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L’impression 3D et le droit de la propriété intellectuelle

Février 2017

Elsa Malaty, avocate, associée du cabinet Hughes Hubbard & Reed, et Guilda Rostama, docteur en droit privé, Paris (France)

L’invention de l’impression 3D remonte aux années 80;  à l’époque, cette innovation était destinée à une utilisation principalement industrielle.  Aujourd’hui cependant, l’arrivée à expiration de droits de brevet sur une grande partie de ces technologies pionnières provoque un regain d’intérêt dans leur capacité à transformer la chaîne de production.  L’existence d’imprimantes 3D à faible coût et à haute performance permet désormais au consommateur d’avoir accès à cette technologie, suscitant d’énormes attentes quant aux objets qu’il est possible de réaliser.  Il est néanmoins légitime de s’interroger sur les répercussions de la généralisation de cette technologie en constante évolution et à fort potentiel de transformation sur le droit de la propriété intellectuelle.

Using a commercially available 3D printer, researchers at the National University of Singapore have found a way to print customizable tablets that combine multiple drugs in a single tablet so doses are perfectly adapted to each patient. (Photo: Courtesy of the National University of Singapore).

Le principe de l’impression 3D

Le procédé d’impression 3D part soit d’un fichier numérique contenant toutes les données sur l’objet à imprimer, lesquelles sont converties au format numérique à l’aide d’un logiciel d’impression en 3D, soit d’un scanner 3D.  Ce fichier est ensuite exporté vers une imprimante 3D au moyen d’un logiciel dédié qui transforme le modèle numérique en objet physique grâce à la superposition de couches de matière fondue.  Ce procédé est également connu sous le nom de “fabrication additive”.

Les imprimantes 3D actuellement sur le marché font appel à toute une gamme de matériaux allant du plastique à la céramique, en passant par les métaux ou les matériaux hybrides.  Cette technologie évolue à un rythme époustouflant.  À titre d’exemple, le laboratoire de recherche en informatique et intelligence artificielle du MIT a récemment mis au point une technique d’impression 3D permettant de combiner simultanément des matériaux solides et liquides à l’aide d’une imprimante modifiée disponible dans le commerce, ce qui ouvre la voie à un très large éventail d’applications possibles dans le futur.

3D printing technology is evolving at a breathtaking pace, with applications in areas ranging from food and fashion to regenerative medicine and prosthetics.

L’élargissement de la palette de matériaux utilisés en impression 3D témoigne de l’impact de cette technologie sur des industries très diverses, ce qui ouvre de nouveaux horizons en termes d’innovation et de développement commercial.

Même des aliments peuvent être réalisés en 3D!  L’impression 3D permet d’automatiser certaines étapes fastidieuses de la préparation et de la présentation des aliments ou de confectionner des collations en toute simplicité.  Elle offre des horizons infinis en matière de personnalisation alimentaire et a le pouvoir de transformer des ingrédients originaux comme les protéines présentes dans les algues, les feuilles de betterave ou les insectes en mets savoureux! (Image : avec l’aimable autorisation de www.naturalmachines.com)

Dans le domaine médical par exemple, des chercheurs de l’Université nationale de Singapour ont trouvé une solution pour imprimer des comprimés personnalisables réunissant plusieurs médicaments en une seule pastille, ce qui permet d’adapter parfaitement les doses de médicaments aux besoins de chaque patient.  L’impression 3D se fait également une place dans le secteur de la mode, comme en témoigne le dévoilement, à l’occasion de la New York Fashion Week organisée en septembre 2016, du modèle “Oscillation”, une robe multicolore réalisée en impression 3D par la marque threeASFOUR et le styliste basé à New York Travis Fitch.  Même l’industrie agroalimentaire s’intéresse à cette technologie dans le cadre de la fabrication de produits alimentaires personnalisés.

Les avantages de l’impression 3D

Présentation de lunettes de soleil 3D créées en collaboration par
Dávid Ring, étudiant en stylisme, et le service d’impression 3D grand
public de la société Materialise lors du défilé de mode de l’Académie
royale des beaux-arts d’Antwerp, en Belgique, en 2016.  Ces lunettes
de soleil sont entièrement issues de l’impression 3D et forment “une
seule même pièce ne nécessitant ni charnières ni assemblage”
(Image : avec l’aimable autorisation i.materialise.com).

