Un toast pour Ya Kun et la propriété intellectuelle, l’un des ingrédients de sa réussite
Par Emma Barraclough, journaliste indépendante
Basée à Singapour, Ya Kun est une chaîne de café et de toasts qui compte des points de vente dans toute l’Asie. Son président, Adrin Loi, nous explique en quoi la propriété intellectuelle a joué un rôle déterminant dans l’essor de la société.
Il y a 90 ans, le jour où le père d’Adrin Loi quitte la province de l’île de Hainan, dans le sud de la Chine, à bord d’une jonque à destination de Singapour, il est loin de se douter que sa famille sera un jour à la tête d’un empire du café fort de plus d’une centaine de points de vente sur une douzaine de marchés d’Asie de l’Est et du Sud-Est.
À l’âge de 15 ans, Loi Ah Koon commence à travailler dans une échoppe tenue par des Hainanais proposant du café dans le centre-ville de son nouveau pays d’accueil. Bientôt, il ouvre son propre comptoir et propose du café, du thé, des toasts et des œufs mollets aux commerçants et aux bateliers qui travaillent dans la région. Après leur mariage, sa femme se met à confectionner son propre “kaya”, une sorte de confiture à base d’œuf et de noix de coco, et Ah Koon entreprend d’importer des grains de café qu’il torréfie lui-même.
Ah Koon consacre le reste de sa vie active à sa petite entreprise familiale baptisée “Ya Kun” (translittération en chinois pinyin de son nom, Ah Koon).
“Papa est le véritable fondateur de l’entreprise et ç’aurait été dommage de ne pas la perpétuer”, déclare Adrin Loi pour justifier sa décision de reprendre le comptoir aux côtés de son frère en 1998, lorsque son père tombe malade.
Un chantier de construction dans le quartier commerçant force les deux frères à transférer le comptoir ailleurs. Face à la hausse vertigineuse des loyers, ils décident que pour la faire prospérer, il est temps de moderniser l’entreprise.
Près de 20 ans plus tard, la famille Loi est à la tête d’une société qui compte plus de 60 points de vente à Singapour et 55 en Asie, de Dubaï au Japon, en passant par la République de Corée et l’Indonésie.
Les cafés Ya Kun continuent d’offrir à leurs clients un menu composé de café, thé, pain grillé, confiture kaya et œufs mollets. M. Loi explique que son objectif était de faire de Ya Kun une enseigne connue et de rendre ses points de vente à la fois abordables et accessibles.
Quel est le secret de l’essor fulgurant de l’entreprise? Selon M. Loi, la propriété intellectuelle est le pivot de la stratégie commerciale de Ya Kun. La société offre une gamme de produits limitée, mais la famille Loi a su capitaliser sur ses marques et exploiter son image de marque de manière à offrir des possibilités de franchisage à différents partenaires. Aujourd’hui, la moitié de ses points de vente sont gérés par des tiers.
“Le franchisage est l’un des moyens les plus efficaces de développer son activité”, affirme M. Loi. “Je ne connais ni Dubaï ni Bangkok, mais j’y ai des franchises. Gérer toutes nos boutiques en personne nous demanderait des investissements substantiels. Mais grâce à ce système, nous partageons la charge financière liée à l’expansion de la société avec les franchisés.”
Avant même que la notoriété des cafés Ya Kun ne s’étende à l’ensemble de Singapour et au-delà, M. Loi était résolu à protéger la marque que son père avait mis tant d’efforts à créer et à conserver.
“D’emblée, nous nous sommes rendu compte que des imitateurs pouvaient facilement tirer profit de ce nous avions mis des années à construire. Dans ce secteur, les barrières à l’entrée sont peu nombreuses, il suffit de disposer de quelques fonds.”
C’est la femme d’Adrin Loi qui l’a aidé à trouver le nom “Ya Kun Kaya Toast Coffee stall since 1944”, une longue appellation destinée à dissuader tout rival d’exploiter la notoriété de Ya Kun. “Aujourd’hui, nombreux sont ceux à Singapour qui utilisent l’expression ‘depuis telle ou telle année’”, indique M. Loi, “ce qui signifie que notre marque s’inscrit dans l’histoire, ce qui est un atout pour s’emparer d’un marché”.
