Douze conseils pour mieux gérer les coûts de brevet à l’international
Par Anthony de Andrade, président-directeur général, et Venkatesh Viswanath, analyste principal, Quantify IP
Confrontées à des restrictions budgétaires draconiennes, les entreprises innovantes exigent de leurs services financiers et de ceux en charge de la propriété intellectuelle qu’ils redoublent d’efforts pour obtenir, année après année, de solides brevets de large portée. Dans ce contexte, il est essentiel pour elles d’élaborer des stratégies efficaces pour mieux gérer et réduire les coûts liés à la protection par brevet de leurs technologies révolutionnaires tout au long de la durée de vie de 20 ans du dit brevet. Voici quelques conseils pour y parvenir.
1. Menez l’enquête avant de décider dans quel pays déposer votre demande
Première étape fondamentale : élaborer une bonne stratégie de dépôt. Pour ce faire, vous aurez à évaluer le potentiel de marché et d’évolution de votre technologie pendant toute la durée de validité du brevet, à déterminer où se situent les centres de fabrication, à étudier la concurrence et ses propres stratégies en matière de dépôt, à définir la nature de votre invention et, enfin, à réfléchir à l’opposabilité du brevet.
De la nature de votre invention dépendront inévitablement vos marchés cibles. Pour les définir, il importera d’étudier avec soin ce que prévoit la réglementation de chaque pays en ce qui concerne les inventions qui peuvent être brevetées ou non. Dans certains pays par exemple, notamment le Canada, l’Europe (par le biais de l’Office européen des brevets, ou OEB) ou l’Inde, les inventions relatives à des méthodes de traitement ou de diagnostic ne peuvent pas faire l’objet d’une protection par brevet. Le caractère brevetable de logiciels, de méthodes commerciales, de matériel génétique et de cellules souches varie également d’un pays à l’autre, ce dont il faut tenir compte dans toute décision de stratégie de dépôt.
2. Tenez compte du fait que le montant des taxes de dépôt varie en fonction du nombre de revendications
Le montant des taxes de dépôt peut également varier d’un pays à l’autre. Le nombre de revendications contenues dans une demande peut avoir une incidence sur le montant des taxes à régler au moment du dépôt, lors de la demande d’examen et pour maintenir la validité du brevet. Aux États-Unis d’Amérique par exemple, les frais augmentent dès qu’une demande renferme plus de 20 revendications et plus de trois revendications indépendantes. Le terme “revendication indépendante” s’entend des caractéristiques particulières de l’invention divulguée; la revendication indépendante peut servir de fondement à une ou plusieurs autres “revendications dépendantes”, lesquelles se rapportent à un mode de réalisation précis de l’invention et permettent de présenter plus en détail la revendication indépendante. En Fédération de Russie, le montant de la taxe de dépôt liée à la demande d’examen est fixé en fonction du nombre total de revendications indépendantes formulées dans la demande. Au Japon et en République de Corée, le montant des taxes à verser aussi bien pour la demande d’examen que pour la demande de renouvellement dépend du nombre total de revendications. C’est également le cas des taxes de renouvellement en Indonésie (en fonction du nombre total de revendications) et au Viet Nam (en fonction du nombre de revendications indépendantes).
Avant de déposer une demande au Japon ou en République de Corée, il peut donc être utile de réunir plusieurs revendications en une seule, dépendante de revendications multiples, en supprimant les revendications d’un intérêt limité ou ayant de fortes chances d’être rejetées.
À noter par ailleurs que les cabinets d’avocats appliquent souvent des frais pour le traitement de toute revendication supplémentaire dont le montant peut être supérieur à celui des taxes de dépôt officielles.
3. Préservez l’environnement – Faites appel aux services de dépôt électronique
Pour améliorer leur empreinte carbone, réduire les coûts et gagner en efficacité, de nombreux offices de propriété intellectuelle, notamment en Australie, au Brésil, en Inde, au Japon, en Malaisie, en République de Corée et en Europe (via l’OEB), proposent des services de dépôt électronique à des tarifs plus avantageux. Il faut par exemple compter 46 000 wons coréens pour déposer une demande de brevet (au nombre de pages illimité) par voie électronique auprès de l’Office coréen de la propriété intellectuelle (KIPO), contre 66 000 wons coréens pour le dépôt d’une demande papier d’une vingtaine de pages au maximum (chaque page supplémentaire étant facturée 1000 wons coréens).
4. Limitez vos frais de traduction
Vous pouvez avoir à régler des frais de traduction dans trois cas : lors du dépôt ou de l’instruction d’une demande de brevet dans un pays n’ayant pas l’anglais pour langue officielle; lors de la délivrance d’un brevet européen; et lors de de la validation d’un brevet européen délivré dans certains États membres de l’OEB (à savoir les pays non signataires de l’Accord de Londres visant à réduire les frais de traduction de brevets européens).
Les frais de traduction peuvent être très élevés. Il peut par exemple vous en coûter entre 3000 et 6500 dollars des États-Unis d’Amérique pour faire traduire une demande en chinois, en japonais, en coréen ou en russe (ce qui représente de 75 à 80% du montant total des coûts de dépôt). Il faut également savoir que les frais de traduction représentent une part très importante des frais engagés pour faire valider un brevet européen délivré.
