Au-delà du signal : point de vue chinois sur la protection au titre du droit d’auteur des émissions de sport en direct
Yan Bo, directeur adjoint du Bureau du droit d’auteur et des affaires juridiques de la Télévision centrale de Chine, Beijing (Chine)
Au fil des ans, la radiodiffusion télévisuelle a joué un rôle catalyseur dans l’essor de l’économie du sport. Après tout, comme l’a fait remarquer Juan Antonio Samaranch, ancien président du Comité international olympique (CIO), le sport et la télévision forment un mariage idéal.
Le Mouvement olympique est un très bon exemple de la contribution économique significative des radiodiffuseurs au développement du sport. Comme l’a relevé Michael Payne, auteur de l’ouvrage Olympic Turnaround, le nouveau souffle du Mouvement olympique dans les années 1980 et sa viabilité financière à long terme sont étroitement liés à la télévision. Grâce à la radiodiffusion télévisuelle, des moments trépidants d’action olympique se sont traduits en taux d’audience et recettes publicitaires massifs.
La radiodiffusion télévisuelle a été le facteur prédominant de la promotion des manifestations sportives de haut niveau comme les Jeux olympiques et de la création de recettes de ces événements sportifs. Les Jeux olympiques de Beijing en 2008, de Londres en 2012 et de Rio en 2016 ont tous trois dépassé les 3 milliards de téléspectateurs, soit près de la moitié de la population mondiale. De 2013 à 2016, le Comité international olympique (CIO) a par ailleurs tiré 73% de ses recettes totales de la vente des droits de diffusion des Jeux olympiques (voir le diagramme 1). Comme le signale le CIO dans son Dossier d’information sur le marketing olympique 2019, les partenariats de radiodiffusion olympique ont doté le Mouvement olympique d’une “assise financière solide”. Ils représentent depuis plus de 30 ans sa “première source de recettes”.
Le mariage du sport et de la télévision est également un mariage “Made in China”. Si les Jeux olympiques de Berlin en 1936 ont marqué la première couverture télévisée en direct d’un événement sportif international, il a fallu attendre quatre décennies pour voir des manifestations sportives diffusées en direct en Chine. En 1978 pour la première fois, la Télévision centrale de Chine (CCTV) a enregistré et retransmis les quatre derniers matches de la Coupe du Monde de la FIFA en Argentine. En 1982, à la demande des téléspectateurs chinois, la CCTV a pour la première fois réussi à retransmettre en direct la finale de la Coupe du Monde, qui opposa en Espagne l’Italie et la République fédérale d’Allemagne (comme elle s’appelait à l’époque). La première retransmission en direct des Jeux olympiques en Chine remonte à 1984, aux Jeux de Los Angeles (États-Unis d’Amérique). . Par la suite, la CCTV a obtenu des licences pour retransmettre les compétitions des Jeux olympiques et des Coupes du Monde suivants en direct et à titre gratuit pour la majorité des téléspectateurs chinois.
La chaîne de la CCTV dédiée au sport, CCTV5, a également couvert d’autres événements sportifs internationaux, dont les Championnats d’Europe de l’UEFA, la Ligue des champions et d’autres ligues européennes de football importantes, comme celles du Royaume-Uni, de la France et de l’Italie. Elle a aussi retransmis les tournois de tennis du Grand Chelem, les Jeux asiatiques et les compétitions de la NBA (Association nationale de basketball des États-Unis d’Amérique), pour n’en citer que quelques-uns. Comme on peut s’y attendre, les championnats du monde de tennis de table, de gymnastique artistique et de patinage artistique sont également de grands favoris du public chinois.
Les radiodiffuseurs ont contribué à promouvoir la popularité d’importantes marques internationales de sport en Chine, introduisant par ailleurs des événements sportifs spectaculaires auprès des amateurs de sport chinois. La retransmission en direct de ces importants rendez-vous sportifs internationaux a fait grimper sensiblement les indices d’audience de la télévision. Ainsi, si l’on en croit l’enquête sur les cotes d’audience de CSM, la part d’audience de la CCTV pour les événements sportifs en Chine en 2018 a dépassé de 52% celle de 2017 en raison de son succès de retransmission de la Coupe du Monde de Russie, des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang (République de Corée) et des Jeux asiatiques de Jakarta (Indonésie). Ces résultats sont certes excellents, mais le coût de la licence et l’investissement que requiert la production d’une retransmission en direct sont immenses. Selon des sources non officielles, quelque 400 millions de dollars des États-Unis d’Amérique ont été versés pour les droits de radiodiffusion télévisuelle jusqu’aux Jeux olympiques de 2024 qui se tiendront à Paris.
