Une colle inspirée des balanes pour stopper les hémorragies
Karie Bate, rédactrice indépendante
Depuis 10 ans, Hyunwoo Yuk, chercheur et ingénieur au MIT travaille sur un projet visant à empêcher chaque année la mort de deux millions de personnes suite à des hémorragies causées par des blessures graves ou des interventions chirurgicales invasives. Comment fait-il? Il a pour passion de résoudre des problèmes difficiles, il est animé par une motivation personnelle, il aime cuisiner et concocter de nouvelles idées et il laisse libre cours à son imagination.
“Les ingénieurs sont des gens qui aiment résoudre les problèmes avec des outils et des connaissances scientifiques”, dit-il. “Je suis toujours motivé quand j’apprends qu’un problème important n’a pas été bien résolu et que ce problème relève d’un domaine proche de mon domaine de spécialité, d’autant plus s’il a pour moi une résonance personnelle.”
À l’âge de 22 ans, le jeune frère de Hyunwoo fait une chute de cinq étages lui causant des blessures traumatiques, notamment une grave hémorragie suite à une détérioration de l’aorte. Hyunwoo découvre par la suite que les multiples opérations subies par son frère ont pris deux fois plus de temps que prévu à cause de difficultés liées au contrôle des saignements. “Animé par une forte motivation personnelle pour résoudre le problème, j’étais d’autant plus inspiré pour rechercher de meilleures solutions”, explique-t-il.
Sa passion pour la pâtisserie maison est également à l’origine de ses créations. “J’aime surtout faire des muffins. C’est facile à faire et c’est amusant d’ajouter différents ingrédients. C’est aussi ce que j’aime dans mon métier de chercheur/ingénieur : réaliser des matériaux avec des composants relativement simples mais qui améliorent la performance de l’ensemble.”
Un concept hors du commun pour stopper les hémorragies
Au cours des sept dernières années de ses études universitaires, Hyunwoo Yuk a concocté un ensemble de technologies bioadhésives pour contrôler et stopper rapidement les saignements chez des personnes souffrant de blessures traumatiques ou subissant des interventions chirurgicales intensives.
Son invention la plus récente, développée au cours des quatre dernières années et complètement hors du commun, est une colle ou pâte blanche à l’allure de dentifrice, pouvant adhérer à des surfaces couvertes de sang. Pour cette innovation, la source d’inspiration de Hyunwoo Yuk n’est autre que la balane commune, ce minuscule crustacé qui s’accroche aux rochers.
Les balanes comme les tissus des corps humain et animal sont exposées à des environnements humides et sales. Les balanes côtoient l’eau et la saleté tout comme les tissus des corps humain et animal sont en contact avec le sang, liquide contaminé par nature. La manière dont la balane parvient à adhérer aux surfaces a donc piqué la curiosité de Hyunwoo Yuk et de son équipe de chercheurs.
Je suis toujours motivé quand j’apprends qu’un problème important n’a pas été bien résolu et relève d’un domaine proche de mon domaine de spécialité, d’autant plus s’il a pour moi une résonance personnelle.
Hyunwoo Yuk, chercheur et ingénieur au MIT
Ils ont découvert que la balane parvenait à adhérer ou à s’accrocher à des surfaces humides et sales grâce à des molécules de protéines adhésives, présentes en suspension dans une huile repoussant l’eau et les contaminants. Inspirés par ce phénomène, Hyunwoo Yuk et son équipe ont mis au point une solution adhésive qui, en agissant de la même manière, forme un joint sur le tissu animal qui saigne.
Pour tester leur colle, ils n’ont pas utilisé la protéine proprement dite utilisée par la balane, mais ils ont mélangé des microparticules adhésives à de l’huile de silicone qui éloigne le sang des tissus. “Pour que l’adhésif soit efficace, vous devez éloigner les cellules de sang contaminé du tissu”, explique Hyunwoo Yuk.