Il est possible de limiter ou de mieux gérer les dépenses de traduction en accordant la priorité aux pays de langue anglaise, ou à des régions partageant une langue officielle commune, par exemple l’Amérique latine. Une autre solution pour réduire les coûts de traduction consiste à rédiger avec soin sa demande de brevet et à supprimer tout texte superflu à l’intérieur du mémoire descriptif.
5. Faites appel au Traité de coopération en matière de brevets de l’OMPI pour différer le paiement des taxes de dépôt au niveau national
En déposant une demande de brevet internationale auprès d’un bureau récepteur compétent selon le Traité de coopération en matière de brevets de l’OMPI (PCT), tout déposant à la possibilité de différer le paiement des coûts de dépôt de demandes nationales de près de 30 mois à compter de la date du premier dépôt, et ce dans plus de 150 pays.
Le PCT offre plusieurs avantages stratégiques. Il donne par exemple plus de temps au déposant pour étudier la viabilité commerciale de son invention sur les marchés visés. Parallèlement, il donne de très précieuses informations sur la brevetabilité d’une invention au titre du rapport de recherche internationale (obligatoire) et de l’examen préliminaire international (facultatif), ce qui permet au déposant de prendre des décisions éclairées quant à sa stratégie en matière de brevets. Dans certains cas, il est également possible de réduire le montant des taxes de recherche ou d’examen lors de l’ouverture de la phase nationale (c’est-à-dire lorsqu’un office national procède à un examen quant au fond de la demande). On peut également réduire les dépenses en optant pour un examen accéléré au titre du programme d’accélération des procédures d’examen des demandes de brevet, le PCT-Patent Prosecution Highway (PCT-PPH).
6. Choisissez de manière judicieuse les administrations chargées de la recherche et de l’examen
Pour pouvoir déposer une demande de brevet selon le PCT, il faut choisir une administration chargée de la recherche internationale, laquelle effectuera les recherches nécessaires sur l’état de la technique pour déterminer si la technologie qui fait l’objet de la demande de brevet respecte bien les critères de nouveauté et d’inventivité, ce qui donnera au déposant une idée du caractère brevetable de son invention. Vingt-deux offices des brevets remplissent les fonctions d’administrations chargées de la recherche internationale. Le choix de l’administration compétente dépendra du pays dans lequel la demande initiale aura été déposée. Tout déposant ayant fait une demande auprès de l’Office des brevets et des marques des États-Unis d’Amérique (USPTO) (en tant qu’office récepteur du PCT) pourra ainsi choisir comme administration chargée de la recherche internationale l’office de propriété intellectuelle de l’Australie, des États-Unis d’Amérique, de la Fédération de Russie, d’Israël, du Japon ou bien encore de la République de Corée. Chaque office récepteur du PCT désigne au moins une administration compétente en matière de recherche internationale.
En général, il est préférable de choisir une administration située dans le pays ou la région où vous entendez déposer une demande au titre de la phase nationale. Si, par exemple, l’objectif est d’obtenir un brevet européen, l’OEB sera le mieux placé pour effectuer les recherches. À noter cependant que les administrations chargées de la recherche internationale fixent elles-mêmes le montant des taxes à régler, d’où de possibles écarts substantiels. Certaines offrent aussi des réductions. L’OEB par exemple, qui figure parmi les administrations pratiquant les tarifs les plus élevés, offre une remise de 190 euros sur les rapports de recherche internationale établis par les offices des brevets d’Australie, de Chine, des États-Unis d’Amérique, de la Fédération de Russie, du Japon ou de la République de Corée. De même, l’Office russe des brevets offre une réduction de 50% sur le montant des taxes d’examen pour les rapports de recherche internationale établis par ses soins et une remise de 20% sur les rapports rédigés par d’autres administrations chargées de la recherche internationale. La vitesse à laquelle les différentes administrations établissent leurs rapports, et la qualité de ces derniers, sont également deux critères importants à prendre en considération au moment du choix de l’administration la plus appropriée.
7. Profitez des possibilités de procédure accélérée
Plusieurs offices nationaux des brevets collaborent dans le cadre d’un dispositif connu sous le nom de “Patent Prosecution Highway” (PPH) destiné à simplifier et à accélérer le traitement des demandes de brevet. Conformément aux modalités du PPH, chacun des offices nationaux de propriété intellectuelle peut tirer parti de travaux réalisés précédemment par un autre office des brevets dans le cadre d’une demande de brevet donnée. Citons par exemple le PCT-PPH, le PPH mondial comprenant les offices de propriété intellectuelle de 22 pays, ou le IP5 PPH se rapportant aux cinq plus grands offices de propriété intellectuelle du monde : l’Office d’État de la propriété intellectuelle de la République populaire de Chine, l’OEB, l’Office japonais des brevets, l’Office coréen de la propriété intellectuelle et l’USPTO.