Après avoir opté pour le franchisage, l’étape suivante pour la famille Loi consistait à protéger ses actifs de propriété intellectuelle et à asseoir le plus solidement possible la réputation de l’entreprise pour attirer de nouveaux franchisés.
“Notre objectif était que tout le monde ait foi dans la marque, des propriétaires aux gestionnaires en passant par les employés. Il était aussi essentiel pour nous que chacun ait conscience de l’importance de la protection offerte par le système de la propriété intellectuelle.”
“Si nous proposons des produits et un service de qualité, alors la situation est avantageuse aussi bien pour la société que pour ses franchisés.”
Ya Kun a pris les dispositions nécessaires pour faire enregistrer ses marques. Aujourd’hui, l’entreprise est titulaire de la marque Ya Kun pour ses toasts, de la marque verbale Ya Kun, du nom Ya Kun en caractères chinois et de l’appellation Ya Kun toastwich. Elle détient également un droit d’auteur sur les dessins qu’elle utilise pour son café moulu à savourer chez soi et pour ses produits à base de confiture kaya. Ses procédés de torréfaction et de préparation du café ainsi que la recette de confiture kaya sont protégés par des secrets d’affaires.
“Nous avons nos propres façons de faire”, explique M. Loi. “Nous utilisons par exemple une chaussette pour préparer le café – pas du genre de celles que l’on porte mais une chaussette spéciale qui nous permet de préparer 10 tasses à la fois, contrairement à d’autres établissements où l’on ne peut préparer qu’une tasse à la fois. Nous offrons par ailleurs des tasses de café bien pleines, contrairement à certains cafés latte disponibles dans le commerce!”
Ya Kun importe des grains de café Robusta de différents pays comme le Brésil, l’Indonésie, la République démocratique populaire lao ou le Viet Nam. M. Loi affirme que le procédé de torréfaction joue un rôle déterminant dans la saveur du produit final.
Le franchisage et la propriété intellectuelle
Entretien avec Adrin Loi sur le rôle joué par la propriété intellectuelle dans l’essor de la marque Ya Kun
Quels sont les principaux obstacles auxquels vous vous êtes heurtés au moment d’élaborer une stratégie de propriété intellectuelle pour Ya Kun?
L’un des plus grands défis consiste à éviter les différends à l’étranger.
Certaines économies émergentes s’appuient encore sur des législations très anciennes en matière de propriété intellectuelle qui ne sont pas vraiment adaptées aux conventions actuelles. Dans certains pays, il peut y avoir des désaccords quant à la signification de certains termes juridiques utilisés en droit, ce qui peut être source d’incertitude dans des accords de franchisage.
Comme nous avons enregistré nos marques très tôt, nous n’avons pas été victimes de squatteurs de marques. Notre entreprise étant relativement modeste, nous n’avons pas été pris pour cible!
Quels sont les avantages et les inconvénients des réseaux sociaux et de l’Internet du point de vue de la propriété intellectuelle?
Comme nous sommes très connus à Singapour et facilement reconnaissables, nous devons redoubler de vigilance : plus la renommée est grande, plus la chute peut être brutale.
Nous avons une page Facebook et un site Web, et nous avons engagé une personne chargée de la gestion des réseaux sociaux. Nous faisons énormément de marketing en ligne, nous vendons des produits par le biais de notre site Web et nous proposons des programmes de fidélisation comme des avantages clients que nous mettons en avant sur les réseaux sociaux.
Il est arrivé que notre marque fasse l’objet d’une utilisation abusive à l’étranger et assurer le suivi de son utilisation est l’un des principaux obstacles auxquels nous nous heurtons. En cas d’utilisation en ligne, nous devons surveiller dans quel contexte et de quelle manière la marque est utilisée avant de décider des mesures à prendre. Nous répondons aussi aux commentaires déposés sur des sites comme TripAdvisor, de façon à gérer notre réputation en ligne.
Les droits de propriété intellectuelle vous permettent-ils de protéger vos recettes?