“D’un point de vue technique, cette solution surprenante et hors du commun est importante car elle offre une efficacité exceptionnelle, bien meilleure que celle des méthodes traditionnelles pour stopper les saignements”, précise-t-il.
Qu’est-ce qui distingue cette invention des autres inventions présentes sur le marché?
Dans une étude publiée dans Nature Biomedical Engineering (août 2021), Hyunwoo Yuk et son équipe ont démontré que leur colle pouvait stopper les saignements en quelques secondes. Ils ont réalisé l’expérience sur des rats souffrant de blessures hémorragiques au cœur et au foie. Les rats auxquels Hyunwoo Yuk avait administré des produits standard utilisés par les chirurgiens ont continué de saigner. En revanche, ceux qui avaient reçu la nouvelle colle à base d’huile ont cessé de saigner au bout de 10 secondes environ. Les rats et les porcs sur lesquels on a testé la nouvelle colle ont survécu.
Pour Hyunwoo Yuk, outre le gain de temps qu’elle génère, son innovation est aussi plus résistante que d’autres produits équivalents parce qu’elle crée un joint plus solide autour des tissus. Il ajoute que la colle peut avoir un effet plus rapide sur les patients qui, en raison de leur état de santé, ne peuvent pas former d’eux-mêmes des caillots de sang. Or les solutions existantes pour stopper des hémorragies dangereuses reposent sur la capacité naturelle du corps de former ces caillots. En conceptualisant leur technologie, Hyunwoo Yuk et son équipe ont voulu stopper les hémorragies sans avoir recours à la formation de caillots sanguins. “De notre point de vue, compter sur la formation naturelle de caillots ralentit et complexifie le processus et exclut certains patients”, dit Hyunwoo Yuk.
La propriété intellectuelle est essentielle pour une jeune entreprise technologique quelle que soit sa forme. C’est un élément fondamental qui lui permet d’engager un dialogue constructif avec de grandes entreprises et d’attirer les investissements dont elle a tant besoin.
Hyunwoo Yuk
Les étapes suivantes vers la commercialisation
Si la jeune entreprise n’est pas encore en mesure de signer des accords commerciaux, Hyunwoo Yuk annonce néanmoins que l’Asie et les États-Unis d’Amérique seront des marchés potentiels majeurs. En attendant, l’équipe est motivée et poursuit les tests de cette colle inspirée des balanes.
Grâce aux financements incessants d’investisseurs privés et institutionnels, les chercheurs envisagent de poursuivre les études précliniques sur de plus grands animaux (porcs) afin d’utiliser au mieux la technologie pour des indications cliniques spécifiques. Ils pourront ainsi rassembler les données nécessaires à l’exemption de dispositif expérimental (EDE) délivrée par l’Administration des aliments et des médicaments des États-Unis d’Amérique en vue de leur premier essai clinique humain et espèrent pouvoir tester leur colle sur des humains dans 18 mois. Ils vérifieront essentiellement si cette colle a la capacité de stopper les saignements pendant les interventions chirurgicales sur des organes solides (foie, rate et rein, par exemple) et pendant les opérations de chirurgie cardiovasculaire et de chirurgie endoscopique (saignement gastro-intestinal notamment). Ils envisagent aussi d’étudier les demandes des autorités militaires pour le traitement des blessures par balle et des blessures à l’impact.
Une innovation au potentiel prometteur pour les patients et les soignants
Même si elle n’en est qu’à ses débuts, l’étude examinant l’impact de la colle sur le tissu animal hémorragique donne de l’espoir aux humains qui souffrent de troubles hématologiques, cardiaques et hépatiques nécessitant un recours à la chirurgie.
Avec cette nouvelle colle, les chirurgiens passeront moins de temps à contrôler les saignements pendant les opérations. Elle peut aussi s’avérer utile dans les lieux non accessibles à la chirurgie comme les zones de combat ou les régions qui présentent des ressources limitées.
Si l’invention de M. Yuk n’est pas encore tout à fait prête, la préparation semble prometteuse. Il est certain que des millions de personnes l’attendent avec impatience.
