Le secret d’affaires : le droit de propriété intellectuelle caché sous le boisseau
Prajwal Nirwan, membre du cabinet de conseils en brevet Miller Sturt Kenyon, Londres (Royaume-Uni)
Dans le monde aujourd’hui, ouverture et accessibilité sont en passe de devenir deux maîtres-mots. Des plateformes publiques permettent la diffusion à grande échelle d’idées innovantes et le volume des publications de travaux de recherche n’a jamais été aussi élevé. Dans ce monde toujours plus complexe, extrêmement concurrentiel et hyperconnecté, il se révèle préférable de tenir secrets certains éléments qui, en temps normal, auraient été protégés par des droits de propriété intellectuelle classiques, comme les droits sur les brevets, les marques ou les dessins et modèles.
Certains des secrets les mieux gardés au monde – comme la recette du Coca-Cola ou l’algorithme de recherche de Google – ont une valeur inestimable. Ces sociétés ont rapidement pris conscience que le caractère secret de ces actifs précis de propriété intellectuelle faisait toute leur valeur, et que les protéger au titre du secret d’affaires les aiderait à préserver leur avantage concurrentiel.
En quoi consistent au juste les secrets d’affaires?
Un secret d’affaires est un secret qui ajoute de la valeur à une entreprise. Généralement moins connu que les autres types de droits de propriété intellectuelle, le secret d’affaires est resté dans l’ombre pendant de nombreuses années avant de susciter un regain d’intérêt comme moyen efficace de protéger certains actifs de propriété intellectuelle. Toute information sensible présentant une valeur commerciale – une stratégie commerciale, une nouvelle gamme de produits ou une liste de clients et de fournisseurs – peut être considérée comme un secret d’affaires. En outre, contrairement à d’autres droits de propriété intellectuelle, le secret d’affaires peut protéger une très large palette de sujets et cette protection n’est pas assortie d’un délai d’expiration. Par opposition au brevet, le secret d’affaires ne confère aucun droit exclusif, ce qui signifie qu’il ne peut être invoqué à l’encontre de quiconque découvrirait par lui-même le secret en question. En revanche, toute acquisition illicite ou utilisation abusive d’un secret d’affaires qui résulterait d’un abus de confiance ou d’un vol peut donner lieu à des poursuites et le propriétaire du secret d’affaires peut obtenir réparation ou une injonction à l’égard de ces actes illicites.
La législation relative aux secrets d’affaires dans le monde
À l’instar d’autres droits de propriété intellectuelle, les secrets d’affaires relèvent de la législation nationale du pays dans lequel ils bénéficient d’une protection. Contrairement à ce qui se passe avec les brevets et les marques cependant, aucune exigence formelle n’est imposée concernant l’enregistrement d’un secret d’affaires auprès d’une autorité compétente mais la plupart des pays ont adopté une législation sur l’acquisition non autorisée ou l’appropriation illicite de secrets d’affaires. Au Royaume-Uni, par exemple, le secret d’affaires ne fait l’objet d’aucune définition officielle et il n’existe aucune restriction quant au type d’information pouvant constituer un secret d’affaires. La législation en la matière s’inspire essentiellement de la jurisprudence relative à l’abus de confiance et prévoit des recours efficaces en cas d’acquisition, de dévoilement ou d’utilisation illégitime.
Aux États-Unis d’Amérique, le secret d’affaires s’entend de différents types d’informations, par exemple une formule, un schéma, un assemblage, un dispositif de programme, une méthode, une technique ou un procédé. Pour répondre à cette définition, le secret d’affaires doit être utilisé dans le commerce et permettre d’obtenir un avantage économique par rapport à des concurrents qui ne le connaissent pas et ne l’utilisent pas. La Loi de 2016 sur la défense des secrets commerciaux renforce la protection des secrets d’affaires dans le pays et donne aux parties la possibilité de régler des différends en application de la législation fédérale ou d’un État. Bien qu’elles présentent quelques différences, les législations des États sont très proches, chacune d’entre elles se fondant peu ou prou sur la Loi uniforme des États-Unis d’Amérique sur les secrets commerciaux.
