Catherine Jewell, ancienne administratrice principale à l’information auprès de l’OMPI
GIC Space utilise une technologie médicale exclusive pour combler le fossé en matière de soins de santé dans les communautés pauvres de son pays d’origine, le Cameroun. Dans le cadre du Réseau des innovateurs africains de l’Organisation mondiale de la Santé, son projet phare, Gic Med, propose des dépistages abordables et accessibles du cancer du sein et du col de l’utérus aux femmes des communautés rurales. Son directeur et fondateur, Conrad Tankou, parle au Magazine de l’OMPI du modèle suivi par GIC Med, de l’importance de la formation des infirmières et infirmiers et de la manière dont la propriété intellectuelle a aidé son entreprise à améliorer les soins de santé pour les femmes.
GIC Space a été fondée en 2019, environ trois ans après que l’idée en a été lancée. Le nom complet de GIC Space est Global Innovation and Creativity Space. Notre objectif est de réunir des personnes d’origines, de compétences et d’expériences diverses, qui partagent le même engagement en faveur de l’innovation, afin de répondre à des enjeux sociaux. Nous comptons huit employés à temps plein et cinq employés à temps partiel.
Nous proposons le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus aux femmes africaines dans le cadre de notre projet phare, GIC Med. Ce projet s’inspire de mon travail dans un hôpital communautaire d’une région rurale du Cameroun. Après avoir diagnostiqué un cancer du col de l’utérus avancé chez une femme et l’avoir orientée vers un spécialiste, j’ai compris que trop peu de femmes en milieu rural se faisaient dépister et que je devais faire quelque chose pour y remédier.
J’ai commencé par organiser des campagnes de dépistage du cancer du col de l’utérus en partenariat avec d’autres médecins. Mais c’était difficile et insuffisant. J’ai toujours aimé la technologie et j’ai donc réuni quelques amis pour créer une application mobile, afin de simplifier les démarches et de faciliter la procédure. Nous avons alors compris que le cancer du sein était plus fréquent que le cancer du col de l’utérus au Cameroun et nous avons commencé à chercher et à mettre au point des solutions ciblant les deux pathologies, afin d’en optimiser l’impact.
Nous avons dépisté plus de 15000 femmes. Nous recevons jusqu’à 250 femmes par mois.
Nous avons finalement mis au point cinq nouvelles technologies : un microscope numérique, un spéculum intelligent, un adaptateur pour aiguille fine de biopsie, une plateforme de télémédecine et une plateforme d’apprentissage en ligne conviviale pour former les infirmières et les infirmiers à l’aide de simulations 3D. Ces innovations permettent un dépistage et un diagnostic rapides du cancer du col de l’utérus et du cancer du sein chez les patientes vivant dans des zones reculées. Elles sont fiables et faciles à utiliser pour les agents de santé communautaires, sont rentables et sont disponibles localement.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande une inspection à l’œil nu pour le dépistage du cancer du col de l’utérus dans les pays en développement. S’il existe d’autres modes de dépistage, notamment le diagnostic pathologique, le frottis de Papanicolaou et le test ADN du VPH, l’inspection à l’œil nu est recommandée dans les zones rurales car elle est peu coûteuse et nécessite peu de moyens.
Nous avons constaté que la meilleure façon de mettre en œuvre notre modèle était de travailler au sein du système de santé existant. Nous avons compris que si nous souhaitions atteindre toutes les femmes, où qu’elles se trouvent, nous devions travailler avec les centres de soins de chaque village. Notre succès dépendait également de l’amélioration des compétences des infirmières et infirmiers de ces cliniques. C’est pourquoi nous avons mis au point notre simulation 3D et notre plateforme d’apprentissage en ligne interactive et sous forme de jeux, qui leur offrent des possibilités d’apprentissage simples et adaptées à leur situation.
En nous associant à des centres de santé établis dans les zones rurales, nous renforçons également les niveaux d’acceptabilité socioculturelle de notre technologie dans ces communautés. Cette approche renforce aussi la confiance des patientes, qui sont traitées dans un environnement familier et par des personnes qu’elles connaissent.