Hyunwoo Yuk à propos de l’importance de la propriété intellectuelle
Dans quelle mesure la propriété intellectuelle est-elle importante pour votre entreprise?
La propriété intellectuelle est essentielle pour une jeune entreprise technologique quelle que soit sa forme. C’est un élément fondamental qui lui permet d’engager un dialogue constructif avec de grandes entreprises et d’attirer les investissements dont elle a tant besoin. Ce que les entreprises et les investisseurs souhaitent savoir avant tout, c’est si notre technologie est protégée par un brevet. D’après l’expérience que nous avons jusqu’à présent, il nous est difficile d’imaginer comment nous pourrions poursuivre nos activités en vue d’une commercialisation sans avoir protégé nos technologies et notre propriété intellectuelle par des brevets.
Comment protégez-vous votre propriété intellectuelle?
Nous protégeons notre propriété intellectuelle par des moyens traditionnels, c’est-à-dire en déposant des brevets dans notre pays et au niveau international. Comme il est courant aujourd’hui de traduire des technologies nées en laboratoire en technologies industrielles, nous avons redoublé d’efforts sur le plan éducatif et informatif pour faire prendre conscience de la nécessité de protéger la propriété intellectuelle autrement que par la publication d’articles universitaires. Quand on mène une carrière universitaire, il est important de protéger la nouveauté et la propriété de ses idées contre des confrères et concurrents. Il a donc été naturel et facile pour moi de comprendre combien il est important pour notre organisation commerciale de protéger notre propriété intellectuelle sous la forme d’un brevet.
Quelle expérience avez-vous de la procédure de dépôt d’une demande de brevet?
Aux États-Unis d’Amérique, il est simple et rapide de déposer une première demande provisoire. Il est facile aussi de déposer une demande de brevet auprès des bureaux chargés de la concession de licences de technologies, qui reçoivent généralement une demande PCT avec la demande nationale pour obtenir une protection internationale avec priorité. Le dépôt officiel d’une demande de brevet est en revanche beaucoup plus long et nécessite souvent d’avoir recours à un conseil en brevets ou au bureau de l’école chargé de la concession de licences de technologies, pour s’assurer que la propriété intellectuelle présente un intérêt commercial justifiant les frais de procédures juridiques.
Avez-vous une stratégie en matière de propriété intellectuelle?
Notre stratégie s’inscrira dans la stratégie de propriété intellectuelle plus vaste du MIT, qui consiste à regrouper et à intégrer des technologies communes de base pour nous protéger contre la contrefaçon. Nous ne sommes pas encore tout à fait arrivés au stade où il convient de définir une stratégie détaillée de propriété intellectuelle mais notre entreprise veillera à en faire sa priorité. J’ai appris qu’une stratégie de propriété intellectuelle, en commençant par les termes d’un accord de licence (en cas d’essaimage à partir de technologies universitaires), peut avoir un impact définitif sur l’ensemble du processus de commercialisation. Nous envisageons prudemment ce processus avec l’aide de mentors et de conseillers juridiques expérimentés.
Quels enseignements avez-vous tirés jusqu’à présent de votre expérience en matière de propriété intellectuelle?
J’ai appris qu’un brevet est beaucoup plus important qu’un document de recherche quand il s’agit de commercialiser la propriété intellectuelle. J’ai beaucoup travaillé pour préparer de solides demandes de brevet sur mes inventions récentes, et j’ai constaté que mes brevets précédents étaient en quelque sorte plus faibles car je m’attachais davantage à publier des documents universitaires qu’à préparer des brevets qui tiennent la route. J’ai appris qu’une demande de brevet n’est pas et ne doit pas être un copier-coller d’un manuscrit de recherche. Outre les aspects technologiques de l’invention, elle doit comprendre aussi des considérations commerciales, notamment un large éventail de revendications, pour éviter, entre autres, la contrefaçon basée sur des modifications mineures.
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.