Les États-Unis d’Amérique modernisent leur système de licences pour la musique
Karyn A. Temple, directrice de l’enregistrement par intérim au Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique
L’année 2018 est à marquer d’une pierre blanche pour la législation sur le droit d’auteur aux États-Unis d’Amérique où, en plus de la promulgation de la loi d’application du Traité de Marrakech en octobre, une législation de grande envergure a été adoptée afin de transformer le système de licences pour les œuvres musicales et de prévoir, pour la toute première fois, des voies de recours fédérales en cas d’utilisation non autorisée d’enregistrements sonores antérieurs à 1972. La réforme mise en œuvre par la loi Orrin G. Hatch-Bob Goodlatte de modernisation de l’industrie musicale (Music Modernization Act (MMA)) introduit les changements les plus importants dans la législation américaine sur le droit d’auteur depuis la loi de 1998 sur le droit d’auteur à l’ère du numérique (Digital Millennium Copyright Act (DMCA)).
Nombreux sont ceux qui attendaient avec impatience ces améliorations majeures apportées au paysage musical des États-Unis d’Amérique. En effet, la nécessité de réformer le système de licences musicales faisait consensus de longue date, tant il était notoirement complexe. Les différents mécanismes de fixation des tarifs établis par un système de licences musicales dont la complexité augmentait à mesure que les couches de réglementation s’empilaient au gré de l’évolution technologique étaient source de frustration pour les compositeurs et les artistes comme pour les éditeurs d’œuvres musicales et les maisons de disques, alors que les services de musique en ligne, les bibliothèques électroniques et leurs différentes catégories d’utilisateurs se perdaient dans les méandres de la protection des enregistrements sonores antérieurs à 1972. Chaque évolution technologique ne faisait que souligner la nécessité d’améliorer dans l’intérêt de toutes les parties prenantes un système de licences musicales de plus en plus nébuleux et anachronique.
Le Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique, un fervent partisan du changement
Le Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique avait conscience depuis un certain temps que le système de concession de licences sur les œuvres musicales était “complexe et dissuasif, y compris pour ceux qui en étaient familiers”, et ne tenait pas suffisamment compte des modes actuels de diffusion de la musique en ligne. Dans son rapport de 2015 sur le secteur musical, le Bureau du droit d’auteur estimait que le système juridique datait d’une époque révolue, dont les structures juridiques faisaient encore référence à “des tourne-disques alors que la musique se diffuse en bits et en octets”.
Le Bureau du droit d’auteur a ardemment défendu une adaptation essentielle du système de licences pour la musique aux États-Unis d’Amérique. En 2004, Marybeth Peters, alors directrice de l’enregistrement au Bureau du droit d’auteur, a déclaré devant le Congrès américain que “les moyens de créer et de diffuser de la musique ont radicalement évolué ces 10 dernières années, exigeant des modifications de la législation afin de protéger les droits des titulaires tout en conciliant les besoins des utilisateurs dans un monde numérique”.
En 2005, Mme Peters affirmait qu’une “loi de réforme de la législation sur la musique au XXIe siècle” s’imposait, et le Bureau du droit d’auteur n’a eu de cesse que de relayer cet appel dans les années qui ont suivi. En 2013, dans un discours en faveur de la “prochaine grande loi sur le droit d’auteur”, Maria Pallante, à l’époque directrice de l’enregistrement au Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique, estimait qu’il était “essentiel” de réformer le système de licences pour la musique. Deux ans plus tard, le Bureau du droit d’auteur publiait une étude exhaustive sur la concession de licences sur les œuvres musicales et les besoins en constante évolution des créateurs et des investisseurs sous le titre Copyright and the Music Marketplace (Droit d’auteur et marché de la musique). Le Bureau du droit d’auteur y reconnaissait les difficultés engendrées par un système archaïque et proposait des réformes de grande ampleur, dont l’harmonisation de la réglementation applicable aux licences sur les œuvres musicales et les enregistrements sonores, l’adoption d’un système de tarification uniforme axé sur le marché pour les tarifs établis par les pouvoirs publics et, comme évoqué dans une précédente étude du Bureau, la prise en considération des enregistrements sonores effectués avant le 15 février 1972 dans le champ d’application de la législation fédérale sur le droit d’auteur.
Le Congrès a entendu cet appel et a adopté la loi de modernisation de l’industrie musicale (MMA), fruit de plusieurs années d’efforts intenses pour revoir le système national de licences musicales. Débutant ses travaux en 2013 par un examen approfondi de la législation sur le droit d’auteur, la Chambre des représentants des États-Unis d’Amérique a tenu plusieurs audiences sur les questions liées à la musique, dont “Les licences musicales selon le titre 17 (parties I et II)”, “La portée de la protection du droit d’auteur” et “La politique relative à la musique du point de vue du législateur”.
