Comment le Malawi encourage la créativité
Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
Le festival malawien de musique Lake of Stars, inspiré de manifestations telles que WOMAD et Glastonbury, donne une idée du dynamisme de la scène culturelle du Malawi et de son potentiel économique. En 2015, le festival a attiré 79 groupes et artistes nationaux et généré près de 1,5 million de dollars É.-U.
Conscient de ce potentiel considérable, le gouvernement du Malawi stimule les efforts visant à soutenir la croissance du secteur de la création du pays. Et non sans raison.
Une étude de l’OMPI menée en 2013 estime que le secteur de la création du Malawi contribue pour environ 3,4% au PIB du pays, soulignant son importance et son potentiel de croissance considérable. Au vu de ces constatations, les décideurs nationaux soutiennent activement les efforts visant à renforcer l’écosystème de la création dans le pays. Créer des conditions favorables au succès des créateurs nationaux (artistes des arts visuels, musiciens, auteurs, réalisateurs de films et autres) permettra, selon eux, de soutenir leurs efforts destinés à améliorer les perspectives économiques du pays.
“Le secteur de la création est un atout important pour des pays comme le Malawi, qui sont confrontés à la faiblesse des prix des matières premières sur les marchés mondiaux et à une multitude d’obstacles techniques au commerce sur les marchés d’exportation”, explique Robert Salama, ambassadeur et représentant permanent du Malawi auprès de l’ONU à Genève. “Il est important de développer ce secteur afin de créer des emplois et d’attirer les devises dont le pays a grand besoin. Ce secteur a le potentiel de créer des milliers d’emplois pour les jeunes et de générer des millions de dollars de recettes”, indique-t-il, faisant référence aux expériences de l’Afrique du Sud, du Kenya et du Nigéria.
Au Kenya, par exemple, le secteur de la création représente 5,3% du PIB, soit deux fois plus que l’agriculture. De la même manière, au Nigéria, Nollywood, l’industrie cinématographique connaissant la croissance la plus rapide au monde, a permis de créer plus d’un million d’emplois et enregistre des recettes annuelles de quelque 5 milliards de dollars É.-U.
“Au Malawi, nous avons un secteur de la création formidable, qui joue un rôle important dans la création d’emplois et l’apport de devises”, indique M. Salama.
“Nous croyons fermement aux possibilités que les industries de la création peuvent offrir à notre population, non seulement en termes de croissance économique et d’emplois mais aussi pour ce qui est de la promotion de notre langue et de la préservation de notre patrimoine culturel.”
Une législation sur le droit d’auteur adaptée à l’ère du numérique
En 2016, le gouvernement a redoublé d’efforts afin de transformer le riche potentiel de créativité au Malawi en résultats économiques concrets. En juillet 2016, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur le droit d’auteur qui prépare le terrain pour permettre au secteur de la création de tirer pleinement parti des possibilités du numérique, en alignant la législation du pays en matière de droit d’auteur sur les normes internationales actuelles de propriété intellectuelle.
“La nouvelle législation du Malawi nous permet de mieux promouvoir les droits patrimoniaux des créateurs et de lutter contre le piratage”, indique Dora Makwinja-Salamba, directrice exécutive de la Société malawienne du droit d’auteur (COSOMA). La loi introduit de nouvelles dispositions relatives à la concession de licences en ligne afin de faire en sorte que les artistes soient rémunérés pour l’utilisation croissante de leurs œuvres de création, notamment dans les sonneries de téléphone et sur les plateformes de diffusion en ligne.
Elle facilite aussi l’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur pour les aveugles et déficients visuels. “Le Malawi compte plus de 10 000 aveugles et déficients visuels, et les nouvelles dispositions de notre législation à ce sujet donneront à ces personnes, en particulier aux jeunes, de meilleures chances d’avoir une éducation, de trouver un emploi et de mener une vie épanouie de manière indépendante”, note Mme Makwinja-Salamba. “À plus long terme, elle leur permettra également d’accéder plus facilement aux œuvres d’autres pays dans des formats adaptés.”
