Lakshmi Supriya, Division de l’appui à la technologie et à l’innovation, OMPI
Lorsqu’une équipe de l’Agence nationale pour l’innovation (NIA) de Sri Lanka a demandé à la section de l’OMPI chargée de l’analyse des brevets comment procéder pour valoriser les riches ressources naturelles du pays et ainsi stimuler son économie, nous avons décidé de nous plonger dans les données sur les brevets. En soi, cela n’avait rien d’inhabituel puisque nous nous penchons régulièrement sur les tendances en matière d’innovation de cette manière, mais ce que nous recherchions cette fois-ci était assez différent.
Les demandes de brevet contiennent un grand nombre d’informations sur les déposants, la date et le lieu du dépôt de la demande et l’identité des inventeurs, entre autres. L’analyse de ces informations peut donner des indications utiles, notamment sur l’état général de la technique dans un domaine technologique donné, sur la façon dont le nombre de demandes évolue au fil des ans et sur les hauts lieux de l’innovation. En découpant les données sur les brevets de différentes manières, il est également possible de trouver des domaines où l’activité en matière de brevets est plus faible : l’“espace vide”. C’est là que se trouve au moins une partie de la réponse à la question posée par l’équipe de la NIA.
“Sri Lanka est très riche en minéraux, explique Vindya Wijesinghe, responsable principale de l’innovation à la NIA, et possède le graphite le plus pur au monde. On l’appelle l’or noir. Le problème, note-t-elle, tient à ce que "nous n’avons exporté la majeure partie de ces minéraux que sous forme de matières premières”. La simple exportation du minerai n’est pas aussi rentable que sa transformation en produits utiles et leur vente. Mais quels produits? La réponse n’est pas simple. Nous avons décidé d’examiner de plus près les brevets liés au graphite, dans l’optique de recenser les domaines technologiques qui n’étaient pas encore saturés de dépôts de demandes de brevet.
Lorsqu’un grand nombre de brevets ont été délivrés dans un domaine technologique, cela signifie qu’une grande partie de l’innovation révolutionnaire a déjà été réalisée. Dans ce cas, toute innovation sera probablement cumulative, ce qui laisse peu de place à l’acquisition de la propriété intellectuelle. En outre, de nombreuses technologies fondamentales peuvent avoir été brevetées. Par conséquent, toute personne souhaitant les utiliser devra peut-être déployer beaucoup d’efforts pour obtenir les droits nécessaires afin d’éviter toute utilisation de ces inventions accidentelle ou contraire aux droits.
L’un des moyens de contourner ces difficultés consiste à mettre au jour des technologies qui ne sont pas bien protégées par des brevets.
Pour y parvenir à partir des données sur les brevets, nous avons dressé une liste, en classant les produits à base de graphite et leurs applications à la lumière de lectures, d’entretiens avec des spécialistes et de nos propres connaissances techniques. Nous avons ensuite compté le nombre de demandes de brevet dans chacune de ces catégories pour mesurer l’intensité de l’innovation. Nous avons également noté l’année de dépôt des demandes afin de mesurer ce que nous appelons la “récence”. Plus l’indice de récence est élevé, plus les brevets sont récents. La représentation graphique de l’intensité de l’innovation en fonction de la récence pour chacune des catégories nous donne une idée de la présence d’espaces vides.
Un domaine d’application présentant de nombreux brevets anciens - ou un indice d’intensité de l’innovation élevé - et un indice de récence faible indiquent un domaine technologique mature. À l’inverse, les domaines présentant un petit nombre de brevets relativement récents laissent penser qu’il existe des possibilités d’innovation. La figure 1 présente un graphique divisé en quatre quadrants, le quadrant supérieur droit indiquant les domaines d’innovation actuels et le quadrant inférieur droit les domaines émergents.
En ce qui concerne le graphite, nous avons constaté que son utilisation dans l’aérospatiale et le conditionnement pourrait constituer des domaines émergents potentiels. Les encres conductrices représentent un autre domaine d’application intéressant dans lequel moins de demandes de brevet ont été déposées récemment.
Traditionnellement, les encres conductrices - qui peuvent être utilisées pour l’impression et dans l’électronique souple, comme les téléphones portables pliables - sont constituées de très petites particules de métaux conducteurs comme l’argent et l’or dispersées dans un fluide. Le graphite est aussi un bon conducteur électrique et thermique. L’étude montre que l’utilisation du graphite dans les encres conductrices est un domaine où l’activité en matière de brevets est faible. Les encres conductrices à base de graphite représentent environ 5% du nombre de demandes de brevet déposées dans le domaine des encres conductrices au cours des 10 dernières années.Les petits instituts de recherche déposent davantage de demandes de brevet que les grandes entreprises telles que Samsung et HP, qui dominent le marché traditionnel des encres conductrices.
Il ressort de notre analyse de l’information en matière de brevets qu’il existe probablement des possibilités d’innovation dans le domaine des encres conductrices à base de graphite.
Bien qu’une telle analyse des brevets puisse fournir une bonne indication des espaces vides, il est important de garder à l’esprit que les brevets ne sont qu’un indicateur de l’innovation parmi d’autres. De nombreux autres facteurs peuvent expliquer les lacunes en matière de dépôt de brevets ou d’innovation dans un domaine technologique particulier.
Si l’on prend l’exemple des encres conductrices, il peut y avoir des raisons techniques qui expliquent le faible nombre de dépôts de demandes de brevet dans ce domaine. Il se peut que ces encres ne soient pas aussi conductrices ou résistantes que les encres conventionnelles ou que davantage de recherche scientifique fondamentale soit nécessaire pour comprendre leurs propriétés conductrices. Il se peut également que la demande du marché soit actuellement faible pour ces produits. Si l’information en matière de brevets peut apporter des informations utiles et constitue un point de départ intéressant, ces analyses ne peuvent pas brosser un tableau complet en vue de la prise de décisions d’investissement, qui doivent se fonder sur une analyse plus globale de l’ensemble des facteurs qui entrent en ligne de compte.
C’est exactement ce que font Wijesinghe et son équipe à la NIA, en se fondant sur les résultats de l’analyse des brevets pour construire et faire progresser leur démarche d’innovation. “Ces rapports sont des moteurs pour l’élaboration de la feuille de route et de la politique en matière de minéraux à Sri Lanka”, dit-elle.
Depuis 2010, à la demande des États membres, l’OMPI exploite l’information en matière de brevets pour explorer les tendances en matière d’innovation dans divers domaines technologiques et régions. Ce travail a abouti à la rédaction d’un certain nombre de cartographies des brevets et de sources d’information permettant d’effectuer ce type d’analyse. En outre, au-delà des données sur les brevets, les rapports de l’OMPI sur les tendances technologiques combinent littérature scientifique, avis d’experts et d’autres types de données pour apporter un éclairage plus précis sur certains domaines technologiques.
Ces sources d’information et rapports sont disponibles gratuitement en ligne.
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