À la 115e session du Congrès, qui a débuté le 3 janvier 2017, sept projets de loi distincts ont été présentés à l’une des chambres ou aux deux, chacun abordant un aspect différent de la concession de licences sur les œuvres musicales. Au printemps 2018, toutes les pièces de ce puzzle ont été rassemblées pour former la MMA.
L’émergence d’un consensus historique
À la suite de discussions et de débats prolongés, un consensus historique entre les fournisseurs de musique et les plateformes a commencé à prendre forme. Il illustre la valeur des partenariats qui peuvent naître lorsque les plateformes technologiques et les fournisseurs de contenus s’unissent dans une cause commune. Comme l'a déclaré le sénateur Orrin Hatch, rapporteur du projet de loi au Sénat, “tous les acteurs de l’industrie de la musique se sont réunis pour trouver les moyens d’améliorer notre législation sur la musique. Pour qu’elle fonctionne correctement. Et pour l’adapter à l’ère du numérique. Aucun de ces acteurs n’a obtenu tout ce qu’il désirait, mais tous ont eu quelque chose, et au final, nous pouvons tous être fiers de notre législation”.
Le 11 octobre 2018, adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Congrès américain, la MMA a été promulguée par le Président des États-Unis d’Amérique, M. Donald J. Trump.
Cette loi historique marque l’aboutissement d’années d’attention de la part des décideurs, des différentes parties prenantes et du Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique. Comme l’a déclaré Neil Portnow, PDG de la Recording Academy, au Hollywood Reporter, “il s’agit de la réforme du droit d’auteur dans le domaine musical la plus ambitieuse depuis l’ère du magnétophone à huit pistes”. En effet, la MMA n’est pas seulement la loi relative au droit d’auteur dans le domaine musical la plus importante depuis des dizaines d’années, elle est aussi l’un des instruments législatifs les plus importants jamais adoptés sur le droit d’auteur en général aux États-Unis d’Amérique.
Ce que prévoit la loi de modernisation de l’industrie musicale
La loi de modernisation de l’industrie musicale (MMA) modifie le cadre juridique régissant la concession de licences sur les œuvres musicales et les enregistrements sonores antérieurs à 1972, de même que la répartition des redevances sur les enregistrements sonores entre les producteurs, les mixeurs et les ingénieurs du son. Elle partage le constat du Congrès selon lequel la législation sur le droit d’auteur n’a pas suivi l’évolution des préférences des consommateurs et des technologies en matière de musique. La loi s’articule en trois titres distincts qui représentent certains des projets de loi qui ont ensuite été regroupés pour former la MMA telle que promulguée.
Un système de licences musicales revisité
Le titre I de la MMA est la loi de modernisation relative aux œuvres musicales qui entend faciliter l’obtention des licences sur les œuvres pour les services de musique en ligne ainsi que le paiement des redevances aux titulaires lorsque leurs œuvres sont diffusées ou téléchargées en ligne. Elle remédie aux insuffisances du système de licences chanson par chanson pour la reproduction mécanique et la distribution d’œuvres musicales fixées dans des phonogrammes par les fournisseurs de musique en ligne. Auparavant, les barrières à l’entrée étaient nombreuses pour les services de musique en ligne qui souhaitaient se lancer sur le marché. Pour donner accès à des millions de chansons, il fallait acquérir une licence pour chacune d’entre elles. S’agissant d’une licence légale, cela supposait d’envoyer une demande individuelle à tous les titulaires du droit d’auteur ou, si les titulaires ne pouvaient être identifiés, au Bureau du droit d’auteur.
La MMA modifie la loi régissant l’octroi de licences pour des œuvres musicales et des enregistrements sonores antérieurs à 1972, de même que la répartition des redevances d’enregistrement entre les producteurs, les mixeurs et les ingénieurs du son.
Karyn A. Temple, directrice de l’enregistrement par intérim au Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique
La MMA remédie à ce problème moyennant la création d’un nouvel organisme dénommé Mechanical Licensing Collective (MLC) et chargé d’administrer les licences globales pour les activités des fournisseurs de musique en ligne telles que téléchargements permanents, téléchargements limités et diffusion interactive. Au terme de la mise en œuvre de la loi, les services en ligne n’auront plus qu’à envoyer une notification au MLC pour obtenir une licence globale. Financé par les fournisseurs de musique en ligne, le MLC se chargera également de la perception et de la répartition des redevances, ainsi que de l’identification des œuvres et des titulaires aux fins du paiement. Cet organisme sera aussi responsable de la création et de la mise à jour d’une base de données publique et gratuite sur les titulaires des œuvres musicales et des enregistrements sonores. Pour assurer la supervision et la reddition de compte, le MLC sera nommé par la Direction de l’enregistrement du Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique. Il doit s’agir d’une organisation sans but lucratif créée et approuvée par des titulaires de droits d’auteur sur les œuvres musicales, et elle doit disposer des capacités administratives et technologiques nécessaires pour remplir les fonctions susmentionnées.