Les signaux de radiodiffusion menacés dans l’environnement numérique
Bien que la hausse des indices d’audience des grandes manifestations sportives ait entraîné une augmentation des recettes publicitaires, l’envolée du coût des droits de radiodiffusion de ces événements pour les sociétés de médias ces dernières années exerce une pression opérationnelle considérable sur les organismes de diffusion.
Comme le souligne l’Union de radiodiffusion Asie-Pacifique (ABU selon son acronyme anglais), la première union de radiodiffusion du monde en termes de membres, les niveaux élevés de piratage des signaux mettent gravement en danger la survie et le développement du secteur des retransmissions d’événements sportifs en direct. Les formes les plus courantes de piratage des signaux de radiodiffusion, selon une publication intitulée The World Broadcasting Unions and the WIPO Broadcasters’ Treaty, sont les suivantes :
- “retransmission non autorisée d’émissions par des retransmetteurs opérant dans des pays voisins;
- retransmission et autres usages non autorisés d’émissions par Internet, soit simultanément soit ultérieurement à la diffusion de l’émission;
- distribution d’émissions enregistrées de manière illicite, notamment celles retransmettant des événements sportifs en direct;
- radiodiffusion ou distribution par câble de signaux satellites antérieurs à la diffusion portant des programmes de sport et d’autres types; et
- fabrication, importation et distribution non autorisées de décodeurs et autre matériel permettant l’accès non autorisé à des services de télévision et leur distribution.”
Les données de la société de cybersécurité Irdeto révèlent que “le vol de contenu par les pirates est désormais une activité commerciale à part entière, qui livre une concurrence redoutable aux opérateurs de télévision payante établis”. En 2016, Irdeto a déclaré avoir recensé plus de 2,7 millions d’annonces publicitaires sur des sites de commerce électronique, parmi lesquels Amazon, eBay et Alibaba, proposant des dispositifs illicites de diffusion en continu. Selon les données du service d’analyse de données de renom SimilarWeb, la croissance en termes de trafic mondial a mené à plus de 16 millions de visites par mois sur les 100 premiers sites Web fournisseurs de télévision sur protocole Internet pirate. Le piratage généralisé des signaux est un fléau pour les titulaires de droits exclusifs de diffusion télévisée de manifestations sportives. Comme le souligne Christopher Shouten, directeur principal de marketing produit de NAGRA Kudelski, leader mondial en matière de solutions de sécurité numérique et de médias convergents, “le succès des sports télévisés attire dans la foulée un nombre grandissant de pirates. Les titulaires de droits de télévision voient ainsi fondre leurs bénéfices à mesure qu’il devient plus facile que jamais d’ignorer la loi. J’en veux pour exemple Sky, le principal titulaire de droits sur la ligue anglaise de football, qui a vu ses bénéfices reculer de 11% au cours des neuf derniers mois seulement”.
La radiodiffusion télévisuelle a joué un rôle catalyseur dans l’essor de l’économie du sport.
En Chine aussi, le piratage des signaux fait peser une lourde menace sur la retransmission en direct d’événements sportifs. Il ressort des données de Bright Media Technologies que durant la Coupe du Monde de la FIFA de 2018 en Russie, 1043 liens de piratage de signaux ont été recensés sur différentes plateformes, notamment des sites Web audiovisuels, des applications de retransmission en direct et des boîtiers de services par contournement. En l’absence d’une protection adéquate du signal de retransmission en direct des manifestations sportives, le piratage qui a lieu sape les intérêts des radiodiffuseurs qui paient des sommes astronomiques en échange du droit exclusif de retransmettre ces événements. Cela suppose à son tour une menace pour la principale source de recettes des organisateurs de manifestations sportives de grande envergure.
