Marketing sauvage : quand les sponsors crient à l’injustice
Kathryn Park, Consultante en gestion stratégique des marques, ancienne Conseillère principale pour la gestion des marques, GE, Connecticut (États-Unis d’Amérique)
Nous sommes quotidiennement bombardés par la publicité – à la télévision, sur les panneaux d’affichage, sur les moteurs de recherche et les sites Internet, sur les applications, sur le papier et à la radio. Les marques cherchent des solutions pour sortir du lot, créer le buzz et attirer les consommateurs. À cette fin, les publicitaires investissent parfois dans le parrainage de grands événements, d’une célébrité ou d’une équipe afin de profiter de l’intérêt des fans pour promouvoir une marque. Des événements comme les Jeux olympiques, la Coupe du Monde et le Super Bowl, pour n’en citer que quelques-uns, attirent des entreprises qui sont prêtes à verser des sommes colossales, se chiffrant souvent en centaines de millions de dollars, pour accroître l’audience de leur marque. Les contrats de parrainage confèrent généralement au sponsor des droits exclusifs sur une catégorie de produits, par exemple, la boisson officielle de la manifestation.
Ces investissements dans le marketing sont mis en péril lorsque la publicité du sponsor en lien avec l’événement est parasitée par un concurrent qui évoque un lien similaire sans être un partenaire officiel.
Marketing sauvage direct et indirect
Les cas les plus évidents sont ceux qui relèvent du marketing sauvage direct, où la marque officielle de l’organisateur d’un événement, telle que les cinq anneaux entrelacés du Comité international olympique, par exemple, est utilisée pour créer la fausse impression d’une association avec l’événement.
Des événements comme les Jeux olympiques, la Coupe du Monde et le Super Bowl, pour n’en citer que quelques-uns, attirent des entreprises qui sont prêtes à verser des sommes colossales, se chiffrant souvent en centaines de millions de dollars, pour accroître l’audience de leur marque.
Les cas plus difficiles relèvent du marketing sauvage indirect, où il s’agit de tirer profit d’un événement sans détourner sa marque ni suggérer une quelconque association. Il existe une multitude de moyens pour y parvenir : acheter des espaces publicitaires à proximité de l’événement, sigler les moyens de transport utilisés pour se rendre à la manifestation, s’afficher avec des personnes qui participent à l’événement ou encore utiliser des couleurs et des termes qui évoquent l’événement, pour n’en citer que quelques-uns.
Pour illustrer le marketing sauvage indirect, rien ne vaut quelques exemples. Pendant les Jeux olympiques de Londres en 2012, Nike avait lancé la campagne Find Your Greatness mettant en vedette des individus ordinaires pratiquant toutes sortes de sports dans des villes également appelées Londres, mais dans d’autres pays que l’Angleterre, par exemple, au Nigéria. Dans un autre exemple, Puma, sponsor d’Usain Bolt, avait inondé les médias d’images de l’athlète exhibant sa paire de chaussures dorées de la marque Puma après sa médaille d’or aux Jeux olympiques de Rio en 2016 et avait diffusé sur les réseaux sociaux le message suivant “When you are @Usain Bolt, you are #ForeverFaster”, ce qui suggérait une association entre la médaille du champion et le slogan Forever Faster de Puma. Dans ces exemples, aucune atteinte n’avait été portée aux droits des partenaires, malgré le parallèle implicite évident avec les Jeux olympiques.
Au cours des Jeux olympiques d’hiver de 2018 à Pyeongchang, SK Telecom avait créé trois spots publicitaires mettant en vedette deux athlètes olympiques sud-coréens autour des slogans suivants : “See you in Pyeongchang” et “See you in 5G Korea”. Si ces publicités se gardaient bien d’établir un lien direct entre les services de SK Telecom et les Jeux olympiques, l’Office coréen de la propriété intellectuelle avait tout de même estimé que la campagne portait atteinte aux droits du partenaire officiel, KT Corporation.
On parle également de marketing sauvage indirect lorsqu’une marque qui n’est pas un partenaire officiel s’invite physiquement à une manifestation. C’est notamment le cas de la campagne menée par Beats Electronics lors de la Coupe du Monde et des Jeux olympiques de Londres et de Rio, consistant à offrir des casques audio aux athlètes, qui les avaient portés sur les lieux de la compétition et avaient même, pour certains, publié des tweets à ce sujet. Dans un autre exemple, lors d’un match de première ligue indienne en 2017, Reliance Jio, un opérateur de téléphonie mobile, avait mis au point une campagne de marketing sauvage audacieuse. L’opérateur avait fait porter des tee-shirts blancs et noirs à un certain nombre de spectateurs en les répartissant soigneusement dans les gradins pour faire apparaître le sigle JIO aux yeux non seulement du public présent dans le stade mais également, et plus important encore, des innombrables téléspectateurs assistant à l’événement, parasitant ainsi son concurrent et sponsor officiel, Vodafone.
