Déclaration du Directeur général – 2020
Assemblées de l’OMPI – 21 au 25 septembre 2020
[Sous réserve de modification]
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Votre Excellence, Monsieur l’Ambassadeur Omar Zniber, président de l’Assemblée générale de l’OMPI,
Daren Tang, Directeur général désigné,
Vos Excellences, représentants permanents et ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les délégués,
J’ai le grand plaisir de m’associer au président de l’Assemblée générale de l’OMPI pour souhaiter chaleureusement la bienvenue à toutes les délégations à l’occasion des assemblées de 2020, qui se déroulent dans les circonstances difficiles et inhabituelles liées à la pandémie de COVID-19.
Je remercie toutes les délégations qui peuvent être présentes physiquement pour leur présence, ainsi que toutes celles qui sont connectées à la réunion depuis diverses régions du monde pour leur attention.
Je suis ravi que le Directeur général désigné, M. Daren Tang, nous ait rejoints pour la séance d’ouverture. Comme vous le savez tous, Daren Tang prendra ses fonctions de Directeur général la semaine prochaine, après des mois de préparation minutieuse depuis sa nomination en mai. Je lui souhaite plein succès dans son mandat, qui, j’en suis sûr, permettra de faire progresser l’Organisation de manière exceptionnelle sur tous les plans.
Je tiens à remercier le président de l’Assemblée générale, M. l’Ambassadeur Omar Zniber, pour l’attention particulière qu’il a portée à l’Organisation et pour le travail acharné qu’il a accompli au cours des 12 derniers mois, dans le cadre des nombreuses réunions et consultations qu’il a menées pour faire en sorte que ces assemblées puissent avoir lieu et puissent aller aussi loin que possible dans les conditions restrictives et difficiles imposées par la pandémie de COVID-19.
Je souhaiterais également saisir cette occasion pour remercier le président sortant du Comité de coordination de l’OMPI, M. l’Ambassadeur François Rivasseau, de la France, et le féliciter d’avoir mené à bien le processus de désignation du nouveau Directeur général. Je remercie également les présidents des nombreux autres organes, comités et groupes de travail de l’Organisation pour leur ardeur et leur engagement en faveur de la mise en œuvre du programme de travail de l’Organisation
Passons à présent aux assemblées proprement dites. À 10 jours de mon départ, permettez-moi de vous dire quelques mots des progrès accomplis par l’Organisation au cours des 12 dernières années. J’aborderai ensuite brièvement les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les activités de l’Organisation et, enfin, vous ferai part d’une ou deux réflexions plus générales.
S’agissant des 12 dernières années, je dois dire que, s’il est une constante dans ma vie, c’est de réaliser au moment de quitter un emploi que je me sens pour la première fois apte à le commencer. Cela, naturellement, n’a pas été très positif pour mes employeurs. Malgré ce désagrément, l’Organisation a pu prospérer et se développer au cours des 12 dernières années. J’ai établi un rapport écrit très détaillé sur l’évolution de l’Organisation, qui est à votre disposition devant la salle de conférence. Je n’entrerai pas ici dans le détail, mais je suis convaincu que toutes les parties prenantes, et les nombreuses entités ayant contribué aux activités de l’Organisation, à commencer par les États membres, ont des raisons de se féliciter des progrès accomplis par l’Organisation dans le cadre d’un effort collectif.
L’OMPI a connu une période de croissance et d’expansion qui peut être évaluée à l’aide d’un certain nombre d’indicateurs différents. Les systèmes mondiaux de propriété intellectuelle de l’Organisation ont élargi leur portée géographique et ont sensiblement accru leur nombre d’utilisateurs dans le monde entier. Il y a eu un nombre record d’adhésions aux traités administrés par l’Organisation, avec plus de 400 nouvelles adhésions à ces traités, dont la majorité émane de pays en développement ou de pays de la catégorie des moins avancés. Deux nouveaux traités, les traités de Beijing et de Marrakech, ont été conclus et sont entrés en vigueur. Un troisième, l’Arrangement de Lisbonne, a été sensiblement révisé et le nouvel Acte tenant compte de cette révision, l’Acte de Genève, est également entré en vigueur.
