smith, Groupe sur l’enseignement de l’Intellectual Property Awareness Network (Royaume-Uni)
Les étudiants sont destinés à devenir des rouages essentiels de l’économie du savoir. Ils seront confrontés à des questions de propriété intellectuelle pendant leurs études et dans leur future carrière. Quelles sont leurs connaissances en la matière? D’après une récente étude menée au Royaume-Uni, beaucoup reste à faire.
En juillet 2016, l’Intellectual Property Awareness Network (Réseau de sensibilisation à la propriété intellectuelle, ou IPAN) a publié une étude dont l’objectif était de mieux comprendre comment les politiques en matière de propriété intellectuelle des établissements d’enseignement supérieur étaient perçues et appliquées sur les campus britanniques. Près de 3000 étudiants et 250 universitaires ont répondu aux questionnaires en ligne élaborés par NUS Insight, le service de recherche professionnel du Syndicat national des étudiants britanniques (UK National Union of Students, ou NUS), en collaboration avec l’IPAN.
Dans son avant-propos au rapport, Nigel Carrington, recteur de l’Université des arts de Londres, écrit : “Le questionnaire de l’IPAN a mis en évidence et décrit de manière éclatante la méconnaissance de la propriété intellectuelle. Les lacunes des enseignants et des étudiants en la matière dénotent un échec du transfert des connaissances, mais tout peut encore changer”. Réfléchissant aux modalités d’enseignement de la propriété intellectuelle, il a ajouté qu’il s’agissait autant de bien appréhender les opportunités et la nature de la recherche universitaire que de gérer les risques. “Il faut mettre l’accent sur les aspects positifs et encourager les étudiants à considérer les droits de propriété intellectuelle comme un objet de valeur qu’ils peuvent créer, posséder et exploiter eux-mêmes.”
Faire évoluer la manière dont est perçue la propriété intellectuelle
En 1999, le New York Times affirmait que la propriété intellectuelle avait “transformé un domaine du droit et des affaires passablement atone en un puissant moteur de l’économie fondée sur la haute technologie”. L’intérêt des milieux d’affaires pour les questions de propriété intellectuelle n’a cessé de croître depuis lors, et on aurait pu s’attendre à une multiplication correspondante des initiatives visant à sensibiliser et à former à la propriété intellectuelle les futurs diplômés souhaitant faire carrière dans l’économie du savoir. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.
Aux niveaux mondial, régional et national, des efforts sont déployés non seulement pour aider les générations futures à comprendre le rôle central joué par la propriété intellectuelle dans l’économie et dans la société, mais également pour leur donner les moyens d’en tirer parti. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, l’Office de la propriété intellectuelle a créé pour les étudiants un outil d’auto-apprentissage appelé IP Tutor, et l’organisme public chargé de l’assurance qualité des universités commence à utiliser les connaissances acquises en matière de propriété intellectuelle comme critère d’évaluation pour certains programmes.
Cependant, pour les “passionnés de propriété intellectuelle” (pour reprendre les termes du fondateur d’IPKat, Jeremy Phillips), cela n’est pas suffisant. Aujourd’hui, si davantage d’universités offrent à leurs étudiants non juristes la possibilité de s’initier à la propriété intellectuelle, la majorité des établissements d’enseignement supérieur ne voient toujours pas d’inconvénient à ce que les étudiants obtiennent leur diplôme sans avoir aucune idée de ce qu’est la propriété intellectuelle ou de l’impact qu’elle aura sur leur future carrière.
Les préoccupations qui en découlent ressortent clairement des rapports des organismes publics et des organisations internationales mais n’ont pas suffi à inverser globalement la tendance en ce qui concerne la part de formations universitaires avec une composante de propriété intellectuelle.
Les étudiants connaissent mal la propriété intellectuelle
Dans toutes les études portant sur l’enseignement de la propriété intellectuelle, la voix d’une partie prenante en particulier brille par son absence : celle des étudiants.
Conscient de cet oubli, l’IPAN, avec l’aide de l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni, a commencé en 2012 à travailler avec le NUS afin de réaliser une enquête sur la façon dont les étudiants perçoivent la propriété intellectuelle. Un questionnaire, élaboré par l’IPAN et le NUS, a été diffusé par l’intermédiaire de la base de données du syndicat sur les étudiants. Il a permis de recueillir quelque 2200 réponses. L’enquête a montré que “les étudiants jugent important d’acquérir des connaissances en matière de propriété intellectuelle” et que “ceux qui ont suivi un enseignement dans ce domaine le jugent bénéfique et souhaiteraient approfondir leurs connaissances”. Les réponses ont également confirmé que l’enseignement de la propriété intellectuelle abordait un nombre très limité de questions, qu’il ne traitait généralement que du plagiat et qu’il ne faisait pas partie des matières évaluées. En outre, les étudiants n’avaient pas conscience de l’étendue des questions pouvant être couvertes par cet enseignement et que les établissements d’enseignement supérieur faisaient peu appel à des spécialistes extérieurs.
En 2014, partant de ces résultats, l’IPAN a chargé le groupe de recherche professionnel du NUS d’étudier la perception et l’application des politiques en matière de propriété intellectuelle dans les établissements d’enseignement supérieur britanniques. Les travaux de ce groupe ont été financés par l’IPAN, qui regroupe 40 organisations commerciales, universitaires et professionnelles désireuses de faire mieux connaître la propriété intellectuelle, ainsi que des particuliers, et le Centre du droit d’auteur et des nouveaux modèles d’affaires dans l’économie de la création (CREATe).
