Le Requérant est Sereniteo Investissement, France, représenté par Cabinet D.A., France.
Le Défendeur est Domain Admin, Whois Privacy Corp., Bahamas.
Le nom de domaine litigieux ><centraledescpi.com> est enregistré auprès de Internet Domain Service BS Corp (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Sereniteo Investissement auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 août 2021. À la même date, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 août 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux est l'anglais. Le 23 août 2021, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique en anglais et en français au Requérant concernant la langue de la procédure. À la même date, le Requérant a confirmé sa demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, une notification de la plainte en anglais et en français valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 30 août 2021. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 septembre 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 20 septembre 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 23 septembre 2021, le Centre nommait Matthew Kennedy comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est une société française immatriculée en 2010. Il est titulaire de la marque verbale française LA CENTRALE DES SCPI n° 3879271 déposée le 5 décembre 2011 et enregistrée avec modification le 15 juin 2012 pour identifier des services dans la classe 36 dont notamment la commercialisation de parts de sociétés civiles de placement immobilier (“SCPI”). L’enregistrement de cette marque est en vigueur. Le Requérant a aussi enregistré le nom de domaine <lacentraledesscpi.fr> le 6 décembre 2011 qui redirige actuellement les Internautes vers le nom de domaine <centraledesscpi.com>. Le Requérant a enregistré le nom de domaine <centraledesscpi.com> le 16 décembre 2011 qu’il utilise avec un site intitulé “La centrale des SCPI” sur lequel il propose des services de conseil en placement financier et immobilier, de commercialisation de parts de SCPI et d’aide à la sélection de SCPI.
L’identité du Défendeur est masquée par le biais d’un service de préservation de la confidentialité.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 28 juillet 2021. Il conduisait autrefois les Internautes vers un site intitulé “Centrale de SCPI” (écrit avec le mot “de” et non “des”) qui était présenté comme un site de contenus informatifs et pédagogiques sur la Pierre Papier (c’est-à-dire les parts de SCPI) et les SCPI. Le site offrait un formulaire qui permettait aux Internautes d’entrer en contact avec son “équipe de rédaction”. A la date de la présente Décision, le nom de domaine litigieux ne conduit à aucun site actif, le Défendeur en faisant un usage passif.
Le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à la marque verbale LA CENTRALE DES SCPI du Requérant.
Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Le site associé au nom de domaine litigieux propose les mêmes services que le site du Requérant et s’adresse à la même clientèle. Le seul acteur dans le domaine économique de l’investissement financier connu sous la dénomination LA CENTRALE DES SCPI et plus généralement par l’usage du terme “centrale” est le Requérant. Le Défendeur n’a jamais exercé sous ce nom ou sous un nom similaire.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est exploité dans le but de détourner la clientèle du titulaire légitime de la marque LA CENTRALE DES SCPI et de son nom de domaine. Le Défendeur joue sur la confusion avec le Requérant en n’affichant aucune mention permettant de l’identifier clairement et donc, d’amoindrir ce risque de confusion. Cette confusion entretenue par le titulaire du nom de domaine litigieux est une preuve de mauvaise foi. L’exploitation du site associé au nom de domaine litigieux constitue une manœuvre frauduleuse tendant à l’escroquerie ou à l’abus de confiance dans la mesure où (i) les Internautes sont trompés en croyant que ce site est exploité par un professionnel appartenant à une profession réglementée alors que ce n’est pas le cas; (ii) les Internautes sont trompés en ce qu’ils pensent se trouver sur un site appartenant au Requérant bénéficiant d’une notoriété certaine dans le milieu de l’investissement; et (iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré de façon anonyme.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire entre les parties, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative. En l’espèce, l’Unité d’enregistrement a informé le Centre que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.
Le Requérant demande que la procédure se déroule en français. A l’appui de sa demande, le Requérant soutient que le site Internet sous le nom de domaine litigieux est rédigé en français et s’adresse à un public exclusivement français.
