BrightSign : une voix pour ceux qui n’en ont pas
Catherine Jewell, Division des publications, OMPI
Des millions de personnes dans le monde utilisent la langue des signes pour communiquer et font appel à un ami ou à un parent pour interpréter ces signes. Hadeel Ayoub, inventrice saoudienne à la tête de BrightSign, une jeune entreprise de haute technologie établie à Londres, nous explique comment lui est venue l’idée de développer BrightSign, un gant révolutionnaire fondé sur l’intelligence artificielle qui permet aux signeurs de communiquer directement sans l’aide d’un interprète.
Qu’est-ce qui vous a poussée à mettre au point cette technologie d’assistance?
J’ai entamé la mise au point de ce gant intelligent dans le cadre de mon doctorat sur la reconnaissance gestuelle et les technologies portables. Sélectionnée par mon université pour participer à un hackathon organisé par IBM et consacré à l’intelligence artificielle au service de la société, j’ai commencé à réfléchir à une application de reconnaissance gestuelle qui aurait un impact positif sur la vie des gens. Pratiquant moi-même la langue des signes, il m’a été facile d’adapter et de tester le système sur lequel je travaillais pour reconnaître les gestes et les traduire en paroles. Au début, le système était assez rudimentaire mais les commentaires reçus au lendemain de ma victoire au hackathon, qui témoignaient d’un réel besoin vis-à-vis de cette technologie, m’ont convaincue de la nécessité de la perfectionner.
Connaît-on précisément l’ampleur des besoins en la matière?
Des millions de personnes dans le monde ont la langue des signes pour langue maternelle. Les chiffres sont éloquents. Soixante-dix millions de personnes sont atteintes de surdité profonde et 230 autres millions sont malentendantes ou n’ont plus l’usage de la parole, par exemple parce qu’elles souffrent d’autisme ou ont été victimes d’un accident vasculaire cérébral. En outre, 90% des enfants sourds naissent de parents entendants et à peine 25% de ces parents connaissent la langue des signes, ce qui signifie que la communication peut se révéler extrêmement problématique.
Il ressort de notre analyse de marché qu’à peine 2% des personnes malentendantes ont accès à la technologie nécessaire pour communiquer, soit parce qu’elle est trop onéreuse, soit parce qu’elle ne peut pas être adaptée à leurs besoins spécifiques. Partant de ce constat, nous avons décidé avec le cofondateur de BrigtSign, l’entreprise que nous avons créée en 2017, de mettre au point un produit qui soit à la fois abordable et personnalisable. Notre gant s’adresse ainsi à toute personne qui a la langue des signes pour principal moyen de communication ou qui souffre de problèmes d’audition ou d’élocution. Notre objectif est de donner la parole à toutes les personnes qui ne peuvent pas s’exprimer oralement.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette technologie?
Au départ, le gant était proposé accompagné d’un répertoire de signes prédéfini. Il suffisait à son utilisateur de l’enfiler et de se mettre à signer pour que le gant traduise les gestes des mains en paroles. Cependant, après avoir travaillé en étroite collaboration avec différents utilisateurs, je me suis rendu compte que les gens avaient différentes manières de signer et faisaient appel à différents répertoires de signes. J’ai donc décidé d’intégrer un algorithme d’apprentissage automatique de façon à ce que le gant apprenne et s’enrichisse des mouvements réalisés par l’utilisateur et à ce qu’il soit possible de créer un répertoire de signes personnalisé. Le gant est muni de toute une série de capteurs permettant de mesurer, suivre et enregistrer les mouvements des mains propres à chaque utilisateur, et il est relié à une application destinée à traduire les gestes en texte ou en paroles. L’utilisateur peut également choisir la langue (p. ex. l’anglais, le français ou l’arabe) et la voix (p. ex. celle d’un homme, d’une femme ou d’un enfant) que le dispositif va utiliser. Le gant traduit les gestes en texte, qui s’affiche alors sur l’écran du bracelet, puis en paroles, par le biais d’un mini haut-parleur, lui aussi fixé sur le bracelet. Lorsque l’application est activée, le texte apparaît sur l’écran d’un appareil auquel il est connecté puis il est transformé en discours grâce aux haut-parleurs de l’appareil. Le gant se présente donc comme un dispositif de communication bidirectionnelle permettant aux personnes malentendantes ou ayant des troubles du langage de communiquer directement et en toute autonomie avec d’autres personnes, sans le truchement d’un interprète. Il s’adresse également aux personnes limitées dans leurs mouvements, par exemple des victimes d’AVC, ou aux personnes âgées atteintes de déficience auditive. Ces deux dernières années, j’ai ainsi créé toutes sortes de prototypes en ajoutant de nouvelles fonctions et caractéristiques de manière à personnaliser la technologie et à la rendre conviviale. C’est un projet en constante évolution.
