Les produits d’origine en Fédération de Russie
Par Daria Novozhilkina, avocate et rédactrice indépendante (Russie)
Si elles sont bien utilisées, les indications géographiques et les appellations d’origine peuvent conforter la stratégie de marque, favoriser la subsistance dans les zones rurales et constituer un vecteur de développement économique. Ces signes distinctifs témoignent d’un lien entre la qualité, les caractéristiques et la notoriété d’un produit, d’une part, et son origine géographique, d’autre part. De nombreux pays reconnaissent leur potentiel en termes de création de valeur et encouragent par conséquent leur utilisation aux fins des objectifs de développement économique national.
Il apparaît, au vu de l’actualité récente de la Fédération de Russie, que désormais la sphère politique voit davantage les indications géographiques comme un moyen susceptible de contribuer au développement des régions du pays. La Fédération de Russie couvre une immense superficie répartie en 11 fuseaux horaires. Son extraordinaire diversité géographique et culturelle a donné naissance à une kyrielle de produits susceptibles de satisfaire aux conditions requises pour jouir de la protection d’une indication géographique ou d’une protection similaire.
À propos des indications géographiques et des appellations d’origine
Les indications géographiques et les appellations d’origine sont des signes distinctifs qui renseignent le consommateur sur l’origine d’un produit et lui indiquent que ses caractéristiques sont intrinsèquement dues à son lieu de production. Une appelation d’origine implique que la production, la transformation et la préparation sont réalisées dans une aire géographique déterminée et que les qualités et caractéristiques du produit sont imputables, en partie ou en intégralité, à ce milieu géographique, notamment aux conditions naturelles et aux facteurs humains. Pour pouvoir bénéficier de la protection d’une appelation d’origine, le lien avec le terroir doit être plus étroit que pour une indication géographique.
Si les appelations d’origine et les indications géographiques sont des termes reconnus dans le monde entier, chaque pays emploie des termes différents dans sa législation nationale pour désigner une protection identique ou similaire.
Dans la Fédération de Russie, les produits d’origine sont protégés en tant que désignations d’origine. Le premier alinéa de l’article 1516 du Code civil définit les désignations d’origine, d’une part comme des désignations qui constituent ou contiennent le nom d’un pays, d’une ville, d’une zone rurale ou de toute autre localité, qu’elle soit moderne ou historique, officielle ou officieuse, complète ou abrégée, d’autre part comme les noms dérivés de ces désignations, qui se sont popularisés en raison de leur emploi en rapport avec un produit dont les spécificités sont exclusivement ou principalement déterminées par le milieu naturel ou les facteurs humains propres au lieu en question.
Quand la Fédération de Russie est devenue membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2012, elle s’est engagée en vertu de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) à prévoir l’instauration d’un régime spécial pour les indications géographiques dans sa législation nationale. À l’époque, l’incertitude régnait : les désignations d’origine telles que définies par le droit russe se rapprochaient-elles plus des appellations d’origine ou des indications géographiques? Au cours du processus d’adhésion, le représentant de la Fédération de Russie a fait savoir que le Code civil russe devait être révisé pour harmoniser la définition des désignations d’origine avec celle des indications d’origine figurant dans l’Accord sur les ADPIC. Cette révision est toujours en cours.
Situation actuelle
Pour le moment, la protection au titre d’une désignation d’origine s’obtient par l’enregistrement auprès du Service fédéral pour la propriété intellectuelle (Rospatent) qui est chargé de délivrer les certificats correspondants et de tenir un Registre national des désignations d’origine.
Une fois qu’ils disposent d’un certificat, les producteurs peuvent mettre à profit leur désignation d’origine pour faire connaître et commercialiser leurs produits par la voie classique ou en ligne, mais il leur est interdit de la vendre ou de céder les droits qui y sont associés (art. 1519, § 4 du Code civil). De surcroît, en dehors du cercle des détenteurs du certificat, nul ne peut utiliser une désignation d’origine enregistrée, même si l’origine véritable du produit est mentionnée ou si la désignation est exploitée sous une forme traduite ou accompagnée de termes tels que “dans le genre de”, “dans le style de” ou “imitation” (art. 1519, § 3 du Code civil).
Près de 170 désignations d’origine ont été enregistrées auprès de Rospatent jusqu’à présent. Parmi elles, se trouvent Narzan (une eau minérale), Tula Pryanik (une sorte de pain d’épices), Gjel (des objets artisanaux en céramique), Zhostovo et Khokhloma.
Suit à l’établissement du Conseil de la propriété intellectuelle en 2012 (qui rend compte au Conseil de la Fédération, la Chambre haute de l’Assemblée fédérale) et en application de ses recommandations, le Gouvernement russe a lancé une politique de promotion des désignations d’origine.