En Europe, les décideurs ont fait un immense pas en avant en codifiant la législation sur les secrets d’affaires de tous les pays de l’Union européenne, ce qui s’est traduit par l’adoption en juin 2016 de la Directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. Aux termes de cette directive, les États membres de l’Union européenne sont priés de mettre leur législation nationale en conformité avec les objectifs du texte avant la mi-2018. Conformément à l’article 2.1) de la directive :
“On entend par ‘secret d’affaires’ des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes :
- elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont généralement pas connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles,
- elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes,
- elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes.”
Les politiques sur les secrets d’affaires récemment adoptées par les plus grandes puissances économiques mondiales témoignent de l’intérêt grandissant des secrets commerciaux dans le climat économique actuel.
Les secrets d’affaires et les brevets
Dès lors qu’il s’agit de protéger un actif de propriété intellectuelle, toute entreprise se heurte à un dilemme : doit-elle opter pour une protection par des droits de propriété intellectuelle classiques, par exemple en déposant une demande de brevet, ou préférer la solution du secret d’affaires? La réponse n’étant pas toujours aussi évidente, il convient généralement de se poser les questions suivantes pour déterminer la meilleure marche à suivre pour l’entreprise.
- La technologie dont il est question correspond-elle à une invention brevetable? À noter à cet égard que tous les pays ne délivrent pas de brevets sur les méthodes commerciales, les logiciels (généralement protégés par le droit d’auteur), les formules mathématiques, la présentation d’informations, etc. En revanche, tous ces actifs peuvent bénéficier d’une protection au titre du secret d’affaires!
- L’actif en question a-t-il une valeur commerciale et mérite-t-il d’être gardé secret?
- Quelle est la probabilité de voir des concurrents arriver à établir le mode de fonctionnement de l’actif en question en recourant à l’ingénierie inverse ou à d’autres procédés?
- Le risque de voir un tiers faire breveter votre actif est-il important?
- La valeur de votre actif pourrait-elle subsister bien au-delà la durée de protection conférée par un brevet (en règle générale 20 ans)?
- La société serait-elle en mesure de garder le secret?
Il existe naturellement bien d’autres éléments à prendre en compte, comme les coûts liés à la protection ou les intérêts des investisseurs. Le système des brevets et le secret d’affaires constituent tous deux un excellent moyen de protection mais, en fonction de la situation et de l’actif à protéger, l’un peut s’avérer plus adapté que l’autre. Au sein de l’entreprise, il est essentiel que les décisionnaires en matière de stratégie de propriété intellectuelle aient conscience qu’un secret d’affaires peut se révéler aussi précieux (voire plus) qu’un brevet, à condition d’être protégé de manière scrupuleuse et utilisé de façon stratégique.
Le secret d’affaires, une aubaine pour les petites entreprises
Si la plupart des grandes multinationales disposent des ressources et des fonds nécessaires pour investir dans le processus d’obtention d’une protection par brevet, lequel peut être long et coûteux, c’est rarement le cas des petites et moyennes entreprises (PME). Or, recourir au secret d’affaires est une démarche relativement simple qui n’entraîne ni frais d’enregistrement ni procédures juridiques interminables, et qui peut apporter une réelle valeur ajoutée à l’entreprise. C’est pourquoi il est particulièrement important d’informer les PME sur l’intérêt du secret d’affaires et sur la façon de le protéger efficacement. Pour tirer directement parti du secret d’affaires, la PME pourra :
- réfléchir à la possibilité de conserver des techniques de fabrication indécelables ou des composants dissimulés à l’intérieur de ses produits sous forme de secrets d’affaires ;
- envisager de conserver des listes de fournisseurs et de clients sous forme de secrets d’affaires, surtout si l’entreprise exerce une activité de niche ;
- si elle ne dispose pas de fonds suffisants, réfléchir à la possibilité de conserver des inventions brevetables sous forme de secrets d’affaires et ne déposer une demande de protection par brevet qu’après avoir obtenu le financement nécessaire ou trouvé un investisseur intéressé ;
- envisager de concéder sous licence ses secrets d’affaires tout en veillant à faire signer des accords de confidentialité et des contrats exécutoires avant de dévoiler tout secret à un tiers ;
- au sein de l’entreprise, sensibiliser les employés et les décideurs au secret d’affaires.
Plusieurs établissements d’enseignement et administrations chargées de la propriété intellectuelle se rapprochent des entreprises pour les informer de l’utilité et de la valeur des secrets d’affaires mais il reste encore beaucoup à faire pour rehausser leur notoriété et renforcer les législations les concernant.
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