L’économie de la création en Indonésie : un potentiel à exploiter
Catherine Jewell, Division des publications de l’OMPI
L’Indonésie est la première puissance économique d’Asie du Sud-Est, et l’un des pays les plus diversifiés – tant sur le plan biologique que culturel. En 2015, le Président Joko Widodo a mis sur pied l’Agence indonésienne pour l’économie de la création (BEKRAF), organisme non ministériel chargé d’élaborer et coordonner des politiques destinées à exploiter l’énorme potentiel de l’économie de la création du pays. Ari Juliano Gema, vice-président en charge de la facilitation et de la réglementation en matière de droits de propriété intellectuelle à la BEKRAF, présente le travail de son organisation en faveur de la prospérité des entreprises indonésiennes de la création.
Quelle est l’envergure du secteur de la création de l’Indonésie, et quels sont ses principaux atouts?
L’économie de la création de l’Indonésie est très diversifiée, elle couvre 16 sous-secteurs différents (voir l’encadré). Ses résultats ces dernières années illustrent son fort potentiel de croissance. En 2017, le secteur a généré plus de 7% du PIB et employé quelque 15,9 millions de personnes. D’après nos prévisions, il devrait atteindre d’ici 2020 une valeur de l’ordre de 1924 milliards de roupies indonésiennes, soit environ 130 millions de dollars É.-U.
L’économie de la création de l’Indonésie renferme un énorme potentiel inexploité, mais elle est confrontée à un certain nombre de difficultés. Le secteur consiste en bonne partie en petites et moyennes entreprises qui, pour l’heure, ne commercialisent leurs produits qu’au niveau local. Peu d’entre elles savent comment tirer parti des droits de propriété intellectuelle pour créer de la valeur, et rares sont celles qui ont accès au capital financier et aux technologies nécessaires pour élargir leurs activités.
La diversité de notre culture est un avantage fondamental, tout comme l’atout démographique dont nous jouissons. À l’horizon 2030, nous aurons 180 millions de jeunes prêts à rejoindre la population active. Aujourd’hui, l’économie de la création suscite beaucoup d’enthousiasme chez les jeunes. Ils sont nombreux à fonder des start-ups et à mettre au point du contenu créatif et des événements de qualité. Nous avons par ailleurs une myriade d’interprètes, chanteurs et youtubeurs à succès.
Le tourisme joue également un rôle clé dans le développement du secteur. Par analogie au corps humain, on pourrait dire que si le tourisme est la peau, les industries de la création sont les muscles et la chair. Lorsque les touristes viennent visiter l’Indonésie, ils voient tous les produits que nous fabriquons, et veulent souvent en ramener chez eux. Dans un souci de promotion du tourisme, les pouvoirs publics ont désigné 10 destinations touristiques principales en Indonésie. La BEKRAF aide ces destinations à exploiter leur culture et le potentiel des industries locales de la création pour conserver leur attrait auprès des touristes.
L’économie de la création de l’Indonésie
L’économie de la création de l’Indonésie comprend les 16 sous-secteurs suivants :
- développement d’applications et de jeux;
- architecture;
- architecture d’intérieur;
- mode;
- conception de produit;
- conception de communications visuelles;
- film, animation et vidéo;
- photographie;
- artisanat;
- art culinaire;
- musique;
- édition;
- publicité;
- arts du spectacle;
- beaux-arts;
- télévision et radio.
Ces sous-secteurs devraient, selon toute attente, apporter des contributions significatives au PIB de l’Indonésie et stimuler les exportations et l’emploi.
Quel est le rôle de la BEKRAF?