Avantages possibles
Les indications géographiques participent au développement régional aux niveaux tant juridique, qu’économique, social et politique. Elles peuvent jouer un rôle crucial dans la préservation des traditions et connaissances locales, contribuer à fournir des moyens de subsistance, offrir davantage de perspectives d’emploi et de création de valeur, sans compter qu’elles peuvent s’avérer bénéfiques pour l’environnement quand elles s’accompagnent d’une gestion efficace des ressources locales.
Les indications géographiques fournissent aux consommateurs des informations détaillées sur l’origine d’un produit et sur la manière dont il a été fabriqué. Elles sont le garant des spécificités d’un produit, la qualité n’en faisant pas nécessairement partie, et tous les producteurs qui ont l’autorisation de les utiliser sont tenus de respecter les normes établies pour veiller au maintien d’une qualité constante.
Grâce à ces puissants outils marketing que sont les indications géographiques, les producteurs peuvent conquérir des marchés et tirer parti de leurs connaissances et compétences pour fabriquer des produits à plus forte valeur ajoutée. Les consommateurs sont souvent prêts à payer davantage pour des produits authentiques et de bonne qualité, de sorte que les indications géographiques peuvent stimuler le développement économique et améliorer les moyens de subsistance dans les zones rurales qui reposent sur l’exploitation des ressources locales. D’après les analystes de marché de KPMG, la nouvelle réglementation de la Fédération de Russie sur les indications géographiques pourrait engendrer jusqu’à 500 milliards de roubles (plus de 73 millions de dollars É.-U.) de bénéfices d’ici 2025. Toutefois, il n’est pas toujours aisé de mettre en place de telles indications, car cela suppose que les producteurs collaborent pour définir les méthodes de production et les normes de qualité et de contrôle ainsi que pour commercialiser et distribuer leurs produits, ce qui peut se révéler ardu.
Recensement des produits à protéger par une désignation d’origine
Plus d’un tiers des quelque 80 sujets fédéraux qui constituent la Fédération de Russie n’ont jamais fait les démarches pour se voir octroyer une désignation d’origine. Nombre de producteurs locaux et de représentants régionaux n’ont pas conscience des bénéfices qui pourraient découler du recours aux indications géographiques, ce qui représente un véritable obstacle à leur utilisation.
Le Conseil de la propriété intellectuelle et Rospatent s’attachent donc à faire mieux connaître la propriété intellectuelle en général, et les désignations d’origine en particulier. En 2017, ils ont publié et largement diffusé des Lignes directrices pour l’enregistrement et l’obtention de désignations d’origine afin de clarifier les procédures d’enregistrement et d’expliquer les avantages de ces désignations. Rospatent a également établi une page Web dédiée aux désignations d’origine et aux marques régionales.
Ces actions commencent à porter leurs fruits. En 2017, le nombre de demandes d’enregistrement de désignations d’origine est passé à 56, contre 44 en 2015 et 2016.
En outre, le Conseil de la propriété intellectuelle invite les représentants des sujets fédéraux à inventorier les produits susceptibles d’obtenir une désignation d’origine d’ici la fin de l’année 2018. Ils ont également été priés d’instaurer des programmes ciblés visant à fournir une aide concrète dans le cadre de l’enregistrement et de la promotion des marques régionales.
Ces actions s’accompagnent d’autres initiatives fédérales, dont le projet Marques de la Fédération de Russie du Ministère de l’industrie et du commerce et la campagne du Ministère du tourisme pour créer un registre recensant les 100 meilleurs souvenirs nationaux. Grâce à l’ensemble de ces programmes, la valeur et le potentiel économique des indications géographiques et des marques régionales sont mieux connus.
Améliorer le cadre juridique
Les avancées passent aussi par l’amélioration du cadre juridique relatif aux produits d’origine. Le 27 juillet 2018, la Douma d’État (la Chambre basse de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) a adopté en première lecture le projet de loi n° 509994-7. Ce dernier recommande d’élargir la portée des droits de propriété intellectuelle énoncés dans le Code civil aux indications géographiques et aux désignations d’origine. Il vise également à accroître le nombre de désignations régionales en abaissant le seuil des critères requis pour la protection des indications géographiques par rapport à ceux requis pour les désignations d’origine. Il prévoit également de rendre possible la conversion d’une indication gégraphique en une désignation d’origine, et vice versa, sous réserve que certaines conditions soient remplies.
Sur le fondement de ce nouveau projet de loi, la procédure d’acquisition des droits associés à une désignation d’origine pourrait changer. Actuellement, il faut déposer une demande auprès de Rospatent, en y joignant un rapport rédigé par une autorité désignée dans lequel cette dernière confirme que le produit et ses attributs sont dus à des facteurs naturels ou humains propres à un lieu spécifique. Seules quatre entités sont habilitées à établir les rapports en question : le Ministère de la santé (pour les eaux minérales); le Ministère de l’industrie et du commerce (pour les objets d’art et d’artisanat); le Ministère de l’agriculture (pour les denrées alimentaires et les boissons non alcooliques); et le Service fédéral de la réglementation du marché des alcools (pour les produits alcooliques et alcoolisés). Pour les produits ne relevant pas de ces autorités, il est impossible d’obtenir un rapport attestant que le produit remplit les conditions requises; or, sans un tel rapport, Rospatent ne peut pas enregistrer de désignation d’origine.