Par ailleurs, pour faire en sorte que les chercheurs, les enseignants et les élèves aient accès au matériel nécessaire à l’enseignement et à la recherche, la nouvelle loi introduit un certain nombre d’exceptions, en particulier pour les écoles et les bibliothèques. “Ces éléments de flexibilité permettront aux écoliers de bénéficier du matériel d’apprentissage dont ils ont besoin”, explique Mme Makwinja-Salamba.
En réponse aux appels des auteurs du Malawi, la loi prévoit aussi un droit de prêt public, qui garantira que les auteurs reçoivent une somme modique chaque fois que leurs œuvres sont prêtées par des bibliothèques.
“Il va de soi que les emprunts de livres dans une bibliothèque feront baisser les ventes d’ouvrages, mais il est essentiel, du point de vue tant moral qu’économique, de rémunérer l’auteur pour ses compétences et le temps qu’il a passé à écrire un livre. Nous voulons encourager nos auteurs à écrire leur prochaine œuvre”, explique l’ambassadeur Salama.
Conscients de la nécessité de préserver les budgets des bibliothèques ainsi que leur aptitude à poursuivre leur précieux travail de promotion de l’éducation, les législateurs prévoient que les paiements associés au droit de prêt public seront subventionnés par le gouvernement.
“Nous avons organisé de larges consultations avec les auteurs et les bibliothèques lors de la rédaction de la loi, et nous avons tout mis en œuvre pour nous assurer que celle-ci défende les intérêts des auteurs sans nuire à ceux de nos bibliothèques publiques”, indique Mme Makwinja-Salamba.
COSOMA : le moteur du changement
Créée en 1992, la COSOMA est chargée des questions relatives au droit d’auteur au Malawi. Elle est aussi l’organisation de gestion collective du pays et, à ce titre, elle administre un large éventail de droits en vue d’assurer la juste rémunération des créateurs et autres titulaires de droits pour l’utilisation de leurs œuvres. “Nous estimons que la gestion collective est un outil important pour faire en sorte que les créateurs soient équitablement rémunérés pour l’utilisation de leurs œuvres, afin qu’ils puissent continuer de créer, année après année”, explique l’ambassadeur Salama.
La COSOMA joue un rôle moteur dans les efforts visant à développer le secteur de la création au Malawi. De plus, elle partage activement ses connaissances spécialisées en matière de droit d’auteur avec les autres pays de la région dans le cadre de ses programmes de formation. “Nous formons les législateurs d’un bon nombre de pays africains, mais nous voulons faire plus. Notre objectif est de devenir un centre d’excellence pour le droit d’auteur dans la région”, indique Mme Makwinja-Salamba.
Lutter contre le piratage
Comme dans de nombreux pays, le piratage reste un des grands problèmes du Malawi et il continue de nuire à l’important potentiel de croissance de son secteur de la création.
“Le secteur de la création est important pour l’avenir de notre pays. Nos artistes produisent des œuvres de qualité, mais celles-ci sont souvent vendues sur des marchés parallèles. Cela signifie que les artistes ne tirent aucun bénéfice de la vente de leurs œuvres”, explique Mme Makwinja-Salamba.
Selon l’ambassadeur Salama, le piratage est “l’ennemi public n° 1 du secteur de la création”. La nouvelle loi du Malawi sur le droit d’auteur adopte une position ferme sur cette question./p>
Elle fait augmenter considérablement le montant des amendes. Celles-ci varient désormais entre 3000 et 15 000 dollars É.-U. selon la gravité de l’infraction, avec des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatre ans, alors que la loi de 1989 sur le droit d’auteur prévoyait des amendes de 2 à 20 dollars É.-U. assorties d’une peine d’emprisonnement d’une année seulement.
