Examen de l’UE réussi pour la marque “BREXIT”
Myrthe Pardoen, Centre de compétences, Novagraaf, Amsterdam (Pays-Bas)
En septembre 2017, la Commission européenne a publié une note d’information sur le statut des droits de propriété intellectuelle au lendemain du Brexit. Elle expose dans ce document son point de vue sur la façon dont elle souhaite voir gérés les droits communautaires après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Mais ce ne fut pas le seul thème en lien avec le Brexit auquel se sont récemment intéressés les spécialistes en propriété intellectuelle : l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a également rendu un jugement dans un procès en appel portant sur la question de savoir si le terme “BREXIT” pouvait bénéficier d’une protection par le droit des marques.
La demande en question remonte à 2016, lors du dépôt d’une demande d’enregistrement relatif à une marque verbale européenne visant à obtenir la protection du terme “BREXIT” en classe 5 (qui comprend notamment les compléments alimentaires et les boissons vitaminées), classe 32 (boissons énergisantes, bière, jus de fruits et de légumes) et classe 34 (cigarettes (électroniques)). Cette demande a été rejetée par l’EUIPO aux motifs absolus selon lesquels elle était “dépourvue de caractère distinctif” (article 7.1) b) du Règlement sur la marque de l’Union Européenne) et “contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs” (article 7.1) f)).
Selon l’examinateur de l’EUIPO, le terme “BREXIT” ne pouvait pas être protégé par le droit des marques car il était trop connu des citoyens européens, la sortie fort polémique du Royaume-Uni de l’UE constituant un “moment grave de l’histoire moderne de l’Europe”. De plus, ce nom de marque risquait d’offenser, surtout s’il était autorisé pour des produits tels que des boissons énergisantes ou des cigarettes (électroniques), l’examinateur faisant référence aux 48% de Britanniques qui avaient voté en faveur du maintien dans l’UE.
La question de l’ordre public et des bonnes mœurs
Lors de l’examen du recours ultérieur formé par le déposant, la Chambre de recours de l’EUIPO a expliqué qu’une marque pouvait être jugée immorale si elle était “directement contraire aux bonnes mœurs dans le contexte des attitudes courantes à la date de dépôt de la marque contestée.”
En l’espèce, l’EUIPO a établi que le terme “BREXIT” n’avait aucune connotation morale et qu’il se rapportait à une décision politique souveraine, prise conformément à toutes les exigences légales et constitutionnelles. L’Office a également estimé que le refus de la marque “BREXIT” pourrait constituer une violation du droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’énoncé à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toute limitation à ce droit fondamental doit être prévue par la loi, doit être nécessaire dans une société démocratique et doit répondre aux objectifs d’intérêt général. À la lumière de ce qui précède, l’EUIPO a conclu que le terme “BREXIT” ne pouvait être considéré contraire aux bonnes mœurs :
“‘BREXIT’ n’est pas une provocation ou une incitation au crime ou au désordre. Ce n’est pas non plus un emblème du terrorisme, de l’oppression ou d’une quelconque sorte de discrimination. Le terme n’est pas non plus synonyme de troubles sociaux, de haine, de sexisme, de racisme ou de quoi que ce soit de ce genre. Il n’est ni obscène ni salace. Certes, c’est un sujet litigieux et polémique. Cependant, lorsqu’il est décliné sous forme de marque désignant des cigarettes électroniques, de la bière ou des jus de fruits, l’humour prend le pas sur le message politique et fortement controversé du terme ‘BREXIT’. Une grande partie de son caractère polémique s’estompe lorsqu’il est utilisé comme marque indiquant l’origine commerciale de ces produits.”
Dans sa décision, la Chambre de recours a également fait référence à plusieurs marques nationales britanniques comportant déjà le terme “BREXIT”, telles que “BREXIT THE MUSICAL” ou encore “English Brexit Tea”. Si le terme “BREXIT” était effectivement contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ces marques ne seraient pas aussi facilement acceptées, d’autant plus que l’incidence de l’emploi de ce terme sera probablement plus forte au Royaume-Uni que dans d’autres régions de l’UE.
L’épreuve du “caractère distinctif”
Pour pouvoir bénéficier d’une protection par le droit des marques, un signe doit permettre d’identifier l’origine commerciale des produits ou services de marque, donnant ainsi la possibilité au public concerné de distinguer ces produits ou services de ceux d’une autre entreprise (GretagMacbeth c. OHIM). Au moment de déterminer si le mot “BREXIT” remplissait ce critère, la Chambre de recours a jugé que le terme n’était pas élogieux et qu’il ne s’agissait pas d’une formule publicitaire, à l’image du slogan “made in Britain”, par exemple. Elle a également estimé que l’expression était un savant mot-valise qui jouait sur les mots anglais “Britain” (Grande-Bretagne) et “exit” (sortie), et fait observer que cette association de mots avait sur le consommateur “un effet surprenant et saisissant”; autrement dit, le terme présentait bien un caractère distinctif. Le recours a donc abouti.
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