Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Boursorama S.A. contre Contact Privacy Inc. Customer 1248801814 / Saval
Litige No. D2020-3259
1. Les parties
Le Requérant est Boursorama S.A., France, représenté par Nameshield, France.
Le Défendeur est Contact Privacy Inc. Customer 1248801814, Canada / Saval, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <boursorama-clients.net> est enregistré auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée en anglais par Boursorama S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 3 décembre 2020. En date du 3 décembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 3 décembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 7 décembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est le français. Le 7 décembre 2020, la plainte ayant été déposée en anglais, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en français, ou une demande afin que l’anglais soit la langue de la procédure. Le Requérant a déposé une plainte amendée traduite en français le 8 décembre 2020.
La langue de la procédure est donc le français conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 14 décembre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 3 janvier 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 janvier 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 20 janvier 2021, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est la société BOURSORAMA, spécialisée dans le courtage en ligne, l’information financière et la banque en ligne. Il est titulaire de plusieurs marques BOURSORAMA dont une marque française enregistrée le 13 mars 1998 et une marque de l’Union européenne enregistrée le 13 juillet 2000. Il est également titulaire de divers noms de domaine reprenant la marque BOURSORAMA.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <boursorama-clients.net> le 1er décembre 2020. Le nom de domaine litigieux pointait vers un site copiant la page de connexion mise à disposition des clients du Requérant. Au moment de la décision, le nom de domaine litigieux est inactif.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant rappelle que, pour les Commissions administratives de l’OMPI, le fait qu’une marque soit reprise dans son intégralité “peut être suffisant pour établir une forte similarité”. Il ajoute que l’ajout du terme “clients” n’est pas suffisant pour échapper à la conclusion que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec la marque en cause. Il fait valoir qu’au contraire, l’ajout de ce terme fait clairement référence à l’espace client officiel du Requérant. Il conclut donc que le nom de domaine litigieux est semblable à la marque BOURSORAMA du Requérant au point de prêter à confusion.
Rappelant que le Requérant n’a qu’à rapporter la preuve prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ou intérêts légitimes à faire valoir, le Requérant fait observer que le Défendeur n’est pas identifié dans le WhoIs sous la dénomination BOURSORAMA. Il ajoute que le Défendeur n’est pas affilié à sa société et n’a reçu aucune autorisation de sa part. Enfin, il observe qu’“au jour du dépôt de la plainte, le nom de domaine litigieux pointait vers un site copiant la page de connexion mise à disposition des clients du Requérant”, pratique pouvant être considérée comme de l’hameçonnage (ou phishing), ce qui, dit-il, démontre que le Défendeur a utilisé délibérément le nom de domaine litigieux pour créer un risque de confusion. Il déduit de ce qui précède que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Le Requérant soutient enfin que sa marque jouit d’une notoriété importante et en France et à l’étranger, comme cela a déjà été jugé. Il fait observer que le terme BOURSORAMA n’a pas de sens en lui-même et redit que “le nom de domaine litigieux dirigeait vers un site copiant la page de connexion mise à disposition des clients du Requérant, en utilisant la marque du Requérant ainsi que son code couleur”. En conséquence, pour le Requérant, “le Défendeur, domicilié en France, ne pouvait ignorer sa marque au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux”. Le Requérant ajoute encore que, le nom de domaine litigieux pointant vers un site copiant son propre site, “le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux afin d’obtenir frauduleusement les données de connexion des clients du Requérant, en les redirigeant vers son propre site Internet et en se faisant passer pour le Requérant, ce qui constitue une technique d’hameçonnage”, évidemment condamnable. Il conclut de ce qui précède que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
6. Discussion et conclusions
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Comme il a été indiqué plus haut, le Requérant est titulaire de plusieurs marques BOURSORAMA.
Le nom de domaine litigieux <boursorama-clients.net> reprend donc dans son entièreté les marques BOURSORAMA du Requérant, ce qui a toujours été considéré par les commissions administratives de l’OMPI comme la manifestation d’une pratique de cybersquatting.
L’adjonction du mot “clients”, suggère l’offre d’un service spécial à destination des clients. L’observation est d’autant plus justifiée que le Requérant propose à ses clients un espace client à l’adresse : “www.clients.boursorama.com”.
En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est semblable aux marques du Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
B. Droits ou intérêts légitimes
Rien ne permet de rattacher le Défendeur à la dénomination BOURSORAMA qui n’est connue qu’à travers les marques du Requérant et l’on peut effectivement considérer, dans la ligne de l’argumentation du Requérant, que le fait que le Défendeur ne soit pas identifié dans le WhoIs sous la dénomination BOURSORAMA constitue un fort indice de ce qu’il n’est pas connu sous ce nom. Par ailleurs, quand le Requérant affirme que le Défendeur ne lui est pas affilié et qu’il n’a reçu aucune autorisation de sa part, à défaut de démonstration contraire par le Défendeur, ses affirmations doivent être retenues comme exactes comme cela a déjà été jugé (ainsi Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; ou Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, Litige OMPI No. D2016-2248). Enfin, le fait que le nom de domaine litigieux pointe vers un site qui copie celui que le Requérant offre à ses clients, est la démonstration que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes à faire valoir.
La Commission administrative observe en outre que, si le Défendeur avait effectivement de tels droits ou intérêts légitimes, il aurait été bien simple pour lui de ne pas faire défaut et de produire ses arguments.
Aussi la Commission administrative estime-t-elle que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Les marques BOURSORAMA sont des marques bien connues, comme cela a d’ailleurs été jugé ainsi que le relève le Requérant (cf. Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, Litige OMPI No. D2016-2248, précité). Ainsi est-il hors de doute que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en toute connaissance de cause et en méconnaissance des droits du Requérant. L’observation vaut d’autant plus que le terme BOURSORAMA est un terme distinctif créé de toutes pièces par le Requérant, qui n’a pas de sens en lui-même.
On doit, qui plus est, suivre le Requérant quand il fait observer que l’adjonction du mot “clients” évoque l’espace client officiel du Requérant, sans quoi on ne verrait pas quelle signification elle pourrait avoir.
Par ailleurs, le fait que le nom de domaine litigieux pointe vers un site copiant la page de connexion mise à disposition des clients du Requérant, utilisant même la marque du Requérant ainsi que son code couleur, constitue manifestement une pratique illicite, caractérisant un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
Ainsi la Commission administrative estime caractérisés l’enregistrement comme l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <boursorama-clients.net> soit transféré au Requérant.
Michel Vivant
Expert Unique
Le 28 janvier 2021