La meilleure chose à faire pour un sponsor qui souhaite anticiper toute campagne de marketing sauvage consiste à y accorder toute l’attention voulue lors de la négociation du contrat de parrainage.
L’application des droits, une mesure à double tranchant
Lutter contre de telles campagnes intrusives n’est pas sans risque. Lors de la Coupe du Monde de 2010, 36 jeunes femmes arborant de courtes robes orange fournies par Bavaria, un brasseur qui n’avait pas de contrat de parrainage avec l’événement, sont venues soutenir l’équipe des Pays-Bas. Elles se sont vu expulser par la FIFA au motif qu’elles portaient atteinte aux droits du partenaire officiel, Budweiser. Si le partenaire a remporté une victoire à court terme, les mesures prises en vue de faire respecter ses droits se sont retournées contre lui, les études ayant en effet montré que la couverture médiatique avait consolidé l’association entre Bavaria et la Coupe du Monde dans l’esprit des consommateurs.
Lorsqu’un sponsor a versé des sommes importantes pour obtenir des droits de publicité exclusifs, il souhaitera mettre en œuvre des solutions immédiates pour prévenir toute appropriation des bénéfices par un concurrent ou y mettre un terme et se tournera donc vers le titulaire des droits, à savoir l’organisateur de l’événement, pour qu’il intervienne. L’organisateur peut pour sa part se montrer réticent à l’idée d’introduire des actions agressives de peur d’établir un précédent défavorable susceptible d’encourager d’autres à parasiter l’événement. Au surplus, en cas de campagne de marketing sauvage survenant pendant l’événement, l’organisateur peut avoir d’autres questions plus pressantes à régler. Ce qui peut être urgent pour le sponsor victime de marketing sauvage peut l’être moins pour un organisateur qui se charge de la production de l’événement de A à Z.
La meilleure chose à faire pour un sponsor qui souhaite anticiper toute campagne de marketing sauvage consiste à y accorder toute l’attention voulue lors de la négociation du contrat de parrainage. Si l’équipe commerciale peut avoir d’autres sujets de préoccupation, l’avocat du sponsor doit s’assurer que la question du marketing sauvage est dûment prise en considération par l’organisateur et que des critères stricts et mesurables sont établis à cet effet. La liste ci-après contient quelques suggestions à l’intention du sponsor, même si ce sont souvent les modalités pratiques de l’événement qui dictent les considérations supplémentaires.
Mesures pratiques dans la négociation d’un contrat de parrainage
Premièrement, mettez-vous d’accord sur une série précise de mesures à prendre en cas de campagne de marketing sauvage, y compris l’introduction d’une action en justice, sur les délais applicables et sur la partie qui en supportera les coûts. Pour le sponsor, l’une des principales difficultés a trait au fait que l’envoi d’une mise en demeure a posteriori ne réparera pas le préjudice causé. Le fait de déterminer par avance les étapes à suivre peut améliorer la relation entre les parties au moment critique où le sponsor sollicitera des mesures. Ces mesures peuvent notamment prendre les formes suivantes :
- déclaration publique de l’organisateur en amont de l’événement indiquant qu’aucune campagne de marketing sauvage ne sera tolérée; surveillance de la couverture média et du lieu de la manifestation, en amont et au cours de celle-ci, afin de repérer d’éventuelles atteintes aux droits du sponsor; prévoir des ressources humaines suffisantes, y compris du personnel de sécurité et des avocats, pour répondre à toute campagne de marketing sauvage et préparer les documents de procédure.
- recenser les concurrents qui, selon le sponsor, sont susceptibles de lancer des campagnes de marketing sauvage pendant l’événement. Le sponsor est souvent à même de produire des exemples d’incidents passés, voire des coupures de presse, montrant que l’auteur d’une campagne de marketing sauvage a été assimilé à tort à un partenaire officiel d’une manifestation. Il convient de communiquer à l’organisateur tout document permettant d’étayer toute demande visant à ce que ce dernier envoie des avertissements au concurrent ou prépare une réponse immédiate en cas de besoin.
