iROKOtv : Nollywood à la conquête du monde
Par Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
Où que ce soit dans le monde, il suffit désormais d’un simple écran pour accéder aux films Nollywood. De fait, grâce à la progression constante de la diffusion en ligne, l’industrie cinématographique du Nigéria affirme de plus en plus sa présence à l’international.
iROKOtv est la véritable figure de proue de ce mouvement. En l’espace de sept ans à peine, la jeune pousse s’est transformée en une plateforme médiatique d’envergure mondiale, avec à son actif le plus vaste catalogue en ligne de films Nollywood, une poignée de chaînes de télévision et une audience répartie dans 178 pays. Aujourd’hui, elle est également en passe de devenir l’un des plus grands producteurs de contenus Nollywood.
Tope Lucas, conseiller juridique et responsable de l’acquisition de contenus, nous parle de l’essor fulgurant de l’entreprise, du rôle que la propriété intellectuelle joue dans son évolution et de ses projets d’avenir.
Comment a démarré le projet iROKOtv?
C’est en 2010 que notre directeur général, Jason Njoku, a eu l’idée de créer une entreprise de distribution de films Nollywood alors qu’il habitait en famille à Manchester, au Royaume-Uni. Sa mère adorait les films Nollywood mais l’offre était limitée. À l’époque, la seule solution pour voir ce genre de film consistait à se procurer des DVD ramenés du Nigéria ou à se rendre sur des sites pirates peu fiables proposant des films de mauvaise qualité. Jason décida alors d’aller au Nigéria pour y rencontrer des producteurs et voir s’ils seraient intéressés par la mise en ligne de leurs films. Au début, ils se montrèrent hésitants. Ils avaient été “échaudés” par le passé et lorsqu’ils se virent présenter un véritable contrat aux termes duquel ils percevraient une rémunération en échange de l’utilisation de leur œuvre en ligne, la proposition leur parut trop belle pour être vraie. Ils finirent néanmoins par adhérer au concept, et c’est grâce à cette approche que nous avons réussi. iROKOtv a démarré sous forme de société YouTube, et nous fûmes les premiers à proposer des contenus Nollywood en ligne de manière légale. Par la suite, en 2011, nous avons entrepris de créer notre propre plateforme, iROKOtv.com, et avons commencé à élaborer nos propres contenus et à les concéder sous licence.
Quels types de service proposez-vous?
Au départ, nous proposions un modèle d’accès gratuit et un système d’abonnement mais aujourd’hui, pratiquement toute notre activité repose sur l’abonnement. Il y a tout juste un an, nous avons renforcé notre présence dans le secteur de la télévision et nous travaillons désormais en association avec plusieurs chaînes télévisées. Nous distribuons aussi des programmes de divertissement en vol et proposons des contenus à plusieurs chaînes de télévision francophones de différents pays d’Afrique.
D’où proviennent les contenus que vous proposez?
Nous avons récemment commencé à produire nos propres contenus. Ce ne fut pas une mince affaire mais au final, le succès a dépassé toutes nos attentes. L’année dernière, ROK Studios, notre maison de production, a réalisé ou commandé 90% des contenus diffusés sur iROKOtv.com, et nous sommes titulaires des droits rattachés à ces programmes.
iROKOtv has shown the world that Africa has a lot of great content and many talented producers.
Nous pouvons également compter sur iROKO Global, une division initialement créée pour traiter des contenus de tiers provenant de différents producteurs et concédés sous licence par iROKOtv mais désormais axée sur la distribution de nos propres contenus. Auparavant, nous devions payer le prix fort pour les contenus sous licence, ce qui n’était pas viable sur le plan financier, et nous nous sommes rendu compte qu’en réalité, nous avions les moyens de produire nos propres contenus.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’activité diffusion de contenus d’iROKOtv?
Au départ, la diffusion ne faisait pas partie de nos priorités, jusqu’à ce que nous réalisions que nous pouvions tirer profit de tous les droits rattachés aux contenus que nous produisions en vue de leur utilisation sur Internet, à la télévision et à bord des avions. On a commencé à nous acheter des contenus car c’était plus facile que de faire appel à une multitude de producteurs. Nous avons alors pris conscience que nous étions assis sur une véritable mine d’or et décidé d’investir dans la production et la distribution de nos propres contenus. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se tournent vers iROKOtv pour se procurer des contenus Nollywood car nous sommes réputés pour concéder des licences en bonne et due forme sur nos produits. L’activité diffusion de contenus représente actuellement 40% de notre chiffre d’affaires.
Qu’en est-il de vos chaînes de télévision?