La situation financière de l’Organisation s’est considérablement améliorée et ses excédents réguliers lui ont permis de se libérer de toute dette et de constituer un actif net qui s’élève aujourd’hui à près de 364 millions de francs suisses, dépassant l’objectif fixé par les États membres. Dans le même temps, les taxes au titre des systèmes mondiaux de propriété intellectuelle qui constituent la source de revenus de l’Organisation sont demeurées constantes.
La question du développement a été intégrée dans les activités et le Plan d’action pour le développement, qui comportait une série de recommandations, a fait l’objet d’une mise en œuvre concrète dans de nombreux domaines. Nous avons établi plusieurs partenariats public-privé fructueux qui contribuent de diverses manières à la mise en œuvre des objectifs de développement durable.
Nous avons introduit de nouveaux programmes et services, comme des plateformes informatiques, des bases de données et des services plébiscités dans le monde entier, et produit des analyses économiques, l’Indice mondial de l’innovation, ainsi que des statistiques et des analyses de données.
Nous avons rénové le site de l’OMPI en y ajoutant deux grands bâtiments qui ont été réalisés conformément aux délais et au budget prévus.
L’Organisation a également fait le choix de la transformation numérique, utilisant des plateformes électroniques pour tous ses services orientés vers l’extérieur et numérisant toutes ses procédures d’administration et de gestion.
L’année 2020 a été une année difficile pour le monde entier, comme chacun le sait, la pandémie de COVID-19 ayant causé d’innombrables souffrances et perturbations économiques et sociales. Jusqu’à présent, les répercussions négatives pour l’OMPI ont été relativement limitées. La transformation numérique a permis aux services mondiaux de propriété intellectuelle de continuer de fonctionner presque à plein régime pendant le confinement, grâce au télétravail. La situation a toutefois pesé dans deux domaines, qui sont à l’évidence affectés par les restrictions en matière de voyage et les mesures de distanciation sociale : les comités et réunions portant sur l’établissement de normes, en général, et la coopération pour le développement. Mes collaborateurs ont déployé des efforts considérables pour maintenir la communication avec les États membres dans le monde entier, et ainsi réduire l’incidence de la pandémie. Néanmoins, ces deux domaines ont inévitablement connu une réduction de leur pleine capacité opérationnelle.
La situation financière de l’Organisation n’a en revanche pas été touchée jusqu’à présent. Nous enregistrons un fort excédent pour les huit premiers mois de 2020. Celui-ci s’explique par les performances intrinsèques de nos systèmes mondiaux de propriété intellectuelle, qui sont restés remarquablement résistants, avec une demande accrue pour le PCT – la principale source de revenus – et faiblement perturbée pour nos autres systèmes. Nous savons que les effets d’un ralentissement économique sur le PCT sont généralement différés, car les demandes internationales selon le PCT reflètent le plus souvent l’activité au niveau national un an plus tôt, mais les résultats relativement positifs et la résilience que nous constatons demeurent quelque peu surprenants.
Bien que la compréhension de l’évolution de la demande dans nos systèmes mondiaux de propriété intellectuelle au cours des mois et des années à venir revête une importance capitale pour la planification, l’élaboration du budget et la gestion de l’Organisation, à ce stade, toute tentative d’explication de la situation serait de nature purement hypothétique. Nous communiquons régulièrement avec les pays qui sont les principales sources de dépôt. La situation dans ces pays ne diffère guère de la nôtre pour l’instant. Nous envisageons plusieurs explications, mais, comme je l’ai dit, ce ne sont à ce stade que des hypothèses.