Le rôle principal de la BEKRAF consiste à mettre en place un écosystème propice à l’amélioration de la productivité et à la prospérité des entreprises de la création. L’Agence couvre six fonctions : recherche, développement et éducation; accès aux capitaux; infrastructure, marketing, facilitation; réglementation des droits de propriété intellectuelle; relations intergouvernementales; et relations interrégionales. Nous travaillons en coordination avec d’autres organismes publics qui ont mis en place des programmes de soutien à l’économie de la création afin d’assurer l’alignement et la cohérence de nos actions. Notre objectif primordial est bien entendu de créer les conditions qui permettront à l’économie de la création de soutenir les performances économiques nationales
Quels sont les secteurs qui se démarquent au sein de l’économie de la création en Indonésie?
Les sous-secteurs de la mode, de l’art culinaire et de l’artisanat sont les plus développés et ceux qui contribuent le plus au PIB. Dans le domaine de la mode, par exemple, nous avons une longue et riche tradition du batik et de nombreux créateurs contemporains de grand talent. Nous aspirons à ce que ce sous-secteur maintienne son haut niveau de performance.
Notre diversité culturelle est notre principal atout. Elle nous donne les moyens de développer une économie de la création solide, fondée sur une utilisation efficace des droits de propriété intellectuelle
Il se passe également des choses passionnantes dans les domaines du cinéma, de la musique et des applications et jeux d’ordinateur, qui affichent une croissance solide. L’évolution de l’industrie cinématographique indonésienne est particulièrement enthousiasmante. Ainsi, en 2018, 10 films indonésiens ont enregistré plus d’un million de spectateurs dans les salles du pays. Warkop (DKI), un film produit par Falcon Pictures, a attiré quelque sept millions de spectateurs, une première nationale. Les films indonésiens rencontrent également un franc succès à l’étranger. Marlina la tueuse en 4 actes est récemment sorti aux États-Unis d’Amérique, et Sekala Niskala est devenu en 2018 le premier film indonésien à décrocher un Grand Prix au Festival international du film de Berlin. Ce film a par la suite remporté l’Asia Pacific Screen Award et le prix du long métrage international de fiction au Festival du film d’Adélaïde.
Dans la pratique, comment appuyez-vous ces sous-secteurs?
Nous œuvrons à la mise en place d’un cadre réglementaire efficace à l’appui des entreprises créatives indonésiennes. Nous les aidons également à obtenir les investissements dont elles ont besoin pour se développer et croître. Nous menons un éventail d’initiatives au sein de chaque sous-secteur. Dans le secteur du film, par exemple, nous avons organisé des séjours de perfectionnement pour jeunes cinéastes au TorinoFilmLab, en Italie. Nous envoyons également des cinéastes à des festivals internationaux du film et à d’autres événements, comme le Forum indonésien de financement de la création d’Akatara, où ils peuvent présenter leurs idées aux investisseurs. Cette année, le Forum a déjà financé cinq films sortis en salles, et plusieurs autres qui sont en cours de production. De nombreux investisseurs étrangers se montrent intéressés à coproduire ou coréaliser des films en Indonésie. Avec ses plus de 250 millions d’habitants, l’Indonésie est un marché très attrayant.
En ce qui concerne le secteur de la musique, nous organisons Indonesia Creative Incorporated (ICINC), un programme-cadre destiné à découvrir, promouvoir et commercialiser le talent créatif indonésien, en Indonésie et sur les marchés internationaux. Nous organisons par ailleurs Musikologi, un événement qui rassemble des professionnels de tous les milieux de l’industrie de la musique pour partager leurs connaissances et leur expérience avec de jeunes talents musicaux. Nos ateliers aident les jeunes musiciens à apprendre les rouages de l’industrie de la musique et à se familiariser avec les droits de propriété intellectuelle. La BEKRAF s’attache également à promouvoir l’organisme indonésien de gestion collective, auquel il revient de fixer les montants des redevances, de les percevoir et les redistribuer aux artistes.