Les paragraphes 10(b) et (c) des Règles d’application disposent que la Commission administrative doit veiller à ce que les parties soient traitées de façon égale, à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments, et à ce que la procédure soit conduite avec célérité. Selon une jurisprudence constante, le choix de la langue de la procédure ne doit pas créer une charge excessive pour les Parties. Voir, par exemple, Solvay S.A. c. Hyun-Jun Shin, Litige OMPI No. D2006-0593; Whirlpool Corporation, Whirlpool Properties, Inc. c. Hui’erpu (HK) electrical appliance co. ltd., Litige OMPI No. D2008-0293.
La Commission administrative remarque que la plainte a été déposée en français. Etant donné que le nom de domaine litigieux dirige les Internautes vers un site Web rédigé en langue française et qui s’adresse aux épargnants et investisseurs français concernant un véhicule juridique français, il y a tout lieu de penser que le Défendeur comprend cette même langue. La Commission prend note également que le Centre a envoyé un courrier électronique concernant la langue de la procédure en anglais et en français et une notification de la plainte aussi en anglais et en français mais le Défendeur n’a pas réagi sur la question de la langue de la procédure et n’a pas déposé de réponse. La Commission administrative estime qu’exiger la traduction de la plainte en anglais créerait une charge excessive pour le Requérant et un délai injustifié dans la procédure.
Compte tenu de ces circonstances, selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application la Commission administrative décide que la langue de cette procédure est le français.
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir :
i) si le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation du nom de domaine litigieux; et
iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
En outre, il revient au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions précédemment énoncées sont cumulativement réunies.
Au vu des éléments de preuve présentés, il est établi que le Requérant est titulaire de la marque verbale LA CENTRALE DES SCPI.
Le nom de domaine litigieux reprend presque intégralement la marque LA CENTRALE DES SCPI. La suppression du déterminant “la” et la substitution de “des” (dans la marque) par “de” (dans le nom de domaine litigieux) sont insuffisantes pour écarter tout risque de confusion. Ces modifications sont constitutives du typosquattage qui se fonde sur l’enregistrement de noms de domaine qui contiennent des erreurs, comme des fautes d’orthographe, faites par les Internautes quand ils saisissent l’adresse d’un site dans un navigateur Internet. Voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes directeurs, troisième édition(“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”), section 1.9.
La Commission administrative estime que l’ajout de l’extension générique de premier niveau “.com” au nom de domaine litigieux ne constitue pas un élément de nature à éviter une similitude pouvant prêter à confusion aux fins des Principes directeurs. Voir la Synthèse de l’OMPI, version 3.0, section 1.11.
Pour ces raisons, la Commission administrative retient que le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits. Par conséquent, la Commission administrative considère que la première condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs dispose que la preuve des droits du défendeur sur le nom de domaine litigieux ou de son intérêt légitime qui s’y attache aux fins du paragraphe 4(a)(ii) peut être constituée, en particulier, par l’une des circonstances ci-après :
“i) avant d’avoir eu connaissance du litige, [le défendeur a] utilisé le nom de domaine litigieux ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
ii) [le défendeur est] connu sous le nom de domaine litigieux, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou
iii) [le défendeur fait] un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine litigieux sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”
La Commission administrative rappelle que le nom de domaine litigieux reprend presque intégralement la marque LA CENTRALE DES SCPI du Requérant. Malgré le fait que le sigle “SCPI” est un acronyme descriptif de la matière des informations proposées sur le site du Défendeur, la phrase entière “Centrale de SCPI” dans le nom de domaine litigieux n’est pas descriptive de ces services et rien dans le dossier n’indique qu’elle soit habituelle dans le domaine de l’investissement. La Commission administrative observe que le nom de domaine litigieux est presque identique au nom de domaine <centraledesscpi.com>, qui conduit les Internautes au site du Requérant (omettant seulement la lettre finale de “des“). Le Défendeur utilisait le nom de domaine litigieux en relation avec un site qui offrait des informations financières concernant les SCPI, ce qui est le même secteur spécialisé dans lequel le Requérant mène ses activités de conseil. La Commission administrative remarque que l’enregistrement et l’exploitation du nom de domaine litigieux n’avaient d’autre objectif que de profiter des éventuelles fautes de frappe des Internautes qui cherchaient le site du Requérant pour les attirer sur le site du Défendeur. Quoique le Défendeur le présentait comme un site de contenus informatifs et pédagogiques, il s’agissait d’informations financières destinées à générer des revenus pour des investisseurs et pour des SCPI. En plus, le site offrait un formulaire qui permettait aux Internautes d’entrer en contact avec sa soi-disant “équipe de rédaction”. Selon toute vraisemblance, ces prises de contact auraient constitué des occasions à proposer aux investisseurs des services pour générer des revenus pour le Défendeur. A la date de cette Décision, le Défendeur ne fait qu’un usage passif du nom de domaine litigieux. Au vu de ces circonstances, la Commission administrative n’a pas raison de constater que le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ni qu’il en fait un usage noncommercial légitime ou un usage loyal.
