L’action de l’ARIPO en faveur du renforcement de l’écosystème de l’innovation en Afrique
Par Susan Mwiti, Organisation régionale africaine de la propriété intellectuelle (ARIPO), Harare, Zimbabwe
Si la mise en place des infrastructures, des capacités et des politiques nécessaires pour permettre à l’Afrique de s’engager sur la voie d’un avenir durable est l’un des piliers de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, le défi est de taille.
La persistance du déficit de compétences sur l’ensemble du continent africain est en grande partie imputable à l’“inadéquation” entre les formations dispensées et l’évolution des besoins sur le plan économique. Nombreux sont les pays qui continuent de mettre l’accent sur les formations en sciences humaines et rares sont ceux qui encouragent les étudiants à acquérir des compétences scientifiques et techniques. À l’échelle mondiale, 80% des diplômés en sciences humaines proviennent d’Afrique. Quatre-vingt-quinze pour cent des étudiants africains se tournent vers les sciences sociales, le commerce ou le droit, et à peine 4% optent pour l’ingénierie, l’industrie ou la construction. Plus inquiétant encore, seuls 2% font des études en agriculture, alors même que ce secteur contribue à près de 32% du PIB du continent.
Renforcer les capacités de l’Afrique en matière de propriété intellectuelle pour mettre en valeur l’innovation : un impératif
Proposer des interventions pratiques qui répondent aux besoins en matière de renforcement des capacités et favorisent la transformation structurelle de l’Afrique est donc fondamental pour encourager la croissance socioéconomique du continent et l’obtention de résultats concrets. La question du renforcement des capacités en matière de propriété intellectuelle doit être examinée de toute urgence. De fait, certains pays d’Afrique ne disposent toujours pas d’office de la propriété intellectuelle et, s’ils en ont un, rares sont ceux qui ont élaboré et mis en œuvre des politiques et des stratégies nationales de propriété intellectuelle à la hauteur des ambitions affichées sur le plan économique.
L’Afrique a toujours fait preuve d’innovation et de créativité. Cependant, bien qu’elle dispose de fabuleuses ressources créatives, elle a généralement du mal à en exploiter tout le potentiel économique. Cette situation s’explique en grande partie par une méconnaissance généralisée du rôle et du potentiel économique des droits de propriété intellectuelle et par un accès limité à des systèmes de propriété intellectuelle fonctionnels.
Les séminaires itinérants de l’ARIPO
Ces quatre dernières années, fermement résolue à combler cette lacune, l’Organisation régionale africaine de la propriété intellectuelle (ARIPO) a organisé des séminaires itinérants sur la propriété intellectuelle dans ses 19 États membres. Axés en 2014 et 2015 sur la propriété intellectuelle au service de la compétitivité et du développement des entreprises, ces séminaires s’adressaient d’une part à des hauts fonctionnaires, responsables de l’élaboration des politiques et décideurs, et de l’autre à des acteurs du monde des entreprises. En ce qui concerne le premier groupe, l’objectif était de témoigner du rôle crucial joué par la mise en œuvre d’une politique de propriété intellectuelle efficace dans le développement économique et social du pays, et d’insister sur la nécessité d’établir des cadres juridiques solides et efficaces au niveau national, par exemple en signant différents accords en matière de propriété intellectuelle aux niveaux régional et international. S’agissant du second groupe composé d’entreprises locales, l’objectif était de souligner le rôle que les droits de propriété intellectuelle peuvent jouer dans le renforcement de la rentabilité et de la croissance des entreprises.
Notre objectif est de faire prendre conscience aux chercheurs qu’il est urgent d’élaborer de solides politiques institutionnelles dans le domaine de la propriété intellectuelle pour stimuler l’innovation et la commercialisation des résultats de la recherche.
Fernando dos Santos, directeur général de l’ARIPO
En 2014, des séminaires itinérants ont été organisés en eSwatini (ex-Swaziland), en Gambie, au Liberia, au Mozambique et en Sierra Leone. Ces efforts ont contribué à la ratification par la Gambie du Protocole de Swakopmund relatif à la protection des savoirs traditionnels et des expressions du folklore (voir encadré); ils ont également fait progresser diverses réformes législatives en lien avec la propriété intellectuelle. L’année suivante, des séminaires itinérants se sont tenus au Ghana, au Kenya, au Lesotho, au Rwanda et en Zambie.
