Les femmes et le système international des brevets : des tendances encourageantes
MM. Bruno Lefeuvre et Julio Raffo, Division de l’économie et des statistiques, Mme Kaori Saito, experte en matière de parité et de diversité, OMPI, et Mme Gema Lax-Martinez, Université de Lausanne (Suisse)
Les femmes contribuent à tous les domaines de la créativité et de l’activité intellectuelle et pourtant, leurs réalisations passent souvent inaperçues.
La disparité entre les sexes est omniprésente. Même dans les économies avancées, les femmes se heurtent au maudit “plafond de verre”. Elles peinent à se hisser dans les plus hautes sphères et, lorsqu’elles y parviennent, sont le plus souvent payées moins que leurs homologues masculins. La disparité entre les hommes et les femmes est également manifeste dans l’éducation. Bien que des progrès soient réalisés pour encourager les filles à suivre les filières scientifiques, techniques et mathématiques et qu’elles soient nombreuses à obtenir des diplômes de premier et de second cycle dans ces matières, rares sont celles qui s’inscrivent à des programmes d’études supérieures ou obtiennent un doctorat.
Tout au long de leur carrière en tant que chercheuses ou inventrices, l’écart se creuse encore. Un nombre proportionnellement moins élevé de femmes titulaires d’un doctorat se lancent dans la recherche. Lorsqu’elles le font, elles gagnent moins et ont de la peine à grimper dans la hiérarchie. On constate également que le nombre de femmes qui publient des articles scientifiques est moins élevé que celui des femmes qui participent à des travaux de recherche. La proportion de femmes utilisant le système des brevets reste faible par rapport au nombre d’articles scientifiques qu’elles publient chaque année. Dans les milieux universitaires, on parle à ce sujet de phénomène du “tuyau percé”.
Reconnaissant l’ampleur des déséquilibres hommes-femmes, l’Assemblée générale des Nations Unies et ses 193 États membres ont adopté le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Entré en vigueur le 1er janvier 2016, ce programme met en avant le fait que l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes et des filles contribueront à faire avancer l’ensemble des objectifs de développement durable et leurs cibles.
En tant qu’institution spécialisée des Nations Unies, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) s’emploie à promouvoir la parité hommes-femmes dans le domaine de la propriété intellectuelle et a pris des mesures pour appeler l’attention sur cette question et l’intégrer dans la gestion quotidienne de l’Organisation. Ces mesures consistent notamment à ventiler les données de propriété intellectuelle par genre en tant que principal indicateur d’exécution des politiques visant à promouvoir l’innovation et la créativité comme moteur du développement économique, social et culturel.
Pour atteindre cet objectif, l’OMPI a établi un dictionnaire mondial des prénoms classés par sexe qui renferme 6,2 millions de prénoms utilisés dans 182 pays différents et permet d’attribuer un genre aux inventeurs, concepteurs et autres utilisateurs de la propriété intellectuelle. L’OMPI gère et actualise périodiquement ce dictionnaire afin de renforcer la portée mondiale de ses statistiques sexospécifiques sur la propriété intellectuelle. Chaque année, des rapports rendent compte de la recherche et des statistiques sur les brevets et les questions de genre (voir la Revue annuelle du PCT et le Rapport sur les indicateurs mondiaux relatifs à la propriété intellectuelle).
Une tendance très encourageante se dégage des données de l’OMPI sur les brevets et la problématique hommes-femmes. La participation des femmes au système de la propriété intellectuelle est en augmentation. Pratiquement tous les indicateurs portant sur la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) de l’OMPI ou du système des brevets dans son ensemble montrent que certains progrès ont été accomplis ces dernières décennies. Ces progrès sont intervenus dans la plupart des pays, dans tous les domaines techniques et ont concerné les institutions universitaires aussi bien que les entreprises, bien qu’à des degrés divers.
Toutes les régions du monde ont enregistré une augmentation de la part des demandes, selon le PCT, dans lesquelles au moins une inventrice est citée dans la demande initialement déposée auprès d’un office des brevets, c’est-à-dire dans le “pays d’origine”. L’Asie, l’Amérique du Nord, ainsi que l’Amérique latine et les Caraïbes font mieux que la moyenne mondiale.
