Elaphe à la tête du développement des véhicules électriques
Catherine Jewell, Division des communications, OMPI
Depuis plus d’un siècle, le moteur à combustion interne domine l’industrie automobile. Mais les préoccupations liées à l’impact environnemental de la circulation et à la sécurité routière renforcent l’intérêt pour les véhicules électriques et le marché des roues motorisées. Les analystes de Fact.MR prévoient que, sur la période 2018-2027, le marché des moteurs-roues atteindra un taux de croissance annuel composé de 30,4%.
Elaphe Propulsion Technologies, une entreprise slovène basée à Ljubljana qui fabrique depuis 2003 des systèmes de propulsion électrique à moteurs intégrés dans les roues, est à l’avant-garde de la conception de ce type de moteurs depuis 15 ans. Dans un entretien accordé au Magazine de l’OMPI, Gorazd Gotovac, directeur technique, décrit le rôle que jouent l’innovation et la propriété intellectuelle dans la stratégie commerciale d’Elaphe et ses ambitions pour l’avenir.
Pouvez-vous nous parler d’Elaphe et de ses activités?
Elaphe met au point et fabrique des groupes motopropulseurs pour véhicules électriques. Nous nous concentrons sur une solution innovante spécifique – nos moteurs électriques à hautes performances se logent dans les roues du véhicule, qu’elles entraînent directement. Ce type de propulsion est simple et économe en énergie. Il fait également économiser de la place, car les roues motorisées s’affranchissent des systèmes complexes que l’on trouve dans les moteurs électriques ou à combustion interne traditionnels. Cela permet de repenser complètement l’aménagement intérieur du véhicule et d’introduire des solutions davantage axées sur l’utilisateur. Le centre de recherche-développement de l’entreprise et ses activités de fabrication pour l’Europe sont basés à Ljubljana, et nous avons également un site de production à Hangzhou (République populaire de Chine). Nous ciblons le marché mondial de l’automobile et nous avons toute une gamme de projets dans plusieurs secteurs des transports.
Ferdinand Porsche est considéré comme le premier inventeur de la roue motorisée en 1900. Qu’est-ce qui a suscité l’intérêt d’Elaphe pour ce domaine et comment expliquez-vous l’intérêt croissant suscité aujourd’hui par cette technologie?
Le travail de Ferdinand Porsche a été une grande source d’inspiration, mais nous pouvons affirmer sans crainte qu’Elaphe est l’un des pionniers de la roue motorisée pour les véhicules de tourisme. Tout a commencé à la fin des années 1980. Notre mentor et cofondateur Andrej Detela s’est inspiré de la nature, et en particulier de l’anatomie des animaux, et avait également de bonnes raisons techniques de penser que ses recherches pourraient être appliquées à l’avenir aux véhicules automobiles et autres. La disponibilité de nouveaux matériaux plus robustes (par exemple, les composites et les aimants permanents à haute densité énergétique), combinée à la conviction qu’il était possible de produire une architecture de groupe motopropulseur simple, propre et hautement efficace comportant très peu de pièces mobiles, et surtout, à notre vision du potentiel de faire évoluer radicalement l’aspect visuel, l’utilisation et l’impact environnemental de l’automobile, nous a incités à nous engager sur la voie de l’innovation. Les premiers modèles ont permis de valider le concept technologique, et logiquement l’étape suivante a été la création d’une entreprise afin de soutenir le développement de cette nouvelle technologie prometteuse.
Comment fonctionnent les roues motorisées?
Le concept est très simple : deux ou quatre moteurs électriques (selon que le véhicule est doté de deux ou quatre roues motrices) sont intégrés dans les jantes. Chaque moteur est contrôlé par une unité de commande du groupe motopropulseur embarquée que nous avons développée. Cette unité contrôle le comportement combiné des moteurs. Il n’y a pas de pièces mécaniques comme les engrenages, les différentiels ou les arbres d’entraînement, de sorte que l’architecture du véhicule est beaucoup plus simple et légère. Derrière cette technologie se cache beaucoup d’ingénierie. Par exemple, le moteur doit être petit, puissant et léger, le système de freinage doit être intégré dans le même espace que le moteur, le moteur doit être en mesure de supporter la résistance à l’avancement due à la friction des roues sur la chaussée et aux facteurs environnementaux, et le système de commande doit pouvoir contrôler chaque moteur séparément pour assurer la stabilité dynamique, etc. Nous avons relevé ces défis et le système est vraiment propre et simple.
Quels usages fait-on de votre technologie?
Notre technologie est utilisée dans des applications à l’intérieur et à l’extérieur du secteur automobile. Elle est intégrée dans un large éventail de véhicules et un nombre croissant de constructeurs mettent au point des véhicules autour de notre technologie ou évaluent celle-ci aux fins de la production en série de nouveaux véhicules basés sur la motorisation des roues.
