Les femmes dans le cinéma arabe : entretien avec Hend Sabry
Catherine Jewell, Division des communications de l'OMPI
Quelles sont les difficultés auxquelles se heurtent les actrices dans les pays arabes? Quelles sont les perspectives qui pourraient s’offrir à elles? Maintes fois primée, Hend Sabry (à gauche), l’une des actrices les plus célèbres d’Égypte et des pays arabes, nous donne son opinion sur les femmes dans le cinéma arabe.
Qu’est-ce qui vous a poussée à vous tourner vers le cinéma?
En réalité, ce fut un concours de circonstances. Je jouais dans une pièce de théâtre au collège quand j’ai été repérée par un réalisateur. J’avais à peine 14 ans. Je me suis alors rendu compte qu’il était très amusant de créer un univers imaginaire et le rendre réel aux yeux des spectateurs. Aujourd’hui, si j’aime autant mon métier, c’est parce qu’il me donne la possibilité d’explorer et d’exprimer différents aspects de ma personnalité.
Quelles sont les difficultés auxquelles se heurtent les actrices dans les pays arabes?
Ces difficultés sont très nombreuses. Nous sommes bien moins rémunérées que nos homologues masculins et nous sommes bien moins mises en avant qu’eux. On compte par ailleurs bien moins de scénarios écrits pour des personnages féminins. Prédominants, les personnages masculins restent le moteur du cinéma arabe. En règle générale, les producteurs et les distributeurs sont encore rares à voir dans les actrices de la région des battantes capables de décupler les recettes des salles de cinéma. En outre, les femmes qui embrassent la carrière d’actrice ne bénéficient pas de la même considération que les hommes. Contrairement à eux, elles sont souvent stigmatisées et confrontées à de nombreux tabous sociaux.
Quel rôle jouent des rencontres comme le Festival international du film de femmes du Caire?
Les manifestations de ce type sont une très bonne chose dans le sens où elles rendent hommage à la réussite des femmes. En général cependant, je ne suis pas une grande adepte des prétendus “films de femmes”. Chaque film a une portée universelle et vise à provoquer des émotions, une réflexion ou des débats sur tel ou tel sujet. On ne peut pas dire qu’il existe des films de femmes ou d’hommes, il y a juste de bons et de mauvais films. Les femmes ont fait l’objet de films remarquables, mais aussi des mauvais. Ce qui est important, c’est de braquer les projecteurs sur tout ce que les femmes ont accompli et sur l’extraordinaire talent des femmes présentes dans l’industrie cinématographique arabe. C’est le meilleur moyen d’encourager le cinéma à leur accorder une place plus importante. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un plus grand nombre de belles histoires sur les femmes et de plus nombreux scénaristes, aussi bien masculins que féminins, capables de créer des personnages féminins forts.
Pourquoi avoir fait des études de droit? Qu’est-ce qui vous a attirée dans cette spécialité?
À la fin de mes études secondaires, je rêvais d’intégrer le service diplomatique tunisien et le droit m’a paru un bon moyen d’y parvenir. Mais le sort en a décidé autrement. Une fois ma licence de droit en poche, je me suis installée en Égypte où je suis devenue actrice professionnelle. C’est à cette époque que j’ai décidé d’approfondir mes connaissances en droit. Il m’a alors semblé que la propriété intellectuelle, notamment le droit d’auteur, répondait parfaitement à mes aspirations puisqu’elle me permettait d’allier mon intérêt pour le droit à mon métier d’actrice.
Pourquoi est-il important pour un acteur de bien connaître la propriété intellectuelle?
D’une manière générale, il est important pour un acteur de bien comprendre en quoi consistent ses droits de propriété intellectuelle car c’est ce qui lui permettra de vivre décemment de son métier. Ces droits sont son gagne-pain. Dans certaines régions cependant, par exemple dans les pays occidentaux industrialisés, le système du droit d’auteur est plus mature et fonctionne plus efficacement que dans d’autres. Malheureusement, dans les pays arabes, on déplore un manque de sensibilisation à la propriété intellectuelle, lequel s’accompagne d’un non-respect des droits de propriété intellectuelle. Dans le milieu télévisuel par exemple, de nombreuses chaînes de radiodiffusion de la région prennent la liberté de modifier des émissions pour augmenter leurs recettes publicitaires. Elles pensent sans doute que le simple fait d’avoir acheté un épisode d’une émission leur donne tous les droits, y compris celui de le mutiler sur le plan artistique. C’est triste à dire, mais les gens ne se rendent pas compte que les droits de propriété intellectuelle jouent un rôle essentiel pour les acteurs car c’est ce qui leur permet de gagner leur vie. C’est affligeant. Bien sûr les choses évoluent, mais lentement. À l’heure de la globalisation, le monde se resserre et la sensibilisation à la propriété intellectuelle gagne du terrain mais, pour que le cinéma arabe réalise tout son potentiel, il reste encore beaucoup à faire en la matière.
