Isha Singh, Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
Le secteur des sciences de la vie, d’une valeur totale estimée à 2,82 billions de dollars É.-U. en 2022, est un secteur innovant et dynamique, qui englobe le développement de produits médicaux vitaux tels que les thérapies, les vaccins, les diagnostics et les dispositifs médicaux.
Pour que ces technologies médicales parviennent au public, les différents acteurs du marché doivent conclure un certain nombre d’accords et de partenariats. Il s’agit notamment d’accords de licence, de collaboration en matière de recherche et développement et d’acquisitions, qui sont étayés et régis par des contrats multiples et souvent complexes.
Compte tenu de la nature des stratégies de négociation dans le secteur des sciences de la vie, les litiges sont fréquents, souvent complexes et extrêmement techniques. Ils portent généralement sur des questions réglementaires, des réclamations commerciales telles que le paiement de redevances, la responsabilité du fait des produits, le non-respect de certaines étapes contractuelles et d’actifs de propriété intellectuelle de valeur, y compris les secrets d’affaires. Ces litiges peuvent également impliquer des procédures judiciaires interdépendantes et parallèles dans plusieurs pays. Celles-ci sont de ce fait souvent onéreuses et perturbent les objectifs des entreprises, entravant la recherche-développement, les essais cliniques, la fabrication et la commercialisation de produits médicaux vitaux.
L’innovation et la transformation technologique sont au cœur de la plupart des partenariats dans le domaine des sciences de la vie, [...] ce qui rend ce secteur plus sujet aux litiges que d’autres.
D’autres procédures de règlement extrajudiciaire des litiges, comme la médiation et l’arbitrage, offrent toutefois des options pratiques, rapides et économiques pour résoudre les différends existants et favoriser la négociation de contrats au sein du secteur.
L’innovation et la transformation technologique sont au cœur de la plupart des partenariats dans le domaine des sciences de la vie. Un tel dynamisme introduit un élément de risque et d’incertitude dans ces projets, en particulier en ce qui concerne la gestion des données, la protection de la propriété intellectuelle et la responsabilité du fait des produits, ce qui rend le secteur plus sujet à des litiges que d’autres.
Les litiges les plus courants dans le domaine des sciences de la vie concernent l’échec d’une coentreprise pour un médicament expérimental, la rupture de contrat, l’utilisation non autorisée des droits de propriété intellectuelle d’un tiers et les querelles quant à savoir quelle est la partie responsable de l’invention d’un produit donné.
Les litiges peuvent concerner des questions d’ordre contractuel ou non contractuel.
Les questions d’ordre contractuel dépendent avant tout d’accords commerciaux en place entre les parties concernant, par exemple, la fabrication/la chaîne d’approvisionnement ou la distribution. Ces litiges portent généralement sur l’homologation réglementaire de technologies médicales, sur le non-respect d’engagements ou sur des conflits relatifs aux lieux où les produits sous licence doivent être distribués.
Les litiges peuvent également concerner :
Ces litiges peuvent survenir à tout moment de la relation commerciale, par exemple, durant la phase de négociation, au moment de la conclusion des contrats, ou encore durant la phase opérationnelle en raison du non-respect des obligations sous-jacentes à ces accords.
Les questions d’ordre non contractuel concernent essentiellement des plaintes pour des atteintes. Par exemple, une société pharmaceutique A utilise des secrets appartenant à une société pharmaceutique B pour créer ou commercialiser un nouveau produit médical similaire, sans l’autorisation de la société pharmaceutique B.
Dans ce contexte, un nombre croissant de parties prenantes du secteur des sciences de la vie voient la médiation et l’arbitrage comme des alternatives utiles aux procédures judiciaires pour diverses raisons. Parmi celles-ci, citons :
De nombreux tribunaux nationaux ont reconnu ces avantages. Des tribunaux de Chine, par exemple, ont renvoyé plusieurs affaires d’atteintes portées à des brevets et des marques à la médiation de l’OMPI. Plus récemment, des tribunaux français ont également encouragé les parties à tenter une médiation en parallèle d’une procédure judiciaire ou durant celle-ci.
La popularité croissante de la médiation et de l’arbitrage dans le domaine des sciences de la vie trouve son reflet dans le nombre de dossiers déposés auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (le Centre de l’OMPI). Près de 15% des affaires traitées par le Centre impliquent des parties du secteur des sciences de la vie. Une majorité de ces litiges porte sur des revendications d’ordre contractuel.
Si la plupart des acteurs des sciences de la vie préfèrent que le règlement de leur litige demeure confidentiel, certains ont rendu public leur recours à ces pratiques de règlement extrajudiciaire des litiges.
Plus de soixante-dix (70) contrats de concession de licences et de sous-licences conclus par le Medicines Patent Pool (MPP) comprennent des clauses de médiation et d’arbitrage de l’OMPI. Ces contrats incluent des acteurs des sciences de la vie de plus de 25 pays, tels que des fabricants et des sociétés pharmaceutiques de produits génériques, des organismes publics et des gouvernements de pays ayant accès à des produits sous licence, ainsi que d’autres parties prenantes de la santé mondiale.
La Fondation pour de nouveaux diagnostics innovants (FIND), alliance mondiale pour les diagnostics, applique une approche similaire. Maica Trabanco, directrice juridique de la Fondation, considère que la médiation et l’arbitrage viennent appuyer la mission de cette dernière, à savoir garantir un accès équitable à des diagnostics fiables partout dans le monde.