Par ailleurs, le titre I de la MMA modifie le critère de fixation des tarifs par la US Copyright Royalty Board, l’organe fédéral qui établit les taux de redevance pour les licences légales de droit d’auteur. Le nouveau critère, fondé sur le principe dit de “l’acheteur et du vendeur consentants”, est plus en phase avec le marché et remplace une norme générale qui, pour beaucoup, réduisait injustement les taux de redevance.
Précision de la situation des enregistrements sonores antérieurs à 1972
Le titre II de la MMA est la loi sur la protection et l’accès aux œuvres classiques qui remédie à une anomalie de la législation sur le droit d’auteur en ce qui concerne les enregistrements sonores. Avant la nouvelle législation, la loi fédérale sur le droit d’auteur ne s’appliquait pas aux enregistrements sonores des États-Unis d’Amérique effectués avant le 15 février 1972 tout en étant applicable aux enregistrements étrangers. La situation des enregistrements américains était couverte par un éventail de lois au niveau des États, ce qui était source d’incertitude, de confusions et de litiges. La MMA regroupe tous les enregistrements sonores américains antérieurs à 1972 sous la protection fédérale et prévaut sur toutes les lois des États pouvant s’appliquer à de telles œuvres. Même si la MMA ne place pas intégralement les enregistrements sonores antérieurs à 1972 dans le champ d’application de la législation fédérale sur le droit d’auteur, elle prévoit des voies de recours fédérales en cas d’utilisation non autorisée de ces œuvres et y applique les principales exceptions et limitations fédérales relatives au droit d’auteur (comme l’usage loyal, la première vente, l’utilisation par des bibliothèques ou des services d’archives et l’exonération de responsabilité des fournisseurs de services en ligne).
Codification du système de paiement des redevances
Pour finir, le titre III de la MMA, la loi sur la répartition en faveur des producteurs de musique, traite du paiement des redevances aux producteurs, aux mixeurs et aux ingénieurs du son. Elle codifie une pratique existante en vertu de laquelle les titulaires du droit d’auteur ou les artistes peuvent envoyer à SoundExchange, l’organisation de gestion des droits d’exécution qui collecte les redevances auprès de certaines plateformes de musique en ligne, une “lettre d’instructions” pour attribuer une partie de leurs redevances aux producteurs, aux mixeurs et aux ingénieurs du son.
Les avantages de la loi de modernisation de l’industrie musicale
La MMA va aider les différents acteurs de l’industrie musicale à maints égards. Par exemple, le principe de “l’acheteur et du vendeur consentants” se traduira par la fixation de taux de redevance légale plus en phase avec le marché, ce qui renforcera l’équilibre entre les titulaires et les utilisateurs. La codification de la pratique de la “lettre d’instructions” pour le paiement des redevances bénéficiera aux producteurs, aux mixeurs et aux ingénieurs du son. La nouvelle licence générale permettra aux fournisseurs de musique en ligne d’exercer les activités prévues (téléchargement permanent, téléchargement limité et diffusion interactive) sans avoir à suivre la procédure fastidieuse d’obtention de licences individuelles. En outre, ils n’auront plus à se perdre dans les méandres des lois étatiques concernant l’utilisation d’enregistrements sonores antérieurs à 1972.
La MMA va venir en aide à tous les acteurs de l’industrie musicale.
Karyn A. Temple, directrice de l’enregistrement par intérim au Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique
Le Bureau du droit d’auteur des États-Unis d’Amérique est chargé de la mise en œuvre cette réforme de grande ampleur de l’industrie de la musique. Entre autres tâches, il devra édicter de nouvelles règles pour les nouvelles procédures d’obtention de licences et de paiement des redevances relevant de la compétence du MLC, ce qui renforcera la transparence et réduira les coûts de transaction entre les titulaires de droits et les utilisateurs. Une disposition en particulier requiert que le Bureau du droit d’auteur aide le public à mieux comprendre en quoi la MMA modifie la concession de licences musicales. À cet égard, il a déjà publié une page Web contenant un résumé de la nouvelle loi, ainsi que des explications détaillées sur les changements qu’elle introduit dans le droit et des réponses à des questions fréquemment posées. À ce stade, le Bureau du droit d’auteur a édicté une règle provisoire et un avis d’enquête se rapportant aux nouvelles voies de recours fédérales pour les enregistrements sonores antérieurs à 1972. Nous sommes impatients d’appliquer tous les aspects de cette loi historique dans l’intérêt de tous les amateurs de musique!
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