L’impression 3D présente de très nombreux avantages potentiels pour les entreprises à forte intensité d’innovation.  Le procédé leur permet notamment de réduire leurs frais généraux lors de la mise au point, de la conception et de la mise à l’essai de nouveaux produits ou de l’amélioration de produits existants.  De fait, elles n’ont plus à investir dans la réalisation de prototypes coûteux : à l’aide d’imprimantes 3D, elles peuvent en effet reproduire à l’envi, en interne, rapidement et à moindres frais, de multiples éléments complexes.

Favoriser le développement de l’impression 3D

Conscient du potentiel de transformation de l’impression 3D, de nombreux pays ont d’ores et déjà adopté, bien que de manière inégale, différentes stratégies visant à créer un environnement économique et technologique propice à son développement.  La Commission européenne, par exemple, a fait de l’impression 3D un domaine d’action prioritaire à fort potentiel économique, notamment pour de petites entreprises innovantes.

Des juristes de nombreux pays s’interrogent sur la capacité des textes de loi existants à régir cette nouvelle technologie, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle.  L’impression 3D touche en effet à pratiquement tous les domaines de la propriété intellectuelle, à savoir le droit d’auteur, le droit des brevets, le droit des dessins et modèles industriels et même les indications géographiques.  La question qui se pose est de savoir si les législations actuelles en matière de propriété intellectuelle englobent cette technologie sous toutes ses dimensions ou s’il convient de les réformer.  Le droit de la propriété intellectuelle en vigueur assure-t-il une protection adaptée aux personnes impliquées dans le processus d’impression 3D et aux produits ainsi créés?  Pour relever ces nouveaux défis, serait-il opportun de créer un droit sui generis pour l’impression 3D sur le modèle des dispositions relatives à la protection des bases de données déjà prévues dans certains pays?

Comment le droit de la propriété intellectuelle en vigueur aborde-t-il la question de l’impression 3D?

L’une des principales préoccupations a trait au fait que, du point de vue technique, l’impression 3D permet de reproduire n’importe quel objet ou presque, que ce soit avec ou sans l’autorisation du titulaire des droits sur cet objet.  Comment le droit de la propriété intellectuelle en vigueur aborde-t-il ce problème?

Empêcher qu’un objet soit reproduit à l’aide d’une imprimante 3D sans autorisation préalable ne pose pas de problème particulier du point de vue de la propriété intellectuelle.  En effet, le droit d’auteur protège l’originalité d’une œuvre et le droit du créateur à autoriser ou on sa reproduction, ce qui signifie qu’en cas de copie d’un objet original à l’aide d’une imprimante 3D sans autorisation, le créateur peut obtenir réparation au titre du droit d’auteur.  De même, le droit sur les dessins et modèles industriels protège l’aspect ornemental ou esthétique d’un objet (son apparence et sa forme), tandis que le droit des brevets protège sa fonction technique et que le droit des marques tridimensionnelles permet au créateur de distinguer son produit de ceux de la concurrence (et au consommateur de reconnaître son origine).

En règle générale, pour fabriquer des lunettes, on utilise une
monture qu’on équipe de verres correcteurs.  Mais ce procédé
peut avoir une incidence négative sur l’alignement des verres et
leur efficacité.  Grâce au logiciel personnalisé conçu par la
société Materialise et à l’aide de technologies de numérisation 3D,
d’automatisation de la conception paramétrique et d’impression 3D,
la plateforme Yuniku crée la monture en fonction de la position
idéale des verres optiques pour un résultat optimal
(Image : avec l’aimable autorisation i.materialise.com).

De nombreux observateurs pensent qu’un fichier numérique 3D peut faire l’objet d’une protection selon le droit des brevets au même titre qu’un logiciel.  Pour justifier ce type de protection, l’avocate française Naima Alahyane Rogeon invoque le fait que “l’auteur d’un fichier 3D doit fournir un effort intellectuel personnalisé pour que l’objet conçu par l’auteur du prototype d’origine puisse aboutir à un objet imprimé”.  Selon cette conception, l’auteur d’un fichier numérique reproduit sans autorisation pourrait revendiquer un droit moral sur l’œuvre en cas de remise en cause de sa paternité.  Comme stipulé à l’article 6bis de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, qui établit les normes minimales internationales de protection au titre du droit d’auteur, l’auteur “conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation”.