Aimeriez-vous que le Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles, récemment conclu, entre en vigueur?
Je suis impatiente de le voir entrer en vigueur, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Il permettra alors de renforcer les droits des artistes interprètes ou exécutants de la région et de leur garantir une rémunération équitable en échange de l’utilisation de leur œuvre, sur quelque plateforme que ce soit. Mais il reste encore un long chemin à parcourir. Le monde des acteurs n’est pas très bien organisé en matière de propriété intellectuelle. Nous ne disposons pas des syndicats ou des connaissances nécessaires dans ce domaine pour asseoir notre position. En outre, actuellement, la législation relative à la propriété intellectuelle a tendance à privilégier les intérêts des producteurs et des investisseurs au détriment de l’apport artistique des acteurs.
Ce qui est important, c’est de braquer les projecteurs sur tout ce que les femmes ont accompli et sur l’extraordinaire talent des femmes présentes dans l’industrie cinématographique arabe. C’est le meilleur moyen d’encourager le cinéma à leur accorder une place plus importante.
Hend Sabry
Il nous appartient donc de mettre en place les infrastructures nécessaires, notamment des bases de données sur les œuvres audiovisuelles, pour que les artistes interprètes ou exécutants tirent une rémunération de leurs œuvres de création. Réunir et gérer ces données est une entreprise titanesque, mais cette évolution sur le plan des infrastructures est essentielle si nous voulons parvenir à une application pleine et entière du Traité de Beijing.
Dans quel objectif avez-vous créé votre propre société de production?
Tayara est une société de production numérique, la première du genre dans le monde arabe. Nous créons des contenus vidéo en ligne audacieux, à destination d’un public plus jeune et moins traditionnel. Nous nous écartons de la conception classique de la publicité dans le monde arabe pour proposer des services de publicité et de marketing en ligne différents.
La révolution numérique a-t-elle une incidence sur le cinéma arabe?
Il est trop tôt pour en juger. Pour l’heure, le passage au numérique a une plus grande incidence sur l’industrie télévisuelle que sur l’industrie cinématographique. Le cinéma constituant désormais un art à part entière, il y a peu de chance qu’il disparaisse. Il n’a pas entraîné la mort de la littérature ni celle du théâtre, en plein essor. Le passage au numérique provoque incontestablement un changement d’habitudes chez le spectateur : celui-ci veut exercer un plus grand contrôle sur le type d’émissions qu’il regarde, leur mode de diffusion (de préférence sans publicité) et le moment où il les regarde. C’est ce qui explique le succès remporté par les nouvelles plateformes de diffusion comme Netflix. Mais selon moi, la révolution numérique ne signera pas l’arrêt de mort du cinéma arabe.
Quelle évolution souhaitez-vous pour le cinéma arabe?
Je suis très optimiste quant à l’avenir du cinéma arabe. Par chance, tous les jours, de nombreux cinéastes intrépides (aussi bien de sexe masculin que féminin) repoussent les limites du débat public et jettent un nouveau regard sur les enjeux auxquels est confrontée la nouvelle génération. Le monde arabe a de nombreux défis à relever mais, par bonheur, les films sont de plus en plus nombreux à aborder ces sujets, alors j’ai bon espoir.
J’aimerais que le cinéma arabe affiche une plus grande diversité. Si le cinéma commercial devait l’emporter du fait de son énorme capacité de distribution, nous serions tous perdants. Face à des publics très hétérogènes et pour répondre à des centres d’intérêts et des goûts très variés, nous nous devons de proposer des genres cinématographiques variés. Une plus grande diversité serait la garantie d’une palette de choix plus large et d’une scène cinématographique plus éclectique.