La télévision est pour nous un tout nouveau domaine d’activité. Il commence néanmoins à monter en puissance, et même à prendre le pas sur notre activité diffusion. Les studios ROK disposent de quatre chaînes de télévision : une sur DS TV (une chaîne câblée nigériane), une autre sur Sky, au Royaume-Uni, et deux sur le réseau nigérian Star Time TV network (iROKO 1 et iROKO 2). Toutes diffusent des contenus dont nous sommes propriétaires ou que nous cédons sous licence.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous vous heurtez sur le marché africain?
Obtenir des licences auprès de certains producteurs de Nollywood peut être une véritable gageure, en particulier auprès de ceux qui cèdent des droits à de multiples parties. Et naturellement, le piratage en ligne reste un combat de chaque instant. Nous avons beau faire le maximum pour protéger nos contenus en ligne, il y a toujours des individus qui essaient de s’en emparer pour les diffuser gratuitement sur d’autres plateformes. Ce sont des frustrations quotidiennes, mais globalement nous arrivons à les surmonter. Nous mettons un point d’honneur à entretenir des relations étroites avec les producteurs, ce qui aide beaucoup. Peu à peu, ils prennent conscience qu’ils ont tout autant besoin de nous que nous avons besoin d’eux, et ils sont de plus en plus nombreux à respecter les règles du jeu.
Sur le plan technique, la largeur de bande est un gros problème. La plupart des gens ici utilisent des appareils mobiles pour visionner des contenus, ce qui nous a poussés à mettre au point une application mobile et à installer une cinquantaine de kiosques autour de Lagos. Ces kiosques permettent à chaque abonné à iROKOtv d’accéder à nos contenus et de les télécharger sur leur portable. Il leur suffit de télécharger l’application en utilisant l’accès Internet proposé au kiosque – sans avoir à consommer leurs propres données – puis de sélectionner et de télécharger le contenu qu’ils souhaitent regarder. Ils pourront alors le consulter pendant 30 jours.
Avez-vous observé des changements vis-à-vis des films Nollywood?
Aujourd’hui, les contenus Nollywood suscitent davantage de respect. Ces deux dernières années, nous avons effectivement constaté de nombreuses évolutions positives. La qualité des films que nous produisons s’est réellement améliorée. Nous avons désormais de meilleurs scénarios, de meilleurs acteurs, ainsi qu’une mise en scène et une réalisation de meilleure qualité. Nous réalisons aussi des films de cinéma. Alors qu’auparavant les films américains étaient très prisés, ce sont aujourd’hui les films Nollywood qui dominent le marché du cinéma en Afrique. Le public est curieux et avide de ce genre de production, et je suis persuadé que Nollywood est voué à un avenir prometteur.
iROKOtv fait désormais partie des entreprises de technologie de pointe en Afrique; comment l’expliquez-vous?
iROKOtv a innové en proposant une offre totalement inédite sur le marché, et c’est grâce à la technologie qu’elle y est parvenue. Nous avons démarré en nous appuyant sur YouTube et, aujourd’hui, nous disposons de notre propre plateforme et de notre propre modèle de paiement pour proposer des contenus à nos clients. En réalité, nous sommes à la fois une entreprise de technologie et une société de divertissement. Nous ne cessons d’évoluer et d’exploiter de nouvelles technologies pour garantir à notre clientèle une diffusion fluide et agréable. Nous sommes très attachés à l’innovation.
Comment expliquez-vous l’essor fulgurant d’iROKOtv?
Cet essor repose sur deux éléments fondamentaux : les contenus et le la technologie. Si la technologie que vous utilisez permet à l’utilisateur de se procurer très facilement le film qu’il cherche à visionner, et si vous respectez vos engagements, vous détenez les clés du succès. La régularité est ce qui nous a permis de gagner la confiance de notre clientèle. Nos abonnés savent que nous aurons toujours un programme à leur proposer. Nous publions des films sur notre plateforme au moins trois fois par semaine. Imaginez pouvoir visionner au moins trois films par semaine! C’est un argument suffisant pour amener les clients sur notre plateforme.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans la promotion de vos films?
Les réseaux sociaux nous offrent un moyen extrêmement rentable de promouvoir nos contenus. Notre équipe en charge de la communication gère notre présence sur Facebook, Twitter et YouTube et publie régulièrement de courtes vidéos à l’intention de nos utilisateurs. Ce qui est formidable avec ces plateformes, c’est qu’il suffit de poster un film : s’il est apprécié, la nouvelle se répandra très rapidement. Les spectateurs le regarderont sur la foi des commentaires publiés. C’est aussi simple que ça!
Comment faites-vous pour faire face à la demande croissante en contenus Nollywood?