“Le Malawi compte d’excellents créateurs, mais le développement du secteur est freiné par le piratage. Ces mesures plus strictes empêcheront les pirates d’opérer ouvertement. Si un pirate est arrêté, cela enverra un message fort aux autres”, note Mme Salamba.
Mais la méconnaissance généralisée des questions relatives au droit d’auteur implique que l’application effective des mesures exige aussi de se concentrer sur la sensibilisation des législateurs, des autorités nationales chargées de l’application de la loi et du grand public à l’importance de la protection des droits des créateurs. Pour ce faire, la COMOSA collabore étroitement avec les douanes, la police et les magistrats.
“Les bénéficiaires du nouveau système sont très heureux, mais ceux qui doivent payer ne le sont évidemment pas. Comme pour tout nouveau système, nous prévoyons que certaines personnes auront une réaction négative, mais ces mesures sont un pas important dans la bonne direction. Elles contribueront à faire mieux comprendre la nécessité de respecter les droits de nos créateurs et permettront à ceux ci de tirer un revenu de leur travail”, indique Mme Makwinja-Salamba.
Soutien logistique aux créateurs
Outre la modernisation du régime juridique national, le gouvernement soutient aussi diverses initiatives pratiques destinées à renforcer l’économie de la création au Malawi. Par exemple, un fonds pour le droit d’auteur est en cours de création; les artistes pourront déposer des propositions de projets afin d’en obtenir des financements. Le fonds sera approvisionné par différentes sources, notamment par une taxe sur les dispositifs de stockage.
Une coopérative d’épargne et de crédit pour les artistes a aussi été mise en place afin de faciliter l’accès aux financements pour les créateurs. De nombreux créateurs nationaux n’ont pas de compte en banque et il leur est difficile, voire impossible, d’obtenir un prêt. La coopérative leur permet d’emprunter sur la base des économies qu’ils ont accumulées grâce aux ventes de leurs œuvres, entre autres.
En raison de l’absence de grandes sociétés d’édition musicale et de production cinématographique au Malawi, les possibilités qu’ont les créateurs de produire et de commercialiser avec succès leurs œuvres sont limitées. Si l’on ajoute à cela l’ampleur du piratage, il est difficile pour les créateurs d’accéder à des marchés légaux et pour les consommateurs de se procurer des copies licites des œuvres.
Afin de remédier à ces lacunes dans la chaîne de valeur de la création, le gouvernement aide à la mise en place d’une coopérative de production et de commercialisation destinée aux artistes. “La coopérative produira des œuvres musicales, cinématographiques et autres et facilitera leur vente, notamment en ligne, sur les marchés mondiaux”, explique Mme Makwinja-Salamba. Il s’agit d’une première pour le secteur de la création au Malawi.
Envisageant l’avenir sous une autre perspective, le gouvernement aide aussi à cultiver les talents bruts du pays en finançant la mise en place d’une école d’arts afin de mettre en valeur les aptitudes des artistes, dont un grand nombre n’ont pas reçu d’éducation scolaire. L’objectif est de parfaire les talents artistiques des créateurs et de leur permettre de développer et de promouvoir leurs travaux et de gérer efficacement leurs droits de propriété intellectuelle. La construction de la première école de ce genre devrait commencer en 2017.
Le terrain est préparé
Convaincu de l’importance du soutien au développement de son secteur de la création, le Malawi met tout en place pour que celui-ci décolle dans les années à venir. “Notre objectif est de soutenir le développement de la chaîne de valeur économique du secteur de la création, et en particulier les créateurs, qui sont le premier maillon de cette chaîne”, explique l’ambassadeur Salama. “Le Malawi a encore du chemin à parcourir pour faire profiter sa population des nombreux avantages d’un secteur de la création bien rémunéré, mais nous avons accompli des progrès considérables pour ce qui est de poser les fondations et mettre en place les institutions nécessaires au développement et à l’essor du secteur.”
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