Nous faisons appel au secret d’affaires pour protéger nos recettes. Si nous dévoilons les principaux ingrédients utilisés, nos méthodes de production continuent de relever du secret d’affaires. Nous conservons nos procédés de fabrication au sein de la famille et nous vendons les produits finis à nos franchisés. C’est de cette façon que nous avons pu protéger nos droits. Il se peut qu’un jour nous n’ayons pas d’autre choix que de divulguer nos recettes mais pour l’instant, nous prenons soin de chacun des membres de la famille et nos secrets sont bien gardés!
Quels conseils donneriez-vous à d’autres entreprises tentées par le franchisage?
Le franchisage est l’un des moyens les plus rapides de faire croître son activité mais il est capital que les franchisés aient confiance dans la marque qu’ils adoptent. Ils doivent s’assurer qu’elle est rentable, faire preuve de vigilance et être persuadés qu’elle sera une source de revenus.
Il convient par ailleurs de mettre de l’ordre dans son portefeuille de marques. Pour ce faire, n’hésitez pas à faire appel à un bon avocat.
Veiller à ce que le contrat de franchise aborde tous les points utiles et les décrive en détail est l’un des défis majeurs. Nous mettons tout en œuvre pour prévenir les litiges et jusqu’ici, nous n’avons eu aucun problème en matière de propriété actuelle. En cas d’accord de franchise, nous nous assurons que nos franchisés sont parfaitement informés de la façon de procéder avec les droits de propriété intellectuelle.
Certains cherchent à acquérir deux ou trois franchises. Or, s’ils détiennent par ailleurs d’autres intérêts commerciaux, ils risquent de négliger ces franchises. Bien que les franchisés soient les propres dirigeants de l’entreprise, ils doivent respecter l’état d’esprit Ya Kun, suivre régulièrement des formations et éprouver un sentiment d’appartenance à une famille. Veillez à ce que vos franchisés soient animés par un même esprit d’entreprise. Si tel est bien le cas, vous en récolterez les bénéfices; dans le cas contraire, vous risquez d’en subir les conséquences.
“Nous proposons du café ordinaire en provenance de Singapour, un produit que la plupart des gens d’ici apprécient. Il est facile à préparer et assez bon marché. Sur d’autres marchés comme Hong Kong (Chine) ou Dubaï, nous proposons plutôt de l’Arabica ou des variantes comme le latte. Nous nous efforçons d’offrir des produits identiques dans tous les pays où nous sommes présents, ce qui nous permet de mieux maîtriser la qualité des produits et de maintenir une offre homogène, à quelques exceptions près. Nous demandons par exemple à des planteurs de café d’élaborer un grain au goût plus neutre pour nous adapter à la demande sur certains marchés précis. De même, avant de nous implanter sur un nouveau marché, nous demandons au franchisé de réaliser une étude sur les produits que la population locale est disposée à accepter et à mettre en vente et, en fonction des résultats de cette étude, nous donnons notre accord ou non.”
Le café fait partie intégrante du rayonnement de Ya Kun Coffee et l’éventail de nouveaux produits élaborés par la société pour s’adapter à différents marchés et répondre à la demande reflète la segmentation croissante du secteur du café et le rôle joué par la propriété intellectuelle à chaque étape de sa chaîne de valeur. Publié fin 2017, le Rapport 2017 sur la propriété intellectuelle dans le monde : le capital immatériel dans les chaînes de valeur mondiales, comprend une analyse du secteur du café au niveau mondial et décrit l’évolution des préférences des consommateurs, lesquelles ont donné lieu à trois vagues successives : la première concernait les consommateurs qui, généralement, consomment leur café à la maison, souvent pour renforcer leur vitalité; la deuxième avait trait aux consommateurs qui préfèrent consommer leur boisson dans un cadre social, par exemple un café; enfin, la troisième concernait les consommateurs avertis qui s’intéressent à la provenance de leurs grains de café, à leur mode de culture, à leur procédé de torréfaction et à la façon de préparer le café, lesquels sont prêts à payer le prix fort pour vivre une expérience gustative.
“Ces nouveaux segments de marché offrent à des participants différents la possibilité de jouer un rôle plus prépondérant le long de la chaîne de valeur”, indique le rapport. Dans ce contexte, les procédés de torréfaction et le mode de préparation du café singapourien “à la chaussette” de Ya Kun ont toutes les chances de porter leurs fruits au titre d’actifs de propriété intellectuelle protégés.
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.