Vers une réduction de la consommation d’énergie : la promesse de la nouvelle génération de puces mémoires
Catherine Jewell, Division de l’information et de la communication numérique, Yuka Okakita et Tomomi Taguchi, Bureau de l’OMPI au Japon
Les semi-conducteurs (ou “les cerveaux de l’électronique moderne”) sans lesquels les appareils numériques que nous utilisons tous les jours ne fonctionneraient pas sont à l’origine des progrès des technologies numériques depuis des décennies. L’entreprise japonaise pionnière, Semiconductor Energy Laboratory Co., Ltd. (SEL), est à la pointe dans ce domaine et continue d’innover dans la technologie des semi-conducteurs de nouvelle génération à haute performance. Le fondateur et président de la société, M. Shunpei Yamazaki, inventeur de la “mémoire flash”, figure dans le Livre Guinness des records en tant qu’inventeur le plus prolifique au monde en termes de nombre de brevets obtenus. M. Yamazaki évoque l’engagement de SEL à atteindre la neutralité carbone par l’innovation, l’importance de la propriété intellectuelle dans son modèle économique et la culture d’innovation ouverte qui encourage les travaux pionniers de SEL.
Parlez-nous de l’orientation actuelle des travaux de SEL et de la manière dont ils contribuent à la réalisation des objectifs environnementaux mondiaux.
J’ai commencé à travailler dans le domaine des semi-conducteurs en 1970, lorsque, à l’âge de 28 ans, j’ai inventé et breveté ce que l’on appelle la mémoire flash (brevet n° JP 886343). La mémoire flash est intégrée dans la plupart des appareils électroniques que nous utilisons tous les jours. En gros, elle permet de stocker des données et des informations même lorsque l’appareil est éteint. La mémoire flash est également la forme la moins coûteuse de mémoire à semi-conducteurs ou de stockage de données. Je n’aurais jamais imaginé que l’intégration à grande échelle du silicium (Si LSI) – qui permettait de rendre les puces informatiques si puissantes en termes de microtraitement et de capacité de stockage de données – serait si répandue, ni qu’elle contribuerait au réchauffement climatique en raison de sa forte consommation d’énergie.
En 2009, nous avons découvert une nouvelle structure cristalline de semi-conducteurs à oxyde (structure CAAC), qui rend plus économes en énergie les puces informatiques ou LSI. Depuis plus de 10 ans, nous menons des recherches intensives pour améliorer les performances des LSI afin de réduire la consommation d’énergie des centres de données et des superordinateurs.
Notre objectif est de rendre les semi-conducteurs plus efficaces sur le plan énergétique. Grâce à notre travail de pionnier, nous avons développé un nouveau matériau semi-conducteur avec des caractéristiques de rétention de courant élevées. Un transistor à effet de champ au Si (Si FET) présente un courant de fuite d’environ 10-12A/µm lorsqu’il est éteint; en revanche, un transistor à effet de champ en semi-conducteur d’oxyde (OS FET) présente un courant à l’état bloqué extrêmement faible de 10-24A/µm. Cela signifie que les données peuvent être conservées pendant une longue période. En tirant parti de ces caractéristiques élevées de rétention de courant et des bonnes propriétés électriques du silicium, nous avons développé une nouvelle structure composite Si/OS. En utilisant leur effet synergique combiné, nous visons à créer des dispositifs à semi-conducteurs dotés de propriétés d’économie d’énergie supérieures qui ne pourraient jamais être obtenues par la seule technologie du silicium. L’adoption et l’utilisation à grande échelle de cette nouvelle technologie contribueront grandement à la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour ceux qui ne connaissent pas les semi-conducteurs, pouvez-vous dire quelques mots sur leur rôle et leur importance dans le monde moderne?
Tous les appareils électroniques que nous utilisons tous les jours, nos smartphones, nos ordinateurs portables, nos téléviseurs, nos ordinateurs et ainsi de suite, utilisent des semi-conducteurs. Leur utilisation est devenue si répandue et si courante que les gens ont tendance à considérer leur rôle et leur importance pour acquis. Les gens ne sont généralement pas conscients qu’en utilisant ces appareils, ils consomment d’énormes quantités d’électricité, ce qui contribue au réchauffement climatique.