À partir de 2016, les séminaires ont porté sur la créativité et l’innovation au service de la croissance et du développement économiques de l’Afrique, en accord avec l’action de l’ARIPO en faveur du renforcement de l’écosystème de la propriété intellectuelle en Afrique et sa volonté d’appuyer les mesures prises au niveau national pour tirer le meilleur parti des ressources nationales en matière d’innovation et de création.
En 2016, des séminaires itinérants ont eu lieu au Botswana, en Namibie et en Ouganda, et l’année suivante, au Malawi et en République-Unie de Tanzanie. À ce jour, quelque 2030 participants ont assisté aux séminaires organisés dans 15 des 19 États membres de l’ARIPO.
La sensibilisation des chercheurs africains à la propriété intellectuelle
Depuis 2017, consciente de leur rôle stratégique en tant que créateurs de propriété intellectuelle, l’ARIPO concentre ses activités de sensibilisation sur les universités et les instituts de recherche. L’objectif est de les encourager à élaborer et à mettre en œuvre des politiques efficaces en matière de propriété intellectuelle, et d’aider la communauté des chercheurs à mieux comprendre comment gérer efficacement leurs actifs de propriété intellectuelle et à mieux cerner les options qui s’offrent à eux pour protéger et commercialiser ces actifs sur les marchés nationaux, régionaux et internationaux.
Les séminaires abordent un large éventail de sujets, notamment : les notions et principes de base de la propriété intellectuelle, les principes fondamentaux de la rédaction de demandes de brevet et l’application du droit d’auteur et des droits connexes à l’ère du numérique. Ils encouragent les chercheurs à dépasser le simple cadre du “publier ou périr” pour adhérer au principe d’une gestion, d’une utilisation et d’une exploitation stratégiques de leurs actifs de propriété intellectuelle.
Depuis le début de l’année, des séminaires itinérants ont été organisés au Botswana, au Libéria, au Mozambique, en Namibie et au Zimbabwe. En juillet 2018, plus de 850 participants en provenance d’universités et d’instituts de recherche avaient bénéficié de ces séminaires. Cette initiative devrait se poursuivre jusqu’en 2020.
“Si nous menons des activités de sensibilisation auprès des universités et des instituts de recherche de la région, c’est parce que ces établissements jouent un rôle majeur dans la création de nouvelles connaissances et constituent un véritable vivier en matière de propriété intellectuelle”, explique Fernando dos Santos, directeur général de l’ARIPO. “Notre objectif est de faire prendre conscience aux chercheurs qu’il est urgent d’élaborer de solides politiques institutionnelles dans ce domaine pour stimuler l’innovation et la commercialisation des résultats de la recherche”, ajoute-t-il. Et de préciser que “la plupart des pays aspirent à bâtir une économie du savoir axée sur l’innovation, avec pour socle un solide capital intellectuel et des droits de propriété intellectuelle; or, dans de nombreuses universités et instituts de recherche d’Afrique, ce potentiel reste largement inexploité.”
Selon une récente analyse de la situation de la propriété intellectuelle demandée par l’OMPI, la plupart des établissements universitaires et des instituts de recherche africains ont du mal à élaborer les politiques et stratégies institutionnelles nécessaires pour protéger leurs résultats de recherche. Partant de ce constat, l’ARIPO et l’OMPI ont entrepris d’élaborer conjointement une série de Principes directeurs pour l’élaboration d’une politique de propriété intellectuelle à l’intention des universités et des instituts de recherche-développement des pays africains, dans l’objectif de les aider de manière concrète à élaborer et à appliquer les types de politiques institutionnelles relatives à la propriété intellectuelle qui leur permettront d’exploiter la valeur commerciale de leurs résultats de recherche. Plusieurs projets pilotes devraient être mis en œuvre à l’appui de ces activités. “Nous sommes persuadés que ces initiatives aideront les universités et instituts de recherche à réorienter leurs activités de recherche de manière à ce que la propriété intellectuelle soit mise au service des innovations les plus à même de bénéficier à la société”, a déclaré M. dos Santos.