Si l’objet imprimé fait l’objet d’une protection par brevet, certaines législations nationales, à l’image du Code français de la propriété intellectuelle (article L 613-4), interdisent la livraison ou l’offre de livraison des moyens de mise en œuvre d’une invention à défaut du consentement du propriétaire du brevet.  Selon cette approche, les propriétaires de brevet devraient être en mesure de demander réparation à un tiers en cas de livraison ou d’offre de livraison de fichiers d’impression 3D au motif qu’ils constituent “un élément essentiel de l’invention visée par le brevet”.

À quoi doivent s’attendre les amateurs?

Dans ce contexte, il est légitime de se demander à quoi doivent s’attendre les amateurs lorsqu’ils impriment des objets dans l’intimité de leur foyer.  S’exposent-ils à d’éventuelles poursuites pour atteinte?

Les exceptions et limitations conventionnelles prévues dans le droit de la propriété intellectuelle s’appliquent également à l’impression 3D.  À titre d’exemple, l’article 6 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC), transposé dans la législation de l’Union européenne (Directive 2008/95/CE, article 5), limite la protection conférée par une marque à son utilisation “dans l’exercice du commerce”.  De même, s’agissant du droit des brevets, l’article 30 de l’Accord sur les ADPIC stipule que les pays membres “peuvent prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet”.  Certaines législations nationales estiment que les droits d’un titulaire de brevets n’englobent pas les actes accomplis à titre privé à des fins non commerciales.  En d’autres termes, si l’objet protégé au titre d’une marque ou d’un brevet est imprimé pour un usage purement privé, on considère qu’il ne s’agit pas d’une atteinte au droit de la propriété intellectuelle.

“Oscillation”, la robe créée par threeASFOUR en collaboration
avec Travis Fitch et imprimée en 3D par Stratasys, une entreprise
de services d’impression 3D de premier plan basée aux États-Unis
d’Amérique, a été dévoilée lors de la New York Fashion Week en
septembre 2016.  “L’impression 3D représente une avancée majeure
pour les stylistes cherchant à transformer des dessins complexes
en vêtements”, explique Adi Gil, styliste du collectif threeASFOUR
(Photo: Elisabet Davids, Jan Klier).

S’agissant du droit d’auteur, les droits accordés aux auteurs peuvent être limités conformément au “triple critère”.  L’article 13 de l’Accord sur les ADPIC stipule que “les membres restreindront les limitations des droits exclusifs ou exceptions à ces droits à certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur du droit”.  En conséquence, certains pays ont instauré un “droit à la copie privée” qui autorise une personne à reproduire une œuvre pour son usage privé.  Pour compenser le manque à gagner des titulaires de droits, il n’est pas rare qu’ils prélèvent une redevance sur les dispositifs de stockage.  D’autres réfléchissent à la possibilité de mettre en place une redevance pour compenser l’impression 3D à titre privé.  Certains législateurs estiment cependant qu’il serait prématuré d’étendre la perception de cette redevance à l’impression 3D car cela constituerait “une réponse inadaptée, voire un message négatif pour les entreprises” et freinerait le développement et la généralisation de cette technologie.

Des vides juridiques à combler

Il semble donc que sous sa forme actuelle, le droit de la propriété intellectuelle offre une protection efficace aussi bien en ce qui concerne les fichiers 3D que les utilisateurs de technologies d’impression 3D à des fins non commerciales.  Ceci étant dit, au vu des spécificités de cette technologie, certains vides juridiques devront inévitablement être comblés par les tribunaux.  À titre d’exemple, à qui appartient un objet initialement conçu par une personne, modélisé sous forme numérique par une autre et finalement imprimé par une troisième?  La personne qui a conçu l’œuvre et celle qui l’a modélisée sous forme numérique peuvent-elles être considérées comme coauteurs d’une œuvre commune au titre du droit d’auteur?  Si l’objet imprimé répond aux conditions de protection par le droit d’auteur, peut-on qualifier ces deux mêmes individus de coïnventeurs?

