Grumpy Cat : le félin qui bâtit un empire grâce aux droits de propriété intellectuelle
Par Anca Draganescu-Pinawin, conseil en propriété intellectuelle, Novagraaf (Suisse)
Il était une fois une chatte à la mine si renfrognée que par un beau jour de septembre, il y a six ans en arrière, le frère de sa propriétaire ne put s’empêcher de la prendre en photo et de diffuser l’image sur Reddit. Son air grognon était tellement irrésistible!
Elle fit immédiatement sensation sur la Toile. Comme l’aurait expliqué l’auteur P. G. Wodehouse, quiconque pouvait constater qu’à défaut d’être réellement bougonne, la chatte était loin d’afficher une mine enjouée… De nombreux internautes entreprirent alors de réaliser des mèmes à partir de la photo : ils l’affublèrent d’une légende humoristique et la publièrent sur le Web pour qu’un maximum de personnes s’en amusent et la partagent à leur tour avant de consulter d’autres vidéos de chats, de faire défiler des images de chatons ou tout simplement de poursuivre leurs activités.
C’est ainsi que vit le jour le chat le plus célèbre au monde : Grumpy Cat.
Face à l’expression grincheuse de l’animal, la propriétaire de la chatte, alors modeste serveuse dans un restaurant, et son frère, aujourd’hui partenaire commercial, flairèrent immédiatement la bonne affaire.
Ils décidèrent de créer une entreprise baptisée Grumpy Cat Limited et de faire protéger le nom “GrumpyCat”. Avec l’aide d’un conseil en propriété intellectuelle, ils déposèrent une demande officielle d’enregistrement de marque et de protection par le droit d’auteur. Ensuite, ils se mirent à proposer toutes sortes d’objets à l’effigie du chat grognon : des stylos, des tasses, des calendriers, et même un livre figurant parmi les plus grands succès du New York Times, le Grumpy Guide to Life.
Grumpy Cat a désormais sa propre chaîne YouTube, son propre site Internet et ses propres comptes Facebook et Instagram. Elle apparaît même à la télévision dans une publicité pour les céréales Honey Nut Cheerios® et dans un spot publicitaire pour McDonald’s ! La chatte est désormais célèbre, et sa propriétaire à la tête d’une véritable fortune, bien que personne ne puisse en déterminer le montant précis (ce n’est pas faute d’avoir essayé). S’élève-t-elle à 1 million de dollars des États-Unis d’Amérique? À 100 millions? Nul ne saurait le dire. Tout ce que l’on sait, c’est que le félin ne se défait pas de sa mine dépitée.
Ce qui est certain en revanche, c’est que la propriétaire de la chatte était bien résolue à ne pas s’en laisser conter. Si le simple fait d’apposer une image de chat sur des objets du quotidien pour les vendre pouvait rapporter autant d’argent, il fallait impérativement protéger cette image et les marques y afférentes. Face à de tels enjeux financiers, tout le monde ne pouvait pas les exploiter librement. Pour ce faire, il allait falloir obtenir l’autorisation préalable de sa propriétaire qui, par le biais de sa société, allait définir selon quelles modalités et sur quels produits apparaîtraient l’image et les marques rattachées à la chatte bougonne. En cas d’infraction, le conte de fées se transformerait en cauchemar et les sanctions seraient lourdes…
Concrètement, la propriétaire de la chatte bâtit une véritable forteresse autour de l’animal en s’armant de toute une panoplie de droits de propriété intellectuelle : droit d’auteur, droit des marques, contrats de licence. Si chacun de ces dispositifs permettait aux preneurs de licence de tirer profit de la juteuse entreprise, ils permettaient surtout de faire en sorte que personne ne s’enrichisse sur le dos de la chatte à la mine renfrognée sans obtenir au préalable l’autorisation de sa propriétaire. Dans le cas contraire, c’était le procès assuré. Le chat aurait traîné la souris en justice pour qu’elle rende compte de ses actes devant la plaignante (la propriétaire de l’animal), devant un juge, voire devant un jury. Et à supposer que ce jury arrive à la conclusion que l’utilisateur avait effectivement tenté d’exploiter l’image du félin sans assentiment préalable, l’animal aurait alors sorti les griffes et aurait réclamé énormément de dommages et intérêts.
Grenade Beverage LLC en a fait la douloureuse expérience. La société avait conclu un accord avec Grumpy Cat Limited pour commercialiser du café glacé sous l’appellation Grumpy Cat Grumppuccino. Quelques années plus tard, elle décida de s’aventurer en dehors du périmètre de cet accord de licence en se mettant à proposer du café moulu torréfié à l’effigie de la chatte grincheuse. Grumpy Cat Limited apprit que les conditions de l’accord n’avaient pas été respectées et poursuivit en justice Grenade Beverage LLC pour atteinte au droit d’auteur, atteinte au droit des marques, violation de contrat et même cybersquattage! Le jury jugea Grenade coupable des infractions qui lui étaient reprochées et condamna la société à verser à Grumpy Cat Limited plus de 700 000 dollars des États-Unis d’Amérique en dommages et intérêts, soit l’équivalent de quelque 175 000 Grumpy Cat Grumppuccinos!
Grumpy Cat ne s’en dérida pas pour autant. Sa propriétaire en revanche se félicita d’avoir pris soin de protéger les droits de propriété intellectuelle associés à l’image et à son entreprise. Elle avait effectivement toutes les raisons de se réjouir : ces droits lui avaient permis de fonder son entreprise et d’asseoir la position du chat sur le marché (combien de félins peuvent-ils se targuer d’être une star du Web ou d’être à la tête d’un véritable empire commercial?). Surtout, ces droits avaient permis à la société de protéger sa marque et d’engager des poursuites à l’encontre de quiconque oserait profiter indûment de la notoriété du chat grognon.
Moralité : tout entrepreneur qui pense détenir un concept digne d’être commercialisé doit impérativement protéger les droits de propriété intellectuelle y afférents comme s’il en tirait déjà des revenus. Peu importe que cette idée se résume simplement à apposer une photo de chat sur une tasse ou un t-shirt dans le but de les vendre. Il est en effet impossible de prévoir à quel moment ou pour quelle raison une entreprise va tout à coup connaître ou non un essor spectaculaire. En outre, si vous êtes suffisamment convaincu du potentiel de votre idée pour consacrer du temps, de l’énergie et des fonds à sa présentation à des investisseurs et d’autres acteurs, il convient également de réfléchir à ce qui pourrait arriver à votre entreprise si vous ne preniez pas la précaution de protéger vos droits de propriété intellectuelle.
Songez-y : faute d’avoir su protéger ses droits de propriété intellectuelle, vous pourriez être laissé sur le bord de la route tandis que des tiers tireront profit de votre idée. Vous auriez alors une bonne raison d’être grognon.
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