De son côté, la communauté scientifique africaine s’est montrée extrêmement enthousiaste à l’idée d’utiliser la propriété intellectuelle de manière stratégique. Plus de 40 universités de 15 pays d’Afrique ont manifesté leur volonté de participer à ces projets pilotes. L’objectif est de dialoguer avec chacun d’entre eux pour les aider à élaborer leurs politiques institutionnelles en matière de propriété intellectuelle en s’appuyant sur les principes directeurs ci-dessus mentionnés.
Constituer un vivier de talents dans le domaine de la propriété intellectuelle
Ces 10 dernières années, l’ARIPO s’est également employée à élargir le vivier de talents africains spécialisés en propriété intellectuelle. En partenariat avec l’OMPI et l’Université africaine de Mutare (Zimbabwe), l’ARIPO soutient depuis 2008 un programme de maîtrise en propriété intellectuelle. À ce jour, près de 300 étudiants de plus de 26 pays d’Afrique ont obtenu leur diplôme.
En 2016, l’ARIPO a mené une étude de suivi auprès des diplômés de ce programme d’études. Il en est ressorti qu’un grand nombre d’entre eux travaillent désormais au sein des systèmes nationaux de propriété intellectuelle de leur pays d’origine. Plusieurs se consacrent à l’élaboration de législations et politiques institutionnelles en matière de propriété intellectuelle au niveau national, tandis que d’autres enseignent la propriété intellectuelle dans des universités et autres établissements d’enseignement supérieur ou partagent leurs compétences en participant à différents programmes de sensibilisation à la propriété intellectuelle.
Pour étoffer ce vivier de talents à l’échelle du continent africain, l’ARIPO s’est également associée à l’Université des sciences et des technologies Kwame Nkrumah de Kumasi, au Ghana, afin de lancer un programme de maîtrise en propriété intellectuelle sur deux ans, lequel a vu le jour en août 2018. En mai 2019, un programme similaire sera inauguré en partenariat avec l’Université de Dar es-Salaam, en République-Unie de Tanzanie.
Des progrès sensibles, mais des difficultés persistantes
Si des progrès sensibles ont été réalisés, il reste encore beaucoup à faire. L’Afrique ne compte encore qu’un nombre restreint de spécialistes de la propriété intellectuelle, bien en deçà de ce dont le continent aurait besoin pour exploiter tout son potentiel d’innovation. En 2016, selon l’OMPI, les offices de propriété intellectuelle situés en Afrique n’ont reçu qu’une infime partie – à peine 0,5% – des 3,1 millions de demandes de brevet déposées dans le monde.
“Le faible taux de demandes internationales déposées selon le Traité de coopération en matière de brevets (PCT) de l’OMPI et le faible recours aux services d’appui proposés par les offices nationaux de propriété intellectuelle et l’ARIPO s’expliquent par une méconnaissance généralisée du rôle de la propriété intellectuelle sur le continent africain”, indique M. dos Santos.
Malgré les défis qu’il lui reste à relever, l’ARIPO estime qu’il est possible d’évoluer vers une transformation profonde du paysage de la propriété intellectuelle en Afrique, conformément à son Plan stratégique sur le renforcement de la valeur et la croissance, 2016-2020. Le moment est venu de répondre aux aspirations et de favoriser la réalisation des objectifs de l’Afrique en matière de propriété intellectuelle et d’innovation. Œuvrer aux côtés d’établissements universitaires à la mise en place de politiques de propriété intellectuelle appropriées contribuera à stimuler le développement d’écosystèmes nationaux de l’innovation, à sensibiliser les principaux créateurs de propriété intellectuelle et à permettre aux pays africains de tirer le meilleur parti de leurs ressources nationales en matière d’innovation et de création pour les mettre au service d’un développement économique durable. Au moyen de ses programmes de renforcement des capacités et de sensibilisation en matière de propriété intellectuelle, l’ARIPO est résolue à soutenir la réalisation des objectifs de développement à long terme de l’Afrique.
Le Protocole de Swakopmund
Le Protocole de Swakopmund relatif à la protection des savoirs traditionnels et des expressions du folklore a été adopté en 2010 par les États membres de l’ARIPO. Il vise à remédier aux insuffisances inhérentes au système traditionnel de propriété intellectuelle en protégeant efficacement l’immense patrimoine naturel et culturel africain à l’origine des progrès réalisés dans les domaines des arts, de la science et de la technologie. Il entend également prévenir l’appropriation illicite, l’utilisation impropre et l’exploitation non autorisée de ce patrimoine par des tiers.
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