Cette dernière étude montre que les étudiants et les enseignants sont peu au fait des politiques de propriété intellectuelle de leurs établissements, voire qu’ils n’en ont aucune connaissance. L’enquête fait apparaître que, même lorsque de telles politiques existent, elles n’ont que peu ou pas d’impact sur la perception et l’application de la propriété intellectuelle sur le campus. Elle met également en évidence le faible niveau de compréhension de ce que recouvre le terme “propriété intellectuelle”, comme en témoigne un commentaire revenant fréquemment sous la plume des étudiants : “Ce n’est qu’au moment de remplir le questionnaire que j’ai pris conscience de l’importance de la propriété intellectuelle, notamment pour ma carrière future”.
L’évolution du marché du travail met en évidence la nécessité d’un enseignement en matière de propriété intellectuelle
Les étudiants sont de plus en plus encouragés à considérer l’entreprise et la création d’entreprises comme des compléments à la matière principale de leurs études. Ils sont conscients que leurs meilleures possibilités d’emploi consistent par exemple à commercialiser leurs idées, à travailler dans des jeunes entreprises de haute technologie ou comme auto-entrepreneur. Dans chaque cas de figure, ils devront savoir comment protéger leurs créations intellectuelles; pour autant, la propriété intellectuelle reste absente de leur cursus.
À l’occasion de la publication du rapport de recherche, Sir Rod Aldridge OBE, membre de la Société royale des Arts et homme d’affaires brillant à l’origine des écoles et facultés d’enseignement technique en matière de création d’entreprise, a déclaré : “Il est évident qu’il faut sensibiliser à la fois l’étudiant et l’enseignant aux questions de propriété intellectuelle”. Selon lui, “l’objectif est d’améliorer les possibilités d’emploi des étudiants, en les encourageant à devenir des créateurs et des innovateurs indépendants et créatifs et en développant chez eux l’état d’esprit, les compétences et les caractéristiques indispensables pour être à l’avant-garde. Ces étudiants se retrouveront dans un grand nombre de situations où la propriété intellectuelle leur sera d’un grand secours”.
Les étudiants favorables à l’enseignement de la propriété intellectuelle
Il est de plus en plus évident que, lorsqu’ils en ont le choix, les étudiants décideront de suivre un module sur la propriété intellectuelle. Il revient aux établissements d’enseignement supérieur de le leur proposer.
En réponse au rapport, le célèbre designer Sebastian Conran a déclaré : “À vrai dire, dans les industries de la création, nous sommes étrangement peu à comprendre vraiment le fonctionnement la propriété intellectuelle, sans parler de la valeur du contenu. Bien entendu, les politiques de propriété intellectuelle traitent différemment les enseignants et les étudiants. De Plymouth à Inverness, toutes les universités ou presque ont leur propre politique en la matière; pourtant, il n’y a aucune cohérence dans le traitement réservé aux étudiants”.
Je ne connais pas grand-chose de la propriété intellectuelle, mais je pense que je devrais.
Réponse fréquente au questionnaire
“Qui possède quoi? Combien cela vaut-il? Comment puis-je le protéger du vol? Quels sont mes droits? Autant de questions abordées dans le questionnaire de l’IPAN, et il est surprenant de constater que, parmi ceux qui payent actuellement leurs études et ceux qui les forment, très peu ont une connaissance précise de cet enjeu crucial qui aura des conséquences sur l’avenir du Royaume-Uni et de ses esprits les plus brillants.”
Les commentaires de Sebastian Conran sont particulièrement en phase avec les résultats de l’enquête. Les questions posées visaient à mettre en évidence la manière dont des étudiants censés proposer des œuvres originales créatrices et novatrices gèrent les questions de propriété intellectuelle. Parmi les personnes interrogées, 68% ont déclaré se tourner vers leur établissement pour recevoir des conseils, ce qui montre combien il importe que le personnel soit au fait des droits de propriété intellectuelle et des politiques de l’établissement en la matière. Les réponses du personnel montrent clairement que le corps enseignant est conscient de l’importance de l’enseignement de la propriété intellectuelle et son intérêt pour la carrière future des étudiants.
Accueil favorable du Syndicat national des étudiants
Le NUS a accueilli favorablement l’enquête et ses résultats, déclarant que la connaissance des droits de propriété intellectuelle devient “de plus en plus importante pour les étudiants, qui doivent se protéger et préserver leur future carrière”. Le NUS a fait part de ses préoccupations concernant “le nombre inquiétant d’étudiants et d’enseignants” qui “se font une idée fausse de la propriété intellectuelle ou qui connaissent mal leurs droits, voire pas du tout”.
Relevant que plus d’un étudiant sur dix se tourne vers son syndicat étudiant pour obtenir des conseils sur les questions de propriété intellectuelle, le NUS s’est dit conscient du rôle important qu’il avait à jouer et a ajouté qu’il travaillait actuellement en collaboration avec l’IPAN et l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni pour trouver les moyens d’améliorer l’accès des étudiants à l’information en matière de propriété intellectuelle.
L’IPAN est ravi d’avoir joué le rôle de catalyseur dans la collaboration entre le NUS et l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni, qui devrait faciliter l’accès des étudiants, pendant leurs études, à l’information relative à la propriété intellectuelle nécessaire à leur future carrière. Cette collaboration fructueuse pourrait également inspirer des partenariats similaires entre des offices nationaux de propriété intellectuelle et des syndicats étudiants d’autres pays et encourager l’élaboration de politiques universitaires visant à répondre aux souhaits des étudiants et à leur soif de connaissances sur la manière de protéger leurs idées et d’éviter d’enfreindre des règles dont ils ignorent l’existence.
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