Comment le travail de SEL s’inscrit-il dans les ambitions du Japon et d’autres pays de numériser et de décarboniser leur économie?
Le plan d’action de la stratégie de croissance du Japon, approuvé en juin 2021 par M. Yoshihide Suga, alors Premier ministre, met en lumière l’engagement du gouvernement à promouvoir le développement et la production de technologies de pointe pour les semi-conducteurs, étant donné leur faible consommation d’énergie. La stratégie met également l’accent sur l’objectif du gouvernement : a) de rendre tous les nouveaux centres de données 30% plus efficaces sur le plan énergétique d’ici 2030; b) de convertir une partie de l’électricité utilisée par les centres de données nationaux en énergie renouvelable; et c) de rendre les industries des semi-conducteurs et de l’information et des communications de l’information neutres en carbone d’ici 2040.
Au cours de l’été 2021, nous avons eu l’occasion de présenter au Ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI) notre technologie LSI à semi-conducteurs d’oxyde cristallin (OSLSI) hyperéconomes en énergie. Le Premier ministre avait été informé du potentiel de la technologie OSLSI de SEL pour contribuer aux objectifs de la politique verte du gouvernement, et souhaitait en savoir plus à ce sujet. Nous avons été invités à préparer un document décrivant les propriétés de cette technologie. Ce document a servi de base à un exposé détaillé sur SEL et notre technologie par le directeur général adjoint du METI au Premier ministre. Le METI a ensuite repris contact avec nous.
Nous sommes convaincus que l’adoption et de l’utilisation à grande échelle de notre technologie innovante OSLSI contribueront de manière significative à la résolution du problème du réchauffement climatique.
En 2016, vous figurez à nouveau dans le Livre Guinness des records en tant qu’inventeur crédité du plus grand nombre de brevets. À cette époque, vous aviez plus de 11 350 brevets à votre nom. Qu’est-ce qui inspire votre travail et vous incite à poursuivre le développement de technologies pionnières dans ce domaine?
J’ai toujours eu de mauvais résultats à l’école, mais en deuxième année d’université, j’ai commencé à travailler avec le professeur Yogoro Kato (devenu par la suite professeur émérite à l’Institut de technologie de Tokyo), qui m’a beaucoup soutenu. J’ai travaillé avec lui pendant cinq ans. Lorsque je lui ai dit que je voulais aller à l’université de Stanford aux États-Unis d’Amérique, qui était à l’époque la Mecque des semi-conducteurs, il était furieux contre moi et m’a convaincu de poursuivre mes études au Japon sous sa direction. On ne peut pas refaire le match, donc je ne sais pas si mon choix de renoncer à aller aux États-Unis d’Amérique était bon ou non, mais cela a certainement été un tournant dans ma vie. Au départ, je n’étais pas un étudiant brillant, mais c’est grâce au professeur Kato, qui m’a pris sous son aile, que je suis là aujourd’hui. Et je poursuis mes recherches pour rester fidèle à ses enseignements. C’était un grand professeur.
Tous les appareils électroniques que nous utilisons tous les jours, nos smartphones, nos ordinateurs portables, nos téléviseurs, nos ordinateurs et ainsi de suite, utilisent des semi-conducteurs. Les gens ne sont généralement pas conscients qu’en utilisant ces appareils, ils consomment d’énormes quantités d’électricité, ce qui contribue au réchauffement climatique.
SEL continue de se concentrer sur le développement de technologies innovantes. Comment le dépôt de brevet favorise-t-il la diffusion et l’adoption de vos technologies dans le monde?
En tant qu’entreprise axée sur la R-D, les brevets sont extrêmement importants pour nous, comme le professeur Kato nous l’a appris. La propriété intellectuelle est un mécanisme formidable, mais les brevets ne génèrent pas de revenus si les produits qu’ils protègent ne sont pas commercialisables. La nature d’une entreprise axée uniquement sur la R-D est telle qu’il est essentiel de frapper le marché le plus souvent et le plus efficacement possible.