Les indicateurs classiques de la performance économique tels que le PIB par habitant n’expliquent pas la disparité hommes-femmes. De nombreux pays à revenu intermédiaire, comme le Brésil et le Mexique, présentent une meilleure parité hommes-femmes en ce qui concerne l’activité de dépôt de demandes de brevet à l’échelle internationale que certains pays à revenu élevé, comme le Canada, le Danemark et la Finlande. À l’inverse, l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Italie et le Japon affichent la plus forte disparité entre les sexes parmi les pays d’origine les plus cités.
La participation des femmes au système international des brevets varie en fonction des domaines technologiques. Cela explique, en partie, les différences constatées aux niveaux régional et national. Les technologies en rapport avec les sciences de la vie présentent souvent la représentation hommes-femmes la plus équilibrée. Les femmes ont davantage tendance à déposer des brevets dans les domaines de la biotechnologie (58% des demandes internationales citent au moins une inventrice), des produits pharmaceutiques (56%), de la chimie fine organique (55%) et de la chimie alimentaire (51%). À l’inverse, les technologies en lien avec l’ingénierie et la mécanique affichent la représentation hommes-femmes la moins équilibrée. Très peu de femmes sont citées dans des brevets portant sur des éléments mécaniques (14%), des moteurs (15%), le génie civil (15%), des machines-outils (16%) ou le transport (17%).
La participation des femmes varie aussi entre le secteur public et le secteur privé. Les universités et les organismes de recherche publics comptent une part plus importante de demandes déposées en vertu du PCT qui citent des inventrices par rapport au secteur des entreprises. En 2017, près de 51% de toutes les demandes déposées selon le PCT par le secteur universitaire citaient des inventrices, contre seulement 30% des demandes déposées par les entreprises. Toutefois, si le milieu universitaire peut se prévaloir du plus fort taux de participation des femmes, le plus grand nombre absolu d’inventrices revient aux entreprises.
Dans le secteur privé, la plupart des principaux déposants dans le cadre du PCT ont vu la part des demandes citant des inventrices augmenter. On relève notamment un taux de participation plus élevé des femmes chez LG Chemical, Hoffman-La Roche, L’Oréal, Dow Global Technologies, Henkel, Procter & Gamble, Samsung Electronics et BOE Technology. Au nombre des institutions universitaires qui présentent la meilleure parité hommes-femmes figurent l’Electronics & Telecommunications Research Institute (République de Corée) et le Shenzhen Institute of Advanced Technology (Chine). En dehors de la Chine et de la République de Corée, on observe une plus forte participation d’inventrices pour l’Université de Tel-Aviv (Israël), l’Agency of Science, Technology and Research (Singapour), le Consejo Superior de Investigaciones Cientificas (Espagne) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (France).
Malgré la tendance à la hausse positive de la participation des inventrices au système international des brevets par rapport à leurs homologues masculins, la situation est encore loin d’être équilibrée. Sur la base des taux de progression actuels, la parité hommes-femmes dans le domaine des brevets ne sera pas atteinte avant 2070.
Quoi qu’il en soit, la participation des femmes à l’activité de dépôt de brevets n’est pas uniformément répartie entre les pays ou régions, pas plus qu’elle ne l’est en termes absolus. À cet égard, les femmes qui déposent des brevets en Allemagne, au Japon et aux États-Unis d’Amérique devraient déterminer la progression mondiale de la parité hommes-femmes dans une large mesure au cours des prochaines décennies. De même, si certains secteurs technologiques progressent davantage que d’autres, l’activité en matière de brevets dans ces domaines peut aussi croître plus vite que dans d’autres. La croissance de la protection par brevet dans les sciences de la vie et les technologies informatiques, par exemple, influencera la parité hommes-femmes dans les années à venir. Enfin, les politiques qui s’attachent avec succès à promouvoir la parité entre les sexes dans le secteur privé – qui est à l’origine de la majeure partie des demandes de brevet déposées – auront peut-être une incidence plus forte sur la parité globale que celles qui sont mises en œuvre dans le milieu universitaire.
En définitive, cependant, la parité hommes-femmes dans le domaine des brevets sera sans doute le fruit d’un long processus social cumulant les équilibres et déséquilibres des cadres institutionnels précédents. Nul doute que la nature de l’évolution de la parité dans différents domaines scientifiques, dans les établissements d’enseignement supérieur et les secteurs les plus innovants à l’échelle mondiale, façonnera la parité hommes-femmes du système international de la propriété intellectuelle à l’avenir.
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