Pour tenter de réduire ce goulet d’étranglement, le projet de loi étoffe la liste de produits susceptibles de faire l’objet de la protection au titre d’une désignation d’origine et étend les pouvoirs des services susmentionnés, qui peuvent en déléguer certains à des entités régionales.
Dans le projet de loi, il est également envisagé de permettre aux associations, syndicats et autres groupements de producteurs d’enregistrer des désignations d’origine alors que, pour le moment, seuls les producteurs à titre individuel peuvent le faire. Cette nouveauté devrait profiter à tous les acteurs de la chaîne de valeur d’une désignation d’origine, qui pourront mutualiser leurs forces pour venir à bout des formalités d’enregistrement, gérer le contrôle qualité, le marketing, la publicité et défendre leurs droits de propriété intellectuelle. Pour connaître l’état d’avancement de l’adoption du projet de loi, voir l’adresse suivante : http://sozd.parliament.gov.ru/bill/509994-7.
Surmonter les obstacles existants
À cause du manque de connaissances des producteurs sur les avantages que présentent les désignations d’origine, l’utilisation de ces dernières ne parvient pas à se répandre dans la Fédération de Russie. Dans certains cas, les producteurs préfèrent enregistrer des marques plutôt que des désignations pour protéger leurs produits.
Les marques sont un moyen tout à fait légitime d’assurer la protection de produits distinctifs. Le propriétaire d’une marque peut la concéder sous licence à quiconque, partout dans le monde, puisqu’elle est liée à une société ou au titulaire de l’enregistrement et non à une localité spécifique.
En revanche, les signes employés pour les indications géographiques et les désignations d’origine ressemblent d’ordinaire au nom du lieu de production ou au nom sous lequel il est connu localement. Une indication géographique peut être utilisée par tout producteur autorisé situé dans l’aire géographique d’origine à condition qu’il se conforme aux normes de qualité établies. À la différence d’une marque, une indication géographique ne peut pas être concédée sous licence.
Si l’objectif est de développer des marchés pour les ressources locales, de fournir de meilleurs moyens de subsistance et de soutenir la croissance économique régionale, le législateur pourrait décider d’intensifier l’utilisation des indications géographiques ou des désignations d’origine. Dès lors, il est important que les producteurs locaux comprennent les atouts mais aussi les limites des différentes options de protection par la propriété intellectuelle se trouvant à leur disposition. Devraient-ils mutualiser leurs efforts pour créer une désignation d’origine dont ils pourront tous tirer parti? Ou vaudrait-il mieux qu’ils fassent cavalier seul et enregistrent individuellement leurs marques pour protéger leurs produits?
Protection à l’échelle internationale
Dans la mesure où les droits de propriété intellectuelle, indications géographiques comprises, sont territoriaux, en ce sens où ils n’emportent des effets juridiques que dans les territoires où ils ont été accordés, il importe de protéger les indications géographiques sur tous les marchés où elles seraient amenées à être commercialisées. La protection des indications géographiques ne se réduit pas à des dispositifs nationaux, elle peut aussi s’obtenir au moyen de mécanismes régionaux et internationaux, qui peuvent toutefois être conditionnés à l’obtention préalable de la protection des indications dans leur pays d’origine.
Il existe plusieurs possibilités pour protéger les indications géographiques à l’étranger : en obtenant directement une protection dans le pays concerné par le jeu d’accords bilatéraux ou en ayant recours à des systèmes régionaux. Par exemple, l’Union économique eurasiatique (dont la Fédération de Russie est membre) élabore actuellement un système permettant aux producteurs autorisés d’enregistrer leurs marques et leurs désignations d’origine en déposant une seule et même demande dans un pays membre (voir encadré). Les producteurs dont le choix se porte sur des marques de certification ou des marques collectives peuvent assurer la protection de leurs produits à l’étranger via le système de Madrid pour l’enregistrement international des marques administré par l’OMPI.
Les producteurs peuvent également se prévaloir de l’Arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international administré par l’OMPI ou de l’Acte de Genève dudit Arrangement adopté en 2015. Quoiqu’il ne soit pas encore en vigueur, l’Acte de Genève modernise l’Arrangement de Lisbonne et permet aux producteurs d’enregistrer et de protéger plus facilement leurs appellations d’origine et leurs indications géographiques dans d’autres pays que celui d’origine.
La Fédération de Russie enregistre de nombreuses avancées dans le domaine de la promotion des désignations d’origine. L’actuelle métamorphose de son cadre juridique en la matière devrait profiter tant aux producteurs de produits d’origine qu’aux consommateurs désireux de se délecter des nombreuses richesses culturelles du pays.
Membres de l’Union économique eurasiatique :
- Arménie
- Bélarus
- Kazakhstan
- Kirghizistan
- Fédération de Russie
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