Notons tout d’abord qu’au cours des 10 dernières années, la croissance du nombre de demandes de titres de propriété intellectuelle a constamment dépassé celle de l’économie mondiale. Il n’est donc peut-être pas surprenant, dans le contexte de la récession, que leur déclin soit inférieur à celui de l’économie mondiale, illustrant ainsi comment le choix économique et politique de miser sur la technologie procure un avantage concurrentiel et favorise la croissance. Il se peut également que l’évolution de la répartition géographique des principales sources de demandes internationales de titres de propriété intellectuelle soit en jeu. La proportion du nombre de demandes en provenance d’Asie est en hausse et représente aujourd’hui plus de 50% de l’ensemble des demandes selon le PCT. Les données provisoires sur les demandes selon le PCT déposées par la Chine indiquent une forte augmentation au cours du premier semestre 2020, pour un pays qui représentait déjà le plus grand volume ou la plus grande source de demandes selon le PCT.
Malgré les résultats relativement satisfaisants obtenus en 2020, la vigilance reste certainement de mise. Il est difficile d’imaginer que l’Organisation puisse traverser l’année 2021 sans encombre, mais notre situation financière est assez saine pour que nous puissions résister à la tempête.
S’agissant de la gestion et des aspects de politique générale concernant l’impact de la pandémie de COVID-19, nous pouvons constater que le télétravail a fonctionné et, qu’à l’avenir, il pourrait devenir une caractéristique permanente du paysage de la gestion des ressources humaines. Quatre-vingts pour cent des près de 1000 membres du personnel qui sont retournés au bureau ont choisi l’option du télétravail, qui permet de travailler à distance trois jours sur cinq, dans le cadre de leur réintégration sur le lieu de travail. De nombreux ajustements devront être apportés sur les plans de la gestion et des politiques si cette option devait effectivement faire partie de la nouvelle réalité.
En ce qui concerne les programmes, la durée de la crise exige, je pense, que les États membres imaginent une nouvelle façon d’organiser les réunions. Cela peut nécessiter d’investir dans de meilleures plateformes virtuelles, de mettre davantage l’accent sur les préparatifs et les discussions avant la tenue des réunions et, éventuellement, de revoir certaines procédures. Cette orientation a soulevé quelques résistances, mais nous devons étudier attentivement la question de savoir combien de temps il faudra avant que les déplacements et les mesures sanitaires prises au niveau national soient assouplis pour que les voyageurs en provenance de toutes les parties du monde puissent se rendre à Genève sans restrictions pour assister à des réunions. Il semble qu’il faudra beaucoup de temps. En attendant, le programme d’établissement de normes reste à de nombreux égards au point mort, alors que la technologie continue de progresser à un rythme croissant, ce qui soulève inévitablement des questions et des problèmes sur lesquels il pourrait être nécessaire de se pencher.
Permettez-moi maintenant de formuler une ou deux observations de nature plus générale. Il est clair que la technologie et, en particulier, l’Internet et les plateformes, les modèles d’affaires et les entreprises qu’il a générés, ont interconnecté le monde d’une manière qualitativement différente de tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. En 2020, on compte environ 3,5 milliards d’utilisateurs de smartphones dans le monde. Environ 4 milliards de personnes utilisent le courrier électronique et quelque 306 milliards de messages électroniques sont envoyés chaque jour dans le monde, dont environ 55% sont des spams. Les applications mondiales de messagerie mobile connaissent un volume de trafic similaire. On dénombre environ deux milliards d’utilisateurs actifs de WhatsApp et 1,2 milliard d’utilisateurs de WeChat. Facebook compte environ 2,7 milliards d’utilisateurs actifs par mois. Je pourrais multiplier les exemples et élargir les indicateurs à d’autres domaines pour montrer à quel point la vie économique, sociale et culturelle est interdépendante à travers le monde. Il est absolument clair que le monde est plus interconnecté que jamais et, probablement, plus ouvert et plus transparent.