Pourquoi est-il si important de pouvoir personnaliser le gant?
Tout comme la langue parlée, la langue des signes fait appel à des répertoires différents, et chaque individu a sa propre manière de signer. Or, la technologie que nous avons mise au point permet au gant de s’adapter aux capacités motrices de chaque utilisateur de manière à intégrer et traduire en paroles chacun des gestes particuliers qu’il produit. L’utilisateur a ainsi la maîtrise complète de ses répertoires de signes et de sa communication verbale, d’où l’utilité du gant pour toute personne ayant des troubles de l’audition ou de l’élocution.
En quoi votre produit se distingue-t-il sur le marché?
Notre produit se distingue par son caractère personnalisable et son coût abordable. Il sera commercialisé au prix d’environ 600 livres sterling (soit 740 dollars É.-U.). Une nouvelle version, actuellement utilisée par les écoles auxquelles nous nous sommes associés, sera proposée au prix d’environ 2000 livres sterling (soit 2465 dollars).
Combien de temps vous a demandé la mise au point de cette technologie?
Je travaille à la mise au point du gant depuis trois ans. Au fil du temps, grâce au retour d’expérience des écoles avec lesquelles nous collaborons, la technologie n’a cessé d’évoluer et a changé du tout au tout. Nous sommes à présent sur le point d’entrer en phase de production.
Quelle a été la réaction des enfants face au gant?
Au début, ils le considéraient plutôt comme un jouet mais, dès qu’ils ont pris conscience de son utilité, ils se sont empressés de le personnaliser et de chercher à communiquer directement avec leur entourage sans l’aide de leur professeur ou de leurs parents pour interpréter leurs gestes. Nous avions atteint l’objectif recherché : leur offrir plus de liberté et d’autonomie.
Quels obstacles techniques avez-vous dû surmonter?
Comme pour toutes les technologies portables, le plus grand défi a été de parvenir à réduire la taille du logiciel pour le rendre à la fois léger, sûr et facile d’utilisation. Autre contrainte s’agissant de notre gant : nous avons dû veiller à ce qu’il soit à la fois étanche et lavable, de sorte que les enfants puissent le porter et jouer librement, sans crainte de le mouiller ou de le salir. Nous avons testé différentes solutions et finalement opté pour des capteurs lavables. Avant de parvenir à ce stade ultime de développement, nous avons dû relever de nombreux défis techniques. Aujourd’hui, notre gant suscite un très grand intérêt et il est d’ores et déjà possible de le précommander sur notre site Web. Dès que nous aurons mis la dernière touche à sa conception, nous démarrerons la production et, si tout va bien, nous honorerons nos premières commandes d’ici la fin de l’année.
Quels sont vos marchés cibles?
Nous visons en priorité le Royaume-Uni, suivi des États-Unis d’Amérique. Sur d’autres marchés, par exemple au Moyen-Orient, nous concéderons notre technologie sous licence à des fournisseurs locaux. C’est la solution la plus pratique sachant que chaque pays a ses propres exigences en matière de certification des dispositifs médicaux du type BrightSign. Il nous serait tout simplement impossible de répondre aux critères spécifiques de chaque marché, raison pour laquelle nous avons décidé de nous associer à des partenaires locaux. La recherche de fournisseurs officiels en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis est elle aussi en bonne voie.
Pourquoi est-il important que des jeunes entreprises comme BrightSign prennent soin de protéger leurs actifs de propriété intellectuelle et quelle place la propriété intellectuelle occupe-t-elle dans votre entreprise?