Le type de protection dont devraient pouvoir bénéficier les propriétaires d’imprimantes 3D figure parmi les autres questions importantes à se poser.  L’investissement financier consenti par ces personnes leur permettant de créer un objet, rempliraient-elles les critères requis pour bénéficier du même type de protection que celle accordée au titre de droits semblables aux producteurs de musique dont les investissements permettent la création d’enregistrements sonores?  Quant à la numérisation d’objets préexistants, sera-t-elle considérée comme une atteinte du simple fait de l’impression de l’objet ou de la mise en ligne du fichier de base sur une plateforme de partage permettant son téléchargement?  Autant de questions en attente de réponses.

Les mesures possibles pour empêcher toute utilisation non autorisée

Dans l’intervalle, pour empêcher toute utilisation non autorisée, si l’objet est protégé par le droit d’auteur, les titulaires de droits peuvent recourir à des mesures techniques de protection dont la neutralisation est expressément interdite conformément au Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (article 11).  Ces mesures permettent par exemple de marquer un objet et son fichier d’impression 3D à l’aide d’un identifiant unique afin d’en contrôler l’utilisation.

Une collaboration étroite entre titulaires de droits et fabricants d’imprimantes 3D en ce qui concerne l’application de ces mesures aux modèles destinés à des imprimantes 3D pourrait étalement être utile.  Dans le même ordre d’idées, la mise en place de partenariats avec les plateformes de partage proposant des fichiers 3D pourrait elle aussi jouer un rôle précieux.

Une fois ces mesures appliquées, il serait possible de proposer le téléchargement légal de fichiers d’impression 3D ou d’objets imprimés en 3D.  Sachant que des services d’impression 3D comme i.materialise existent déjà, on peut aisément concevoir que leur évolution future s’inspirera de celle des services de musique en ligne et s’accompagnera de modèles d’abonnement permettant aux utilisateurs de télécharger des fichiers d’impression 3D en contrepartie d’une redevance mensuelle.  En réalité, ce type de service est d’ores et déjà disponible en ce qui concerne les logiciels d’impression 3D, par exemple par le biais de Fusion 360, la plateforme de conception de produits innovants basée sur le Web d’Autodesk.

Premier fauteuil roulant imprimé en 3D par Benjamin Hubert,
de l’agence de design Laye.  Baptisé “Go”, ce prototype a été
conçu en collaboration avec Materialise, une société chef de
file spécialisée dans les logiciels d’impression 3D et les
services d’ingénierie ayant son siège en Belgique
(Image : avec l’aimable autorisation d’i.materialise.com).

Il ressort de l’expérience des plateformes de diffusion de musique en ligne que de telles mesures peuvent avoir une incidence positive sur le nombre d’atteintes aux droits de propriété intellectuelle.  Un sondage de 2016 réalisé auprès de consommateurs australiens sur les atteintes en ligne au droit d’auteur montre par exemple une diminution de 26% du nombre d’internautes australiens ayant accès à des contenus illégaux en ligne et une hausse sensible du nombre d’adhérents à des services de diffusion en ligne.

Dans de nombreux domaines, depuis la médecine régénérative jusqu’à la fabrication de prothèses ou de pièces aéronautiques complexes, en passant par la mode ou l’alimentation, l’impression 3D peut améliorer notre qualité de vie, parfois même de manière spectaculaire.  Avec la généralisation de cette technologie prometteuse et l’élargissement de ses champs d’application, parallèlement aux avancées constantes du numérique, tout porte à croire que l’impression 3D fera bientôt partie intégrante de notre quotidien.  Au-delà des questions de propriété intellectuelle évoquées plus haut, l’utilisation de cette technologie soulève des questions importantes sur le plan juridique, notamment en termes de garantie de la qualité, de responsabilité juridique et d’ordre public.  Des réponses existent, qu’il reste encore à trouver.

Tandis que cette technologie fascinante continue de nous livrer son potentiel, tout le défi consiste à bien cerner les répercussions à venir de sa généralisation et de son utilisation sur des procédés de fabrication relevant de tous les secteurs de l’économie, ainsi que son incidence sur notre quotidien.

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