Le programme de coopération en matière d’examen des brevets de l’ASEAN (ASPEC) est un autre type d’accord sur le partage des tâches. Il englobe les offices des brevets du Brunéi Darussalam, du Cambodge, de l’Indonésie, de la Malaisie, des Philippines, de la République démocratique populaire lao, de Singapour, de la Thaïlande et du Viet Nam. Dans le cadre de l’ASPEC, les rapports de recherche et d’examen sont établis en anglais, ce qui permet aux déposants de réaliser des économies non négligeables en termes de traduction.
8. Déposez simultanément votre demande de brevet et votre demande d’examen
À moins d’avoir besoin d’un délai supplémentaire pour tester le potentiel commercial d’une invention, il peut être utile de déposer simultanément une demande de brevet et une demande d’examen. Certains cabinets d’avocats ne demandent pas de supplément en la matière. Cette façon de procéder peut permettre d’épargner du temps et de l’argent dans des pays comme l’Inde qui proposent un système d’examen différé (voir encadré) et qui ne font encore partie d’aucun accord de PPH.
9. N’oubliez pas qu’il est possible de recourir à la procédure d’examen quant au fond modifié
Faire appel à la procédure d’examen quant au fond modifié, selon laquelle un office de propriété intellectuelle délivre un brevet s’il correspond à un autre brevet délivré dans un autre pays, peut permettre de réaliser de très importantes économies en ce qui concerne les frais d’instruction. La Malaisie, par exemple, applique ce système pour les brevets délivrés par l’Australie, les États-Unis d’Amérique, le Japon, l’OEB, la République de Corée et le Royaume-Uni. En Thaïlande, le cabinet du Premier Ministre a récemment autorisé le département de la propriété industrielle à accepter des demandes de brevet dans les cas suivants : au moins cinq années se sont écoulées depuis la date de dépôt; une demande d’examen quant au fond a été déposée; un brevet correspondant a été délivré dans un autre pays; les revendications formulées dans la demande déposée en Thaïlande correspondent à celles du brevet délivré à l’étranger.
Israël offre également la possibilité d’une procédure d’examen quant au fond modifié pour des brevets délivrés par l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, le Canada, le Danemark, les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, le Japon, la Norvège, l’OEB ou le Royaume-Uni, mais conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande d’examen modifié.
10. Gardez à portée de main toutes les pièces justificatives
Assurez-vous d’obtenir dans les meilleurs délais toutes les pièces justificatives susceptibles de vous être utiles, par exemple les actes de cession ou des copies certifiées conformes de documents de priorité. Tout retard peut se révéler pénible et coûteux.
11. Réfléchissez à la possibilité de concéder des droits sous licence pour réduire les taxes de maintien en vigueur des brevets
Maintenir en vigueur un brevet peut être onéreux : ce type de taxe représente jusqu’à 75% du total des coûts estimatifs d’un brevet sur une durée de vie de 20 ans. Cependant, s’il manifeste son intention de concéder son brevet sous licence à un tiers, le déposant peut bénéficier d’une réduction du montant des taxes de maintien en vigueur de son brevet dans une vingtaine de pays, notamment en Allemagne, au Bélarus, au Brésil, en Espagne, en Fédération de Russie, en Irlande, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, en République tchèque, au Royaume-Uni et en Slovaquie.
12. N’excluez pas la possibilité d’un abandon stratégique
Enfin, dernier conseil et non le moindre, il est important que les titulaires de droits suivent l’évolution de la valeur de leur brevet et y renoncent dès qu’il perd de sa valeur. Cette situation peut se produire lorsqu’une technologie sous brevet devient dépassée ou obsolète ou ne correspond plus aux objectifs commerciaux de l’entreprise. Abandonner un brevet peut générer des économies substantielles en ce qui concerne le montant des taxes de maintien en vigueur à verser pendant toute la durée de vie d’un brevet, lesquelles (en général) augmentent sensiblement au fil du temps.
À l’image de Samsung Electronics, Fujifilm, Toshiba, IBM et d’autres, de nombreuses sociétés recourent à l’abandon stratégique pour optimiser leur portefeuille de brevets et limiter leurs dépenses en la matière.
La balle est dans votre camp
Constituer et conserver un portefeuille de brevets au niveau mondial peut fortement grever les ressources financières d’une entreprise, raison pour laquelle il est fondamental d’élaborer de solides stratégies de propriété intellectuelle en accord avec vos objectifs commerciaux. Nous vous avons proposé quelques solutions pour ce faire.
Le système d’examen différé
Certains offices nationaux des brevets offrent aux déposants la possibilité de différer l’examen de leur demande de brevet sur une période donnée. Concrètement, la demande est retirée de la liste des dossiers à examiner pendant la durée du report; à expiration du délai préétabli, elle fait l’objet d’un examen selon la procédure habituelle. L’examen différé entraîne dans la pratique un délai de traitement plus long, ce qui peut constituer un outil précieux en termes de marketing, par exemple en prolongeant le statut de “brevet en instance” d’un produit de consommation; il peut aussi permettre de reporter le paiement des taxes de brevet, ce qui peut être utile à l’entreprise.
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