Grâce à notre portefeuille de droits de propriété intellectuelle, nous pouvons en toute confiance poursuivre toute partie qui enfreint nos droits sans sourciller. De cette manière, nous avons pu tirer parti de nos droits et accroître efficacement notre part de marché. Il est cependant important de disposer d’un droit de brevet qui puisse être utilisé correctement. C’est pour cela qu’il est indispensable de rédiger un fascicule de brevet fondé sur les résultats de la R-D et qui énonce clairement le but et l’effet du brevet. En outre, l’utilisation stratégique d’un brevet est essentielle pour que les activités de R-D se développent et pour que la valeur du brevet ainsi les revenus tirés de la concession de licences augmentent. L’utilisation stratégique des droits de brevet peut également mener à des poursuites judiciaires.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la culture d’innovation de SEL et ses principes directeurs?
Depuis la création de SEL en 1980, nous nous sommes engagés à contribuer au progrès du monde par la R-D. Notre premier partenaire était Sharp Corporation, un leader mondial des semi-conducteurs et de la technologie d’affichage à cristaux liquides (LCD) de l’époque. Ce partenariat a vu le jour grâce à une introduction par une connaissance. Cependant, lorsque nous avons commencé à faire de la recherche avec Sharp, ils ont jugé que notre niveau de R-D était trop faible. À partir de ce moment, SEL a travaillé dur pour atteindre le niveau requis par Sharp. Certaines de leurs exigences semblaient insurmontables à première vue, mais nous avons réussi à les satisfaire.
Je crois que seuls la R-D et le travail acharné nous permettront de réussir. Lorsque vos partenaires vous signalent les problèmes spécifiques à résoudre et que vos employés travaillent dur pour y parvenir, vous obtenez de meilleurs résultats. Je ne crois pas que l’innovation puisse fonctionner si vous demandez simplement à votre partenaire de vous apprendre ou de vous faciliter la tâche. Cela ne fonctionnera pas si vous n’avez pas l’énergie ni la volonté d’atteindre de nouveaux niveaux d’expertise pour répondre aux besoins de votre partenaire. Pour améliorer les niveaux de R-D, il est essentiel de trouver une entreprise qui vous permettra de vous dépasser sur le plan technique, tout en maintenant une relation d’égal à égal en tant que partenaire.
WIPO GREEN est une plateforme publique qui vise à promouvoir l’innovation mondiale dans le domaine des technologies vertes. Êtes-vous prêt à soutenir cette initiative?
La lutte contre le réchauffement climatique est le principal défi auquel l’humanité est confrontée aujourd’hui. WIPO GREEN est une initiative très importante qui vise à exploiter le potentiel de la propriété intellectuelle pour protéger l’environnement. Selon nous, l’initiative WIPO GREEN pourrait être un instrument important pour permettre l’adoption et l’utilisation rapides et généralisées des OSLSI dans le monde entier, qui sont très efficaces sur le plan énergétique. Je crois que la coopération avec des organisations internationales comme l’OMPI est essentielle pour atteindre cet objectif.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes scientifiques qui aspirent à bâtir un avenir meilleur?
Dans le passé, les entreprises japonaises étaient motivées par un engagement envers la qualité et le travail et par la conviction que l’adversité rend les gens sages. Cela n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Nous devons raviver cette conviction si nous voulons continuer à prospérer. Les ressources humaines et la propriété intellectuelle revêtent une importance particulière pour le Japon. Nous devons en faire davantage pour promouvoir une meilleure compréhension devant les tribunaux de la valeur des droits de propriété intellectuelle et des brevets en particulier. Nous devons également sensibiliser davantage le grand public à l’importance de la propriété intellectuelle. La seule façon pour le Japon de rester compétitif à l’échelle internationale est d’utiliser sa propriété intellectuelle.
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