À ce jour, nos technologies, en particulier notre spéculum intelligent, sont très bien acceptées. Le spéculum conventionnel peut être inconfortable et douloureux, et décourage souvent les femmes de se faire dépister. Notre spéculum intelligent résout ce problème. Il fait office de spéculum et de colposcope et produit une image agrandie du col de l’utérus sur écran. Nous avons adapté la technologie pour permettre l’affichage de l’image sur un smartphone, ce qui a suscité l’intérêt de nombreuses femmes en milieu rural. Curieusement, elles souhaitaient obtenir une image de leur col de l’utérus, mais après examen. De toute évidence, cette démarche a renforcé leur sentiment d’autonomie. Nous avons également beaucoup travaillé pour simplifier la technologie afin que notre spéculum puisse être utilisé par des agents de santé peu qualifiés et au bénéficie d’une formation minimale. De ce fait, la communauté des soignants s’est également fortement emparée du projet.
Un dépistage précoce et un traitement adéquat peuvent prévenir le cancer du col de l’utérus. Nous utilisons un dispositif portatif d’ablation thermique fonctionnant sur batterie pour le traitement. Nous collaborons avec les fabricants et espérons conclure un accord de partenariat avec eux. À ce jour, nous avons dépisté plus de 15000 femmes dans le cadre de campagnes de santé et de dépistage. Nous recevons jusqu’à 250 femmes par mois, en partenariat avec les établissements de santé locaux. En outre, nous organisons des campagnes de santé pour dépister les femmes dans certains lieux ou villages. Chaque campagne dure entre trois jours et une semaine, et attire entre 150 et 250 femmes par jour.
Le taux de prévalence se situe entre 3% et 5%. À mesure du développement de notre activité, nous pourrons recueillir davantage de données crédibles sur le cancer dans les pays en développement, ce qui contribuera à l’élaboration de meilleures politiques de soins.
Nous n’avons heureusement pas divulgué notre travail. Nous avons compris que notre technologie était unique et devait être protégée, mais nous ne savions pas comment nous y prendre.
Trouver le bon modèle d’entreprise a été difficile, en particulier du fait que nous ciblons des femmes vulnérables à faibles revenus vivant en milieu rural. Pour répondre à cet enjeu, nous collaborons avec des centres de soins où nous formons les infirmières et infirmiers et où nous proposons gratuitement les technologies et fournitures nécessaires. En retour, nous demandons à ces centres de mobiliser les femmes des communautés qu’ils desservent pour leur offrir des dépistages à moindre coût. Cette subvention ne s’applique néanmoins pas dans les villes où la plupart des femmes ont les moyens de payer ou disposent d’une assurance maladie qui couvre ces services. C’est ainsi que nous finançons les subventions accordées aux femmes en milieu rural.
Lorsque nous avons commencé à travailler sur l’innovation, nous ne connaissions pas la propriété intellectuelle. Heureusement, nous n’avons pas divulgué notre travail. Nous avons compris que notre technologie était unique et devait être protégée, mais nous ne savions pas comment nous y prendre. Nous avions entendu parler de start-up qui avaient échoué parce que leurs idées avaient été copiées par des organisations plus importantes. Heureusement, j’avais un ami avocat en propriété intellectuelle. Grâce à lui, j’ai beaucoup appris sur la propriété intellectuelle, les brevets et le Traité de coopération en matière de brevets, qui facilite la protection des inventions dans plusieurs pays. Avec son aide, nous avons commencé à déposer des demandes de brevet et nous sommes rapidement intéressés à la mise au point d’autres solutions innovantes à protéger. Nous avons rapidement pris conscience de la valeur de la propriété intellectuelle pour asseoir notre crédibilité sur le marché.
Nous devons changer l’idée selon laquelle les produits importés sont supérieurs aux produits locaux. La protection de la propriété intellectuelle peut favoriser la confiance dans les solutions locales.
Nous détenons aujourd’hui quatre brevets et d’autres devraient suivre.
Au sein des pépinières classiques, les inventeurs proposent des idées et sont ensuite encadrés pour le développement et la commercialisation de leurs inventions. Chez GIC Space, en revanche, nous offrons aux inventeurs un espace de collaboration et de création conjointe de solutions. Nous favorisons l’innovation à travers la collaboration et l’échange. Grâce à cette approche, nous nous positionnons comme des entrepreneurs sociaux et mettons en commun des compétences et des talents divers pour créer des solutions susceptibles d’être financées, ce qui nous rend également plus efficaces.