Quels sont les avantages des roues motorisées par rapport aux moteurs électriques traditionnels?
Les moteurs intégrés aux roues offrent de nombreux avantages par rapport aux moteurs électriques traditionnels. Ils sont légers, occupent moins de place, améliorent les performances dynamiques des véhicules, simplifient les chaînes de fabrication et réduisent ainsi les coûts de développement et de fabrication. Par ailleurs, ils offrent des avantages supplémentaires pour l’environnement. La réduction du nombre de pièces mécaniques allège les véhicules et permet au bloc de propulsion d’atteindre des valeurs d’économie élevées en utilisant une batterie plus petite pour couvrir une distance similaire.
Quelles difficultés spécifiques avez-vous dû surmonter pour loger un moteur dans une roue?
Nous avons commencé par concevoir un moteur qui a le rapport couple/poids le plus élevé au monde (soit 45 Nm/kg pour le moteur L1500). De plus, ce moteur est vraiment très petit, sa partie active ne mesurant que 2 x 6 centimètres dans la section transversale. Cette conception laisse suffisamment d’espace pour intégrer dans la roue d’autres composants, tels que la direction, les disques de frein et les étriers. Il s’agit d’un développement plutôt révolutionnaire compte tenu de la puissance de ces moteurs. Une fois la preuve faite de leurs performances impressionnantes, nous nous sommes concentrés sur leur rapport coût-efficacité, leur fiabilité et leur durabilité. Ensuite, nous nous sommes attaqués au logiciel de contrôle et à l’électronique en vue de proposer des fonctions qui vont bien au-delà de ce qu’on attend d’une voiture aujourd’hui. Même si notre roue motorisée est déjà un produit très sophistiqué et que nous continuons d’investir dans la conception électromagnétique de notre moteur électrique, l’entreprise se concentre maintenant sur l’élaboration d’une partie mécanique, de technologies de production et de solutions de contrôle innovantes.
On parle beaucoup des voitures autonomes. Quand pensez-vous qu’elles deviendront accessibles au grand public?
Les voitures sont déjà dotées d’un certain nombre de systèmes autonomes, alors je dirais que, dans une certaine mesure, nous sommes entrés dans l’ère de la voiture autonome. Cependant, il est plus difficile de parvenir à l’autonomie complète et je pense que nul ne peut dire quand ce concept deviendra une réalité. Mais j’espère vraiment que ce sera dans un avenir proche parce que, d’une manière générale, l’être humain est un piètre conducteur.
Peut-on dire que les technologies d’Elaphe préparent le terrain pour les véhicules sans conducteur?
Nous sommes déterminés à fournir la technologie pour les voitures autonomes et à soutenir leur développement grâce à notre roue motorisée unique et à nos algorithmes de contrôle. Cette technologie offre des avantages intéressants. Par exemple, les quatre roues motrices indépendantes dépourvues de transmission mécanique améliorent la stabilité, de sorte qu’un véhicule gagne en réactivité et peut s’adapter plus rapidement à l’état de la route. L’intégration de notre solution logée dans la roue offre une stabilité bien supérieure à celle à laquelle peut prétendre un conducteur humain dans des conditions climatiques difficiles, comme l’ont démontré nos essais hivernaux en 2017, 2018 et 2019 à Heihe dans le nord de la Chine. Nos roues motorisées analysent l’état de la route et génèrent une multitude de données qui font des voitures autonomes une option de voyage plus sûre.
Nous sommes déterminés à fournir la technologie pour les voitures autonomes et à soutenir leur développement grâce à notre roue motorisée unique et à nos algorithmes de contrôle.
Gorazd Gotovac, directeur de la technologie, Elaphe Propulsion Technologies
Quelles réactions la technologie d’Elaphe a-t-elle suscitées?
Notre technologie suscite beaucoup d’intérêt depuis le démarrage des activités de l’entreprise, mais le scepticisme règne encore dans certains milieux quant aux performances techniques des roues à moteur électrique. Nous nous sommes fixé comme objectif de répondre à ces préoccupations. La technologie d’Elaphe a maintenant atteint un niveau de maturité suffisant pour faire son entrée sur le marché grand public. Nous travaillons avec les plus grandes marques de l’industrie automobile et l’intérêt pour notre technologie s’accroît considérablement. Il s’agit là d’un signe fort de notre succès. Certains acteurs de l’industrie automobile sont prêts à franchir le pas et à bénéficier des avantages de notre technologie. Mais notre travail n’est pas encore terminé. Nous voulons que tous les types de véhicules utilisent nos produits!
Quel rôle joue l’innovation dans votre entreprise?