- il devrait être exigé de l’organisateur qu’il délimite autour du stade ou de la salle de concert, en partenariat avec la municipalité, un périmètre au sein duquel seuls les partenaires officiels sont autorisés à faire de la publicité. Si les organisateurs le font généralement, il est conseillé de régler expressément cette question dans le contrat. À quelques jours de l’événement, voire le jour même, un concurrent mal intentionné pourrait organiser dans un bâtiment situé dans la zone concernée une soirée réunissant des personnalités liées à l’événement afin de suggérer un lien avec ce dernier. Une obligation claire concernant l’instauration d’un périmètre d’exclusion peut aider le sponsor dans un tel cas.
- le contrat de parrainage doit expressément prévoir les obligations suivantes à l’intention de l’organisateur de l’événement :
- faire figurer au dos des billets un avertissement indiquant que certains actes sont passibles d’expulsion et qu’ils ne peuvent être utilisés aux fins d’activités promotionnelles;
- édicter des règles à destination des athlètes ou des artistes quant aux modalités d’utilisation de marques non partenaires;
- prévoir dans les contrats avec les fournisseurs qui ne sont pas partenaires officiels des clauses interdisant expressément toute activité promotionnelle ou publicitaire.
- se concentrer sur la catégorie de produit et s’assurer que celle-ci est exhaustive et anticipe la mise au point de tout produit futur de la même catégorie. Plus la catégorie est définie de manière large, plus il sera facile de convaincre l’organisateur de prendre des mesures, y compris contre d’autres partenaires, lorsqu’il n’est pas évident de déterminer la catégorie à laquelle appartient le produit litigieux. Dans une affaire de marketing sauvage déjà ancienne, MasterCard, partenaire officiel de la Coupe du Monde de 1992 pour “tous les systèmes de paiement par carte et les dispositifs d’accès aux comptes”, a réussi à faire interdire Sprint, qui commercialisait des appels téléphoniques prépayés avec le logo de l’événement. Toutefois, la spécificité des catégories est un problème récurrent, en particulier dans les domaines où la technologie et les réseaux sociaux ont créé de nouveaux produits et services
Afin d’attirer les meilleurs sponsors, les organisateurs prennent souvent des mesures préventives pour le compte de tous les partenaires. La délimitation d’une zone d’exclusion, comme indiqué plus haut, en est un exemple. L’obtention de garanties juridiques renforcée dans le pays hôte, qui conditionne souvent l’organisation de l’événement, en est un autre. Néanmoins, la réponse gouvernementale, à savoir l’élaboration des lois et décrets d’application nécessaires, peut s’avérer lente. C’est pourquoi il est conseillé aux sponsors de continuer à soulever ces questions avec l’organisateur.
Un équilibre difficile à trouver
À l’évidence, les entreprises non officielles essayeront toujours de rivaliser. S’il n’y a qu’un seul sponsor par catégorie, certains – même parmi ceux qui sont prêts à payer – seront nécessairement exclus. La liberté d’expression telle qu’elle est définie dans le premier amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique et par la common law dans d’autres ressorts juridiques peut entrer en ligne de compte si les restrictions sont trop larges. Fixer la limite n’est pas simple. L’organisateur de l’événement et le sponsor doivent veiller à ne pas prendre des mesures qui seraient perçues comme excessives, en particulier à l’ère des réseaux sociaux.
Aux États-Unis d’Amérique et ailleurs, le public voit parfois d’un mauvais œil les réactions excessives des grandes marques à l’égard des plus petites. Pour s’assurer le soutien de l’opinion publique, il peut être très efficace d’invoquer une atteinte à la liberté d’expression ou de faire valoir que l’on est persécuté par un tyran, ce qui peut être préjudiciable au sponsor comme à l’événement. Pour autant, l’organisateur peut avoir à mettre en balance ce risque et les incidences juridiques majeures du marketing sauvage, sachant que fermer les yeux pourrait affaiblir une éventuelle action judiciaire future contre un acte de parasitisme plus sérieux. En outre, et c’est encore plus important, tout organisateur sait que l’absence de réaction peut influer négativement sur la valeur de toute proposition de partenariat.
Malgré tous les efforts déployés par le sponsor et l’organisateur de l’événement, il est fort possible que des concurrents arrivent à leur voler la vedette. La meilleure solution peut consister à mettre en place une campagne intelligente en amont ou, à tout le moins, à prévoir une équipe marketing prête à réagir immédiatement pour replacer le sponsor sous les feux des projecteurs. Les avocats peuvent aider à faire en sorte que, dans sa réaction, le sponsor n’aggrave pas la situation en prêtant le flanc à des accusations d’atteinte aux droits, de concurrence déloyale et de dénigrement de produit.
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