Nous innovons pour résoudre des problèmes. Le monde en développement nous offre de très nombreuses possibilités de proposer des solutions innovantes. En revanche, il peut être très difficile d’accéder aux ressources et de constituer les équipes qualifiées dont nous avons besoin pour faire avancer nos idées. Le principal obstacle est le manque général d’acceptation des solutions locales, même lorsqu’elles sont spécialement adaptées aux conditions locales. Nous devons changer l’idée selon laquelle les produits importés sont supérieurs aux produits locaux. Dans ce contexte, la protection de la propriété intellectuelle peut contribuer à renforcer la confiance à l’égard des solutions locales, en particulier lorsqu’elles sont protégées à l’échelle internationale.
Si vous diffusez votre invention sans la protéger au préalable, n’importe qui peut l’exploiter.
Les jeunes inventeurs et entrepreneurs doivent passer à l’action et envisager tous les angles d’attaque. Ne vous arrêtez jamais avant d’avoir atteint les limites de ce qui vous semble possible. Et valorisez vos créations en les protégeant. Lorsque vous protégez votre invention, vous pouvez trouver les bons partenaires pour la faire passer à l’étape suivante. Vous avez de la crédibilité et, à partir de là, vous pouvez créer les bons réseaux pour véritablement prendre de l’ampleur.
Aujourd’hui, les jeunes ont tendance à se laisser prendre par leur désir de devenir un héros des médias sociaux et s’empressent de divulguer ce qu’ils font. Mais si vous rendez votre invention publique sans la protéger au préalable, n’importe qui peut l’exploiter. En se précipitant sur le marché, les jeunes se privent également de la possibilité de vérifier et d’améliorer leurs inventions, ce qui fait partie intégrante du processus d’innovation.
Former les jeunes à la propriété intellectuelle les aidera à faire les bons choix à l’avenir.
La propriété intellectuelle est importante pour nous car nous souhaitons développer notre technologie et l’amener dans tous les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont besoin. Nous voulons tirer parti de nos solutions pour avoir plus d’impact et la propriété intellectuelle nous aide à le faire. Posséder notre propriété intellectuelle nous permet de mieux contrôler notre orientation stratégique, la manière dont nous évoluons et les partenaires avec lesquels nous nous associons.
Mais le système de la propriété intellectuelle doit être plus accessible. C’est essentiel pour permettre aux jeunes de s’informer sur la propriété intellectuelle et de comprendre comment elle peut les aider à réaliser leurs ambitions. Il est également important que les offices de propriété intellectuelle facilitent la protection des innovations des jeunes innovateurs. La situation s’améliore, mais il reste encore beaucoup à faire pour rendre le système plus accessible.
Les choses sont difficiles lorsque vous démarrez et que vous avez besoin de 1 000 dollars É.-U. pour construire votre premier prototype et de 1 000 dollars É.-U. supplémentaires pour déposer votre demande de brevet. Sensibiliser les jeunes inventeurs et entrepreneurs à la propriété intellectuelle et leur transmettre les informations dont ils ont besoin pour s’orienter dans le système de la propriété intellectuelle, tout en facilitant la protection de leurs inventions, les aidera à prendre les bonnes décisions.
L’OMPI a un rôle clé à jouer et fait déjà beaucoup pour inspirer les jeunes innovateurs. L’engagement de l’OMPI auprès des jeunes offre à l’Organisation de précieuses possibilités d’étendre son influence, en particulier dans les régions où la connaissance de la propriété intellectuelle est faible. L’enjeu est de rendre la propriété intellectuelle attrayante pour les jeunes. Cela nécessite une contribution créative, afin qu’ils comprennent réellement ce qu’ils peuvent retirer de la propriété intellectuelle et comment l’utilisation du système de la propriété intellectuelle peut les aider à atteindre leurs objectifs.
Ce sera notre prochaine étape. Une fois que nous aurons développé nos solutions et que nous disposerons de suffisamment de données, nous pourrons créer un système de diagnostic par intelligence artificielle pour optimiser nos solutions et aider les pathologistes à gérer leur lourde charge de travail en améliorant les flux.
Notre priorité est d’étendre nos innovations au moyen de partenariats, afin d’accroître notre impact social en réduisant les taux de cancer du sein et du col de l’utérus dans les communautés rurales. Nous souhaitons également utiliser les données recueillies dans le cadre de ce processus pour influencer les politiques et promouvoir l’accès universel à des soins de santé de qualité. Nous prévoyons également d’utiliser notre technologie pour cibler d’autres maladies, comme le cancer de la prostate.
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.