La Convention de Rome sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC), adoptés respectivement en 1961 et en 1994, n’ont que bien peu d’effet sur les réalités de la radiodiffusion numérique d’aujourd’hui, et n’assurent pas une protection adéquate du signal de radiodiffusion dans l’environnement numérique. Il est de ce fait bien difficile pour l’industrie mondiale de la radiodiffusion de lutter contre le piratage en ligne. Pendant de nombreuses années, les radiodiffuseurs en ont appelé à la communauté internationale, invoquant les défis grandissants posés par le piratage des signaux et la nécessité urgente d’actualiser leurs droits voisins. Le Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’OMPI a reconnu il y a plus de 20 ans, en 1998, la nécessité de s’attaquer à ce problème. De plus, du fait de l’évolution rapide des technologies de radiodiffusion ces dernières années, la manière dont les signaux sont livrés et consommés n’a plus grand-chose à voir avec le contexte de 1961, année de l’adoption de la Convention de Rome. Cela vaut aussi bien pour la radiodiffusion d’événements sportifs que pour tous les autres types d’émissions. C’est pourquoi il est impératif de s’attaquer efficacement à toutes les formes de piratage des signaux. Pour la CCTV et ses consœurs de la région d’Asie, il est crucial que les négociations en cours à l’OMPI soient conclues et qu’un accord international sur la mise à jour des droits des organismes de radiodiffusion soit mis au point rapidement.
Comment déterminer si les émissions de sport en direct peuvent être protégées par le droit d’auteur?
Un autre aspect qui fait l’objet d’une vive polémique en Chine est la question de savoir si un “signal” de sport en direct – le mot signal se rapportant ici au programme audiovisuel de sport en direct porté par le signal de radiodiffusion – peut être considéré comme une œuvre audiovisuelle plutôt qu’un enregistrement audiovisuel, et donc bénéficier d’une protection à ce titre. La manière de déterminer l’originalité d’une œuvre audiovisuelle par l’expression des plans de caméra et du montage est une question intéressante, que j’ai abordée en profondeur dans mon livre A Study on Copyright Protection of Live Broadcasting Program. Elle n’a cependant toujours pas de réponse claire, et est de longue date sujette à controverse en Chine. Selon la législation chinoise sur le droit d’auteur, la définition d’un enregistrement audiovisuel est analogue à celle qu’en donne la loi allemande sur le droit d’auteur (paragraphe 95). Dans les deux cas, il s’agit d’une image animée ou d’une séquence d’images, qui peut bénéficier d’une protection en tant que droit voisin plutôt qu’au titre du droit d’auteur au sens strict. Toutefois, la portée du droit dans chaque législation est différente.
Selon le droit chinois, le titulaire de droits sur un enregistrement audiovisuel ne bénéficie pas d’un droit exclusif et n’a pas le droit d’interdire sa retransmission sur Internet. En Chine, ce débat a été déclenché par un procès célèbre dont a été saisi en 2014 le tribunal populaire du district de Chaoyang à Beijing (affaire numéro 40334 Chao Min (PI) Chu (2014)), au cours duquel furent entendus des arguments relatifs à la nature des programmes de sport en direct au titre de la législation sur le droit d’auteur. Dans cette affaire, le tribunal a déclaré que, s’il n’existe pas de critères d’originalité régis par la loi, l’acte de choisir et d’éditer des images audiovisuelles d’événements sportifs constitue un acte de création. À ce titre, il a estimé que les images audiovisuelles (de retransmission en direct de manifestations sportives) atteignaient un certain degré d’originalité et pouvaient bénéficier d’une protection au titre de la législation chinoise sur le droit d’auteur. Cette affaire largement médiatisée est désormais connue au sein de la communauté juridique chinoise comme “le premier procès sur le caractère protégeable des émissions de sport (en direct) au titre du droit d’auteur”.
Depuis, plusieurs autres tribunaux (voir l’affaire numéro 752 Shi Min (PI) Chu de 2015, et l’affaire numéro 174 Shen Fu Fa Zhi Min Chu de 2015) ont déclaré que les images audiovisuelles de sports en direct ne sont pas suffisamment originales pour bénéficier d’une protection en tant qu’œuvres audiovisuelles (œuvres cinématographiques) et doivent être considérées comme des “enregistrements audiovisuels”, protégés par des droits voisins. Le débat continue de faire rage et l’affaire numéro 40334 fait l’objet d’une nouvelle procédure devant le tribunal populaire supérieur de Beijing.