En tant qu’entreprise de haute technologie, nous misons sur l’innovation pour préserver notre avantage concurrentiel. L’innovation est au cœur de notre activité. Notre concept bloc moteur intégré à la roue est innovant en soi et constitue une avancée significative par rapport aux travaux de Ferdinand Porsche dans les années 1900. Atteindre le même niveau de performance et de fiabilité qu’un moteur à combustion traditionnel des années 1900 représentait une difficulté majeure qui a mis l’épreuve notre sens de l’innovation. Mais les résultats de nos recherches ont ouvert de nouvelles perspectives pour la production de composants et d’algorithmes innovants qui permettent d’exploiter pleinement le potentiel de notre système.
Quelle place la propriété intellectuelle occupe-t-elle dans l’entreprise?
La propriété intellectuelle a toujours fait partie intégrante de notre stratégie commerciale. Nous l’utilisons généralement comme mécanisme défensif pour assurer la liberté d’exploitation sur ce marché. Plus récemment, la propriété intellectuelle est également devenue un aspect essentiel de notre stratégie de financement. Avec le développement de l’entreprise, nous nous sommes attachés à protéger les nombreux actifs de propriété intellectuelle mis au point autour de nos innovations, que nous traitions auparavant comme des secrets d’affaires, afin d’attirer les investisseurs et de lever des fonds.
Quelle est votre expérience de l’utilisation du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) de l’OMPI et comment souhaiteriez-vous voir évoluer le système des brevets?
Elaphe a abondamment utilisé le PCT pour plusieurs raisons. Le processus est simple et donne lieu à l’établissement d’un rapport de recherche, qui peut compléter nos propres recherches sur l’état de la technique. Dans un environnement dynamique où des innovations naissent chaque jour, le calendrier de la procédure selon le PCT nous donne une certaine liberté pour différer les décisions stratégiques jusqu’à ce que les informations sur les marchés et les produits soient plus claires et que l’avantage économique de la prise de brevet soit plus facile à évaluer. Nous sommes plutôt satisfaits du PCT mais, en Europe, nous aimerions que le système de brevet unitaire soit opérationnel. Cela permettrait de réaliser d’importantes économies et de renforcer la viabilité du processus d’innovation.
Les partenariats sont-ils importants pour l’entreprise?
La chaîne d’approvisionnement automobile est une mine de connaissances en matière de développement et de fabrication de pièces, c’est pourquoi nos partenariats sont très importants. Ils nous permettent d’éviter de réinventer des composants et des technologies qui peuvent être produits beaucoup plus efficacement par d’autres. Notre roue motorisée comporte près de 80 pièces, dont environ 50 sont des composants standard disponibles dans le commerce. La plupart des autres pièces sont développées en partenariat avec les fournisseurs. Cela implique souvent d’apporter de petites modifications à leurs produits existants. Les partenariats offrent donc de nombreux avantages tant à Elaphe qu’à nos partenaires. Cela leur permet de s’introduire sur le marché et de bénéficier d’une source régulière de revenus, deux facteurs qui se révéleront utiles lorsque notre technologie commencera à supplanter les technologies automobiles plus anciennes. Les partenariats avec les équipementiers sont également très importants lorsqu’il s’agit d’influer sur la conception de nos systèmes. Par exemple, les fabricants de systèmes de freinage, de suspensions, et de jantes, notamment, nous ouvrent de nouvelles perspectives. Et naturellement, la mise en place des arrangements appropriés en matière de propriété intellectuelle est importante pour assurer le bon fonctionnement de ces partenariats.
Quels sont les projets d’Elaphe pour l’avenir?
Nous voulons devenir l’entreprise incontournable dans le domaine des roues motorisées. Le potentiel de cette technologie a désormais été confirmé par le marché et nous sommes donc très optimistes quant à notre capacité de devenir un fournisseur mondial majeur de véhicules électriques.
À votre avis, à quoi ressembleront les voitures dans 10 ans?
Bonne question. Je pense que la forme de la voiture sera modifiée pour tenir compte des nouvelles utilisations que la connectivité introduit dans l’industrie. Cela signifie davantage d’espace pour les passagers, des écrans, des intérieurs personnalisés, des fonctions définies par logiciel et des fonctions de sécurité automatiques élaborées, pour la conduite partiellement autonome du moins. Nous verrons sans aucun doute un groupe motopropulseur électrique aux performances élevées avec des fonctionnalités adaptées aux besoins des utilisateurs.
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes inventeurs en herbe?
Beaucoup vous diront “c’est impossible” parce qu’ils ont entendu dire que quelqu’un a essayé et échoué. Il ne faut pas que cela vous arrête. Continuez à penser de façon originale et testez vos idées le plus rapidement possible. Examinez les preuves dont vous disposez, analysez pourquoi une technologie n’a pas fonctionné et utilisez ces informations pour valider votre approche. Après tout, la technologie que nous tenons pour acquise aujourd’hui ne pouvait pas être mise en œuvre dans le passé.
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