Signalons également la Journée des développeurs organisée par la BEKRAF, qui permet aux spécialistes en logiciels, dans le cadre de cours magistraux et d’ateliers, de partager leurs connaissances avec de jeunes enthousiastes désireux d’acquérir de nouvelles compétences. L’accès à ce type de formations étant très limité en Indonésie, ces événements sont très prisés. Diverses initiatives financées par les deniers publics nous permettent également d’envoyer des start-ups prometteuses à des événements internationaux comme la Conférence SXSW ou encore la Startup World Cup aux États-Unis d’Amérique. Nous montrons ainsi à la communauté internationale que l’Indonésie a des développeurs de logiciels de grand talent.
Dans la mode, un des secteurs les plus importants et les plus développés d’Indonésie, nous jouons un rôle d’appui, notamment en étudiant les tendances et en proposant des subventions publiques aux créateurs émergents. De même, dans le domaine de l’artisanat, nous appuyons des événements tels que le salon Inacraft. Nous facilitions par ailleurs la participation des artisans à des rassemblements internationaux comme NY Now, le plus grand événement du monde en matière d’artisanat. Nos ateliers consacrés au batik permettent aux artisans d’améliorer leur statut professionnel et la qualité de leurs créations et, partant, leur compétitivité.
Si l’Indonésie n’a pas les moyens de concurrencer les grands producteurs de technologies, notre créativité et notre culture n’ont rien à envier à personne.
Quel rôle la propriété intellectuelle joue-t-elle en termes de valorisation des actifs culturels de l’Indonésie?
La propriété intellectuelle est au cœur de l’économie de la création. Sans la protection de la propriété intellectuelle, un produit devient une simple marchandise, sans aucune valeur ajoutée. C’est pourquoi la sensibilisation du secteur de la création aux avantages que peut offrir l’utilisation stratégique des actifs de propriété intellectuelle est une priorité absolue.
La réussite des producteurs du célèbre film indonésien Ada Apa Dengan Cinta est un exemple récent de ce qu’il est possible d’accomplir grâce à une utilisation stratégique des droits de propriété intellectuelle. Sorti en 2004, le film a remporté un grand succès au box-office. Flairant l’occasion de tirer parti d’une telle popularité, les producteurs ont signé des contrats de licence portant sur une série télévisée et des articles promotionnels (T-shirts et autres articles de mode). Ils ont ainsi pu lever des fonds suffisants pour financer une suite et d’autres films à succès, dont Filosofi Kopi ou Philosophie du café, nom qu’ils ont du reste donné à la chaîne de cafés qu’ils ont fondée. La BEKRAF a pour rôle de faciliter le flux de capitaux vers les entreprises de la création d’Indonésie et d’appuyer la monétisation et la commercialisation des nombreux actifs créatifs du pays en encourageant les entreprises à envisager leurs actifs de propriété intellectuelle de manière plus stratégique.
Comment vous y prenez-vous en matière de sensibilisation?
Renforcer la connaissance de la propriété intellectuelle en Indonésie est un défi de taille. Seuls 11% environ des acteurs de l’économie indonésienne de la création ont acquis des droits de propriété intellectuelle. Pour y remédier, nous organisons régulièrement des activités de sensibilisation à la propriété intellectuelle dans différentes villes du pays. Ces événements sont l’occasion pour les entreprises créatives d’en savoir plus sur la propriété intellectuelle et d’entrer en contact avec des investisseurs potentiels. Le nombre grandissant d’organes médiatiques qui couvrent les questions liées à la propriété intellectuelle témoigne de nos progrès.
Par ailleurs, la BEKRAF a récemment lancé une application mobile – BIIMA – qui fournit aux utilisateurs des informations élémentaires sur les droits de propriété intellectuelle. Il suffit d’ouvrir l’application et de sélectionner un produit parmi les nombreuses options proposées pour connaître les droits de propriété intellectuelle pertinents au regard de ce produit, la démarche à suivre pour les obtenir et les coûts correspondants. Nous nous sommes fixé pour objectif de franchir le cap du million d’utilisateurs d’ici 2022. L’application a été lancée en juillet 2016 au terme de six mois de développement, et elle compte aujourd’hui environ 1500 abonnés. BIIMA est un outil pratique permettant d’améliorer les connaissances en matière de propriété intellectuelle parmi les petites entreprises et les communautés artisanales, afin qu’elles soient mieux équipées pour protéger et exploiter leurs actifs de propriété intellectuelle.