La question de savoir si le fait que les émissions de sport en direct puissent être protégées par le droit d’auteur dilue les droits des radiodiffuseurs est également controversée en Chine. Certains experts soutiennent que, dans les pays de droit romain, les droits voisins ont pour objet de protéger les créations intellectuelles qui ne satisfont pas au critère d’originalité au titre de la législation sur le droit d’auteur. Selon eux, l’assouplissement de ce critère pour protéger les images animées des retransmissions en direct affaiblirait considérablement l’importance du droit des radiodiffuseurs et la justification de la législation sur le droit d’auteur. Il s’ensuit que la meilleure manière de protéger les émissions en direct consiste à améliorer les droits des organismes de radiodiffusion.
Ce point de vue semble cependant faire abstraction du fait que la protection du droit voisin des radiodiffuseurs est indépendante de la protection du contenu d’émission porté par le signal. Ainsi, qu’une émission de télévision en direct soit considérée comme une œuvre audiovisuelle ou seulement un enregistrement d’images animées, le diffuseur de cette émission télévisée jouit du droit exclusif de protéger le signal portant le programme. Ce droit repose sur l’investissement intellectuel et financier du radiodiffuseur et sa contribution à la société, et est distinct des droits dont peut jouir un radiodiffuseur par rapport au contenu de la programmation. Cela est généralement admis et l’association de plusieurs catégories de titulaires de droits à une œuvre est une pratique tout à fait acceptée dans la législation sur le droit d’auteur. Prenons l’exemple d’un enregistrement musical, qui peut avoir trois types de titulaire de droits différents – le producteur de l’enregistrement ou du phonogramme, le ou les auteurs de l’œuvre musicale enregistrée et les interprètes ou exécutants de l’œuvre. Ils bénéficient chacun de droits distincts et indépendants sur l’œuvre. Le producteur de phonogramme est protégé que l’œuvre musicale enregistrée relève ou non du domaine public ou que la performance soit ou non protégée.
Rejeter la possibilité de protéger par droit d’auteur les émissions de sport en direct uniquement pour rehausser l’importance des droits des radiodiffuseurs rend un mauvais service aux équipes de production chargées de mettre au point les émissions sportives, notamment au réalisateur, au caméraman, au monteur, au preneur de son, au directeur de ralenti, au concepteur et au producteur des effets spéciaux et au sous-titreur. Qui plus est, si les émissions de sport en direct sont protégées uniquement par le droit du radiodiffuseur, il se peut qu’une autre faille soit créée par rapport à la protection des droits exclusifs des opérateurs de nouveaux médias.
Les solutions à ces défis émergents ne sont pas hors de notre portée. Depuis ses débuts, la législation sur le droit d’auteur évolue en réaction aux avancées technologiques. La production d’émissions de sport en direct est aujourd’hui bien plus sophistiquée que par le passé. De nouveaux médias audiovisuels font leur entrée sur le marché du sport en direct, et ces acteurs doivent eux aussi être à même de protéger les émissions sportives en direct qu’ils produisent. Néanmoins, nous ne disposons à ce jour pas de réponses catégoriques. En Europe, par exemple, la question de savoir si une émission de télévision en direct peut faire l’objet d’une protection par droit d’auteur reste en suspens. Cela tient peut-être à la rareté des décisions judiciaires en la matière.
Nonobstant le débat en cours en Chine quant à la question de savoir si les émissions de sport en direct peuvent bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur, il est grand temps de renforcer la protection des signaux de radiodiffusion de sports en direct dans le cadre des droits voisins des radiodiffuseurs dans l’environnement numérique. Et dans le contexte de transformation du paysage de radiodiffusion de manifestations sportives, le moment est certainement venu de nous demander s’il convient d’aller au-delà de la protection du signal de radiodiffusion et d’envisager de protéger la couverture des événements sportifs en direct au titre de la législation du droit d’auteur.
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