Répondre à la demande n’est pas toujours facile parce que nous ne nous contentons pas de diffuser des films, nous cherchons à diffuser des films de qualité. La demande est forte, c’est une réalité, mais toute une armée de producteurs tournent des films pour nous. Nous étudions aussi les productions que nous envoient d’autres réalisateurs. Enfin, nous nous efforçons de conclure un maximum d’accords et d’avoir suffisamment de films en réserve.
iROKOtv apporte-t-elle son soutien aux cinéastes locaux?
Oui, absolument. Lorsqu’un réalisateur nous fait parvenir un film – nous en recevons de tout le pays –, nous l’envoyons pour étude à notre équipe londonienne. Sur la base de son évaluation, le film est alors accepté ou refusé. Si le film est retenu, nous négocions un accord. S’il est refusé sur notre plateforme, nous proposons un accord de partenariat au titre duquel le film sera téléchargé sur notre chaîne YouTube gratuite. Les recettes générées seront ensuite partagées à hauteur de 80% pour le réalisateur et de 20% pour iROKOtv.
Combien de films ou de séries les studios ROK ont-ils produits jusqu’ici?
À ce jour, nous avons réalisé quelque 200 films et une trentaine de séries télévisées. En 2017, nous tablons sur une centaine de longs métrages. Notre objectif est de tourner le plus grand nombre de films possible pour éviter d’avoir à acquérir des droits de licence auprès de producteurs tiers. Les licences sur des contenus ont en effet une durée de vie précise et doivent régulièrement faire l’objet de nouvelles négociations. Lorsque nous tournons nos propres films, nous en détenons tous les droits et pouvons ensuite les céder selon nos propres conditions ce qui, à long terme, se révèle plus rentable.
When we shoot our own movies we hold all the rights and can license them on our own terms. In the long run it’s more cost-effective.
Quelle place occupe la propriété intellectuelle dans votre activité?
La propriété intellectuelle occupe une place centrale dans notre activité. De la concession de licences à la réalisation de films, elle est au cœur de tout notre travail. Il est parfois difficile de juger de la valeur d’une œuvre de création, mais forts de plusieurs années d’expérience dans ce secteur, nous sommes désormais en mesure d’attribuer une valeur à un film et d’en payer le juste prix.
Quelles sont les perspectives de croissance pour le secteur du divertissement et de la radiodiffusion en Afrique?
Pendant de nombreuses années, le divertissement en Afrique n’a pas été pris au sérieux. Mais la situation a évolué. Les Africains commencent à apprécier les productions africaines, ce qui permet à des sociétés comme iROKOtv de prospérer. Si la qualité des films continue d’augmenter, ce secteur devrait connaître une croissance exponentielle.
Selon vous, quelle incidence iROKOtv a-t-elle eu sur le secteur du divertissement en Afrique?
iROKOtv a incité nombre de personnes à créer et à monnayer leurs propres contenus, par exemple en lançant leur propre chaîne YouTube. De fait, iROKOtv est devenue une plateforme de référence pour tout producteur désireux de présenter son travail à un public international dans l’espoir d’obtenir des financements pour de futurs projets cinématographiques. Nous avons ouvert la voie et continuons de servir d’exemple.
iROKOtv a permis de braquer les projecteurs sur Nollywood et a montré au monde entier que l’Afrique était un véritable vivier en termes de contenus et de talents. Semaine après semaine, nous proposons des contenus inédits à nos spectateurs et le public prend peu à peu conscience que l’avenir est là : l’avenir, c’est Nollywood, et ce sont les contenus produits en Afrique. De plus en plus de films nigérians sont récompensés et le nombre des collaborations avec des artistes et des producteurs internationaux ne cesse d’augmenter. Désormais, tout le monde prend part au spectacle.
En quoi iROKOtv se démarque-t-elle face à des concurrents comme Netflix?
Netflix propose essentiellement des films américains. C’est une plateforme aux contenus intéressants, mais pas pour Nollywood ou l’Afrique. Dans ce domaine, les spécialistes, c’est nous.
Quels enseignements tirez-vous de cette expérience?
La détermination et la régularité sont deux éléments clés. Si vous vous concentrez sur une activité et que vous la pratiquez régulièrement, vous vous améliorez. À un moment, nous avons envisagé de diffuser d’autres types de contenus, mais nous avons pris conscience que notre avantage concurrentiel, c’était Nollywood, et nous avons décidé de l’exploiter pleinement.
Quels sont vos projets?
Pour iROKOtv, les possibilités sont infinies. Depuis 2010, la société a connu une évolution au-delà de toute imagination et elle devrait continuer sur cette lancée. Nous proposons désormais plusieurs chaînes de télévision et devrions dans les prochaines années élargir notre offre en la matière. Chaque semaine, nous produisons des contenus de qualité dont nous détenons les droits. Il ne nous reste plus qu’à les exploiter. Nous prenons tout juste notre envol…
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.