Selon vous, à quels défis et opportunités doit s’attendre le cinéma arabe?
Sous l’effet de la globalisation, le monde devient village et les gens n’ont jamais été aussi connectés. J’y vois un réel potentiel dans la mesure où des personnes du monde entier peuvent désormais accéder à tous types de contenus. Il existe aujourd’hui une gamme de solutions sans précédent pour visionner un film. Grâce à de nouvelles plateformes comme Netflix ou Icflix, des habitants du Moyen-Orient se voient offrir la possibilité de regarder des telenovelas colombiennes, des sagas venues d’Inde ou des films à suspense réalisés en Espagne. De même, les spectateurs de ces régions ont accès à des productions du Moyen-Orient. Il faut donc y voir l’occasion unique d’amener le cinéma arabe sur la scène internationale et de le faire découvrir au plus grand nombre. S’agissant des défis à relever, force est de constater que, dans le monde arabe, les cinéastes ont tendance à éviter certains sujets qu’il conviendrait pourtant d’aborder. La crainte de l’opinion publique est une réalité. Dans ce contexte, je crois que l’autocensure sera notre principal défi.
Pourquoi est-il important de promouvoir la diversité et l’intégration au sein de l’industrie cinématographique?
Promouvoir la diversité et l’intégration est extrêmement enrichissant. Cela permet d’ouvrir de nouveaux horizons, de découvrir des perspectives et des points de vue différents, et de favoriser l’entente entre les cultures. Notre mission en tant que cinéastes est de donner la possibilité au spectateur d’envisager d’autres approches et de porter un autre regard sur les choses. Ce faisant, nous œuvrons à plus de tolérance et au rapprochement entre les peuples.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes femmes cherchant à se lancer dans le cinéma dans les pays arabes?
Ne vous lancez pas dans le cinéma dans le but de gagner de l’argent ou de devenir célèbre. Faites-le pour transformer la société. Faites-le par conviction, parce que vous avez un message à exprimer sur grand écran et à transmettre à des millions de personnes. Malheureusement, dans le monde actuel caractérisé par l’influence des réseaux sociaux, nombreux sont eux qui confondent amour de l’art et expression artistique, et envie de poser pour des photographes et de devenir célèbre.
Quelles mesures peuvent prendre les décideurs politiques et autres pour inciter davantage de femmes à faire preuve d’innovation et de créativité?
Ils pourraient s’employer à créer un environnement plus favorable de manière à ce que les femmes puissent innover et exprimer leur créativité.
Comment choisissez-vous vos rôles? Quel est celui que vous avez préféré et pour quelles raisons?
Je privilégie les rôles ayant une utilité sur le plan social. À titre d’exemple, mon rôle dans la comédie Je veux me marier traitait de la question des femmes encore célibataires à l’âge de 20 ans. Dans le monde arabe, toute femme ayant des aspirations professionnelles qui ne marche pas sur les traces de sa mère et ne se marie pas jeune subit une énorme pression sociale en faveur du mariage. Cette série a remporté un immense succès et on en parle encore. Elle a vraiment trouvé écho auprès du public. De même, dans Asmaa, je jouais le rôle d’une femme atteinte du virus du VIH/SIDA et témoignais des combats qu’elle avait à mener.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration dans le monde du cinéma?
Mes sources d’inspiration sont nombreuses et il s’agit aussi bien d’hommes que de femmes. Certaines personnes, comme la célèbre actrice égyptienne Yousra, m’inspirent en raison de la longévité de leur carrière. D’autres m’inspirent en raison des rôles qu’elles incarnent. J’admire énormément Faten Hamama par exemple, une figure de proue du cinéma arabe (par ailleurs ex-épouse de l’acteur Omar Sharif) en raison des questions sociales et juridiques qu’elle soulève dans les rôles qu’elle a joués dans les années 1950 et 1960. Son œuvre et les polémiques qu’elle a suscitées ont contribué, à l’époque, à faire évoluer la loi sur le divorce et j’ai beaucoup de respect pour son engagement.
Quels sont vos projets?
En juin, je vais entamer le tournage d’un film indépendant en Tunisie. Je prépare également une série télévisée qui devrait être diffusée l’année prochaine en Égypte.
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