La contrefaçon et le piratage posent-ils de gros problèmes?
Oui, comme de nombreux pays nous sommes confrontés à des difficultés dans ce domaine. La BEKRAF a mis sur pied un groupe de travail contre le piratage, et si nous ne sommes pas habilités à enquêter sur les atteintes à la propriété intellectuelle, nous offrons en revanche orientations et conseils pratiques aux entreprises dont les produits sont contrefaits ou piratés. En résumé, nous mettons les acteurs de l’économie de la création en relation avec les autorités chargées de l’application de la loi. C’est important car les autorités ne peuvent intervenir que si les créateurs signalent les atteintes à leurs actifs de propriété intellectuelle.
Le piratage en ligne est lui aussi un grave problème en ce moment parce qu’il reste de nombreuses personnes qui n’ont pas accès à des plateformes légitimes de diffusion en continu. Mais le piratage ne tient pas uniquement à la difficulté d’accéder à des produits légitimes ou aux prix excessifs, le comportement de dépendance est également un facteur important. Certains internautes achètent des copies pirates d’œuvres de création alors même qu’ils savent que c’est répréhensible. Comment y remédier? Les sanctions, même sévères, ne sont pas très efficaces. La clé pour modifier ce type de comportement, c’est l’éducation. Nous devons éduquer dès le plus jeune âge sur les effets néfastes du piratage et de la contrefaçon, et ce, de manière exhaustive et continue.
Quelle évolution entrevoyez-vous pour l’économie de la création en Indonésie?
L’économie de la création deviendra la colonne vertébrale de l’économie indonésienne. Ce secteur génère d’ores et déjà quelque 1100 milliards de roupies indonésiennes par an. Notre diversité culturelle est notre principal atout. Elle nous donne les moyens de développer une économie de la création solide, fondée sur une utilisation efficace des droits de propriété intellectuelle. Cela permettra à l’Indonésie de réaliser ses ambitions économiques et de promouvoir le progrès social et le développement culturel. Tous les Indonésiens peuvent bénéficier de la richesse générée par le développement et l’expansion de notre économie de la création.
Quel message adressez-vous aux entreprises de la création d’Indonésie?
D’ici 2030, l’Indonésie devrait devenir l’une des grandes puissances économiques du monde. Pour tirer parti de cette croissance économique, les entreprises de la création doivent prendre conscience du fait que la seule manière de récolter pleinement les fruits économiques de leurs innovations et de leur travail créatif est de les protéger au moyen de droits de propriété intellectuelle. Elles doivent améliorer leurs connaissances dans ce domaine. Il leur faut élaborer des stratégies et des systèmes permettant de valoriser leurs efforts dans le contexte commercial en rapide évolution. Mon message à leur égard est donc de continuer à innover, de veiller à protéger les fruits de leur travail par les droits de propriété intellectuelle et de profiter de cette conjoncture favorable.
Quels sont les objectifs futurs de la BEKRAF?
Nous nous attachons à faire en sorte que l’industrie de la création s’inscrive à part entière dans le tissu économique national pour permettre à l’Indonésie de s’affirmer en tant qu’acteur mondial de l’économie de la création d’ici 2030. À cette fin, la BEKRAF a organisé en 2018, à Bali, la première Conférence mondiale sur l’économie de la création, sur le thème de la “créativité inclusive”, dans le but de promouvoir l’économie de la création au profit de l’égalité des chances et de l’inclusion. Dans cette optique, la BEKRAF continuera d’axer ses efforts sur la diffusion, parmi les entreprises de la création et au-delà, des avantages d’une protection et d’une gestion avisées de leurs actifs de propriété intellectuelle. C’est essentiel pour créer des conditions propices à la réussite de ces entreprises sur les marchés internationaux.
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