“En tant qu’organisation contractante, nous utilisons des accords commerciaux standard adaptés aux besoins de santé mondiale dans un cadre non lucratif”, explique-t-elle. “Nos contrats sont souvent complexes et impliquent diverses parties prenantes, telles que des entreprises, des établissements universitaires et des établissements nationaux de santé publics dans des pays développés et en développement. Dans 80% de nos contrats, les parties qui se trouvent en Europe, en Afrique et en Asie, incluent des clauses de médiation de l’OMPI, suivies de clauses d’arbitrage. Le Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI est une instance internationale neutre qui résout et gère les litiges potentiels, sans intervention des tribunaux, tout en offrant une plus grande certitude quant au lieu, au moment et à la manière dont les litiges seront résolus”, conclut-elle.
La médiation peut servir d’outil pour résoudre des litiges existants, mais peut également faciliter les négociations de contrats entre des parties intéressées par une collaboration à long terme (médiation commerciale).
Les parties peuvent, par exemple, conjointement désigner un médiateur doté d’une expertise pertinente durant la phase de négociation commerciale afin qu’il les aide à recenser les raisons qui les poussent à instituer une collaboration et à évaluer leurs intérêts commerciaux respectifs et leurs attentes dans cette entreprise. Le médiateur peut également aider les parties à déterminer l’étendue et l’utilisation des informations commerciales révélées durant les négociations ainsi qu’à conclure un contrat formel. Ce même médiateur peut aussi être désigné pour résoudre tout futur litige entre les parties, sans risquer une publicité néfaste, ce qui serait probablement inévitable dans une procédure judiciaire.
La médiation peut servir d’outil pour résoudre des litiges existants, mais peut également faciliter les négociations de contrats entre des parties intéressées par une collaboration à long terme.
Depuis 2022, le Centre offre des services de médiation commerciale sur mesure pour les litiges relatifs aux sciences de la vie. La médiation commerciale a été développée dans le cadre des Services et mesures d’appui de l’OMPI en rapport avec la COVID-19 afin d’aider les pays à gérer leur relèvement économique après la pandémie de COVID-19. Le Centre de l’OMPI a enregistré une augmentation rapide du recours à la médiation pour faciliter les négociations de contrats, ce qui permet aux parties de réduire au minimum les perturbations dans leurs relations commerciales à long terme.
Une médiation récente de l’OMPI impliquait une université européenne détenant des demandes de brevet pharmaceutique dans plusieurs pays et une société pharmaceutique. Les parties ont conclu un contrat d’option de licence que la société pharmaceutique a choisi d’exercer. Les parties ont commencé à négocier pour conclure un contrat de licence, mais n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur les modalités de la licence. Après trois années de négociations intenses, les parties ont conjointement sollicité une médiation de l’OMPI. Une seule séance avec le médiateur a permis aux parties d’identifier les questions pertinentes et les éléments présentant un intérêt commun. Cela leur a permis de parvenir à un règlement amiable.
S’exprimant après la médiation avec la permission des parties, le médiateur, en l’espèce Sally Shorhose, associée de Bird and Bird, Londres, service propriété intellectuelle et sciences de la vie, a souligné deux autres avantages considérables que la médiation peut apporter au règlement des litiges dans le domaine des sciences de la vie.
“S’agissant du choix du médiateur, vous n’êtes pas tenu de choisir dans une liste ou un type de personne particulier; il peut s’agir d’une personne expérimentée dans la concession de licences, d’un économiste rompu à la fixation des redevances, voire d’un scientifique qui comprend parfaitement la science qui sous-tend le litige ou d’une personne qui a participé à des collaborations et sait ce que devrait recouvrir la notion ‘d’efforts commercialement raisonnables’ dans un contrat.”
“Un autre atout de la médiation est qu’il s’agit d’une procédure rapide, qui peut être explorée avant de passer aux étapes suivantes de la procédure de règlement des litiges, et qui est moins onéreuse que l’arbitrage international, en particulier en ce qui concerne les coûts liés à la nomination et l’information d’un tribunal composé de trois arbitres.”
Durant la pandémie de COVID-19, la demande d’interventions médicales sûres et efficaces et de savoir-faire a considérablement augmenté. Pour y répondre, les parties prenantes du secteur des sciences de la vie redoublent d’efforts pour optimiser les écosystèmes de santé publique et les chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques grâce à un large éventail de nouvelles collaborations et de nouveaux partenariats. Face aux enjeux sanitaires mondiaux et aux risques opérationnels et financiers associés au secteur, le besoin d’outils de règlement des litiges efficients n’a jamais été aussi fort.
L’intégration de clauses de règlement des litiges soigneusement rédigées et adaptées dans une transaction relevant du domaine des sciences de la vie peut favoriser une gestion efficace des litiges en la matière.
Dans ce contexte, l’intégration de clauses de règlement des litiges soigneusement rédigées et adaptées dans une transaction relevant des sciences de la vie peut favoriser une gestion efficace des litiges dans ce domaine. En l’absence d’accord préalable ou de clause de règlement des litiges dans des contrats existants, les parties qui connaissent des litiges relevant du domaine des sciences de la vie peuvent également conclure des conventions ad hoc en vue de soumettre ces litiges à un règlement extrajudiciaire lorsqu’ils surviennent. Elles peuvent ainsi réduire le temps, les coûts et les ressources associés à la gestion de multiples procédures judiciaires.
Le Centre de l’OMPI peut aider les parties à négocier des accords portant sur les sciences de la vie en s’appuyant sur sa liste de ses intermédiaires neutres, spécialisés dans les sciences de la vie et originaires de plus de 90 ressorts juridiques. De plus amples informations sur les services du Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI sont disponibles en ligne et toute question peut être envoyée à l’adresse suivante : arbiter.mail@wipo.int.
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