L’Unité d’enregistrement n’a pas divulgué le nom du Défendeur. Rien dans le dossier n’indique que le Défendeur soit connu sous le nom de domaine litigieux.
En résumé, la Commission administrative considère que le Requérant a établi une preuve prima facie que le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur n’a pas réfuté cette preuve prima facie parce qu’il n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Par conséquent, la Commission administrative considère que la deuxième condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est remplie.
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs dispose que la preuve de ce qu’un nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée aux fins du paragraphe 4(a)(iii), en particulier, dans certains cas de figure, dont le quatrième est le suivant :
“(iv) en utilisant ce nom de domaine, [le défendeur a] sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne [lui] appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de [son] site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”
L’Unité d’enregistrement a confirmé que le Défendeur a acquis le nom de domaine litigieux le 28 juillet 2021, ce qui est bien postérieur au dépôt et à l’enregistrement de la marque LA CENTRALE DES SCPI du Requérant. Le nom de domaine litigieux reprend presque intégralement la marque du Requérant, qui n’est pas une phrase descriptive, quoique le sigle “SCPI” décrit la matière de ses services de conseil. D’ailleurs, le nom de domaine litigieux est presque identique au nom de domaine <centraledesscpi.com>, qui conduit les Internautes au site du Requérant (omettant seulement la lettre finale de “des“). Ces circonstances constituent une situation de typosquattage. Dans le cas où un internaute qui cherchait le nom de domaine associé au site du Requérant saisissait accidentellement le nom de domaine litigieux, il aurait été conduit vers le site du Défendeur. Il est généralement admis que la pratique du typosquattage constitue en elle-même un indice d’enregistrement de mauvaise foi. Voir, par exemple, AltaVista Company c. Saeid Yomtobian, Litige OMPI No. D2000-0937; Vente-privee.com, Vente-privee.com IP S.à.r.l. c. Contact Privacy Inc. Customer 0145729438 / Milen Radumilo, Litige OMPI No. D2017-1918. En plus, les services proposés sur les deux sites relèvent du même secteur spécialisé dans le même pays; il y a donc tout lieu de croire que le Défendeur était conscient du Requérant et de sa marque lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Le nom de domaine litigieux conduisait autrefois les Internautes vers un site intitulé “Centrale de SCPI”, qui proposait des informations sur les SCPI et offrait un formulaire qui permettait aux Internautes d’entrer en contact avec sa soi-disant “équipe de rédaction”. Le site proposait des informations dans le même secteur spécialisé dans lequel le Requérant mène ses activités de conseil. Compte tenu des constatations dans la Section 6.2B supra, l’utilisation du nom de domaine aurait été à des fins lucratives. Au vu de ces circonstances, la Commission administrative considère qu’en utilisant le nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur son site, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé, conforme au paragraphe 4(b)(iv).
La Commission administrative observe que le nom de domaine litigieux ne conduit plus à un site actif. Cette modification récente dans l’utilisation du nom de domaine litigieux ne change en rien la conclusion de la Commission administrative; en effet, elle constituerait encore une preuve de mauvaise foi.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <centraledescpi.com> soit transféré au Requérant.
Matthew Kennedy
Expert Unique
Le 6 octobre 2021