Dès le départ, nous avons su qu’il était indispensable de protéger nos actifs de propriété intellectuelle. Les investisseurs nous ont d’ailleurs rapidement indiqué que cet aspect influerait fortement sur leur décision de nous soutenir. J’ai déposé très tôt une demande de brevet aux États-Unis d’Amérique, mais une fois la société créée, nos agents de brevets nous ont conseillé de la retirer. Nous nous positionnons désormais au niveau mondial et avons déposé une demande internationale en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, lequel englobe plus de 150 pays. C’est bien plus logique, d’autant que la technologie a énormément évolué; à présent, nous avons de nouvelles revendications à déposer et nous bénéficions de l’appui d’un investisseur. Au début cependant, nous ne pouvions tout simplement pas nous permettre d’investir massivement dans la protection de la propriété intellectuelle. Nous avons alors convenu que la meilleure façon d’aller de l’avant était de nous concentrer sur le développement d’une technologie qui serait plus intéressante en termes de performances et de coûts que les technologies du moment. Maintenant que c’est chose faite et que nous disposons d’un soutien financier, nous protégeons activement notre matériel et nos composants électroniques dans la perspective du lancement officiel de notre produit à la fin de l’année. Sachant que nous avons prévu de concéder notre technologie sous licence à des partenaires locaux, et compte tenu de la nécessité de se protéger contre des imitateurs qui pourraient chercher à exploiter notre invention sans contrepartie, il est pour nous fondamental de protéger nos actifs de propriété intellectuelle.
Le gant BrightSign a reçu de multiples récompenses. En quoi ont-elles aidé votre entreprise?
Nombre de ces récompenses émanaient de grandes entreprises associées à de prestigieux médias, ce qui nous a permis de bénéficier d’une très grande visibilité dans la presse. Nous avons par exemple remporté le AI for Social Care Award décerné par IBM en 2018, le Technology Playmaker Awards ‘18 (dans la catégorie Community Impact Award) de Booking.com, ou encore le 2018 AXA Health Tech and You Awards (dans la catégorie Women Entrepreneurs in Health Tech) organisé par AXA PPP Healthcare. Ces distinctions ont ensuite donné lieu à des reportages sur notre travail dans des médias comme The Guardian ou Forbes. Nous avons également participé à l’émission One Show de la BBC, suivie par près de six millions de téléspectateurs. Si ces prix s’accompagnaient de petites sommes d’argent, ils furent surtout pour nous l’occasion de bénéficier de publicité gratuite et de nous faire connaître auprès de millions de personnes. L’une des récompenses prévoyait également la mise à disposition gratuite d’un bureau dans un espace de travail en commun, ce qui nous a permis d’échanger des données d’expérience et de réseauter avec d’autres jeunes entreprises. Ce fut extrêmement utile et enrichissant.
De quoi êtes-vous la plus fière à ce jour?
BrightSign est l’aboutissement parfait de mes études. Et si j’ai pu apporter ma pierre à l’édifice du savoir, me dire que j’ai conçu un dispositif capable d’aider des enfants et bien d’autres personnes dans le monde entier me rend encore plus fière.
Quelle finalité donneriez-vous à votre invention?
J’aimerais que, grâce à BrightSign, toutes les personnes ayant des troubles de l’audition ou de l’élocution puissent communiquer avec leur entourage en jouissant de la même autonomie et de la même liberté que tout un chacun. J’aimerais leur éviter d’avoir à dépendre d’un tiers pour interpréter leurs gestes. En somme, j’aimerais donner la parole à toutes les personnes qui ne peuvent pas s’exprimer oralement.
Selon vous, quelle sera l’évolution des technologies portables?
Je pense que les travaux visant à rendre les technologies portables toujours plus réduites, légères, simples d’utilisation, durables et personnalisables se poursuivront et qu’elles occuperont une place de plus en plus importante dans notre quotidien. Dans le domaine médical par exemple, elles servent déjà à suivre et contrôler l’état de santé des patients et contribuent à sauver des vies.
Êtes-vous en contact avec des inventeurs d’Arabie saoudite?
Je suis effectivement en contact avec plusieurs entrepreneurs et jeunes entreprises du secteur de la technologie d’Arabie saoudite mais je vis actuellement à Londres, et c’est là que se trouve mon réseau. À l’avenir cependant, j’aimerais retourner en Arabie saoudite pour partager mon expérience et soutenir les efforts déployés pour créer un environnement favorable pour les jeunes entreprises.
Quelles seront les prochaines étapes pour BrightSign?
Rendre ma thèse sera mon objectif prioritaire! Puis je m’envolerai pour la Nouvelle-Zélande pour y signer un accord avec un fabricant de manière à pouvoir honorer nos premières commandes avant la fin de l’année.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes filles aspirant à se lancer dans la recherche technologique ou à créer une entreprise?
Foncez. Ne perdez jamais de vue votre objectif et n’écoutez jamais ceux qui vous disent que vous allez échouer. Il y aura des moments difficiles, c’est certain, mais ne vous laissez pas abattre. Relevez-vous et persévérez.
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