Toutefois, face à cette interconnexion croissante, des tendances contraires se dégagent. Les signes de repli sont de plus en plus nombreux dans le monde. Les investissements étrangers directs chutent, le protectionnisme augmente, les chaînes de valeur mondiales sont démantelées ou réorganisées, et les conditions de filtrage des investissements étrangers se resserrent. Ces tendances ne découlent pas de la pandémie de COVID-19. Elles sont apparues avant, même si, bien entendu, les mesures de restriction rendues nécessaires par la gestion de la situation sanitaire les ont accélérées.
Nous sommes donc dans une situation où la logique du développement technologique s’oppose sur le plan géopolitique à l’évolution des politiques. En me fondant sur l’histoire, je ne serais pas surpris qu’à long terme, la technologie l’emporte. Il existe peu d’exemples, voire aucun, d’inversion d’une technologie fondamentale qui s’est ancrée dans le tissu économique, la société et la vie culturelle.
Il y a de nombreux risques associés à la collision de ces deux courants, qui vont du schisme entre les peuples et leur gouvernement à l’interruption de la vie économique et sociale. Compte tenu de la nature mondiale des deux courants, il semble n’y avoir qu’un moyen de les faire converger de manière pacifique. Cela passe par une coopération internationale qui revête un caractère mondial ou, en d’autres termes, le multilatéralisme.
Nous savons tous que la volonté ou les moyens d’entreprendre de telles actions multilatérales sont malheureusement réduits à l’heure actuelle. La reconstruction de cette volonté ou de ces moyens, avec les changements architecturaux qu’elle va inévitablement entraîner, est l’un des défis majeurs auxquels le monde doit faire face au cours des années et décennies à venir. Je n’entrerai pas dans les détails de la tâche exceptionnellement complexe qu’implique une telle reconstruction. Je me contenterai de souligner combien la tâche est longue et difficile et combien les risques d’échec nous entraînent dans des eaux inconnues et périlleuses. Elle touche à la quasi-totalité des aspects des politiques générales, tels que la sécurité, les libertés personnelles et politiques, le contrôle des forces du marché et de la concurrence, l’administration fiscale, l’intégrité de l’information et des données et la conduite de la vie sociale et culturelle.
La propriété intellectuelle fait partie intégrante de ces enjeux de politique générale. Elle a toujours été un facteur de rapprochement international, un moyen de commercialiser et de consommer les œuvres intellectuelles et culturelles. Au cours des deux dernières décennies, nous avons vu apparaître des marchés ou des publics mondiaux pour les œuvres musicales, audiovisuelles et littéraires, les publications scientifiques et les technologies sur la base de différents modèles commerciaux, dont la plupart reposent sur la connectivité numérique. Le processus d’ajustement au nouveau monde qui est désormais dicté par la technologie est une tâche extraordinairement complexe et difficile qui requiert l’implication de tous les États membres. J’espère que, dans le petit monde de la propriété intellectuelle, l’OMPI sera en mesure de continuer à apporter une contribution à cet ajustement.
Je tiens à présent à exprimer ma gratitude à de nombreuses personnes pour l’assistance et l’appui qu’elles m’ont apportés ces 12 dernières années. Je commencerai par les États membres en les remerciant pour leur attachement et leur appui à l’Organisation et, en particulier, pour leur indulgence à l’égard des inévitables imperfections. Je remercie en particulier le Gouvernement de l’Australie d’avoir présenté ma candidature au poste de Directeur général et de m’avoir soutenu tout au long de ces années.
Je remercie l’ensemble du personnel. Nous avons la chance d’avoir un personnel hautement talentueux et professionnel à l’OMPI, qui a répondu de manière plus que satisfaisante aux nombreux défis et changements induits par la réforme et la transformation numérique. Je remercie en particulier l’Équipe de haute direction, à savoir les quatre vice-directeurs généraux, Sylvie Forbin, Mario Matus, John Sandage et Binying Wang, les quatre sous-directeurs généraux, Minelik Getahun, Naresh Prasad, Ambi Sundaram et Yo Takagi, le conseiller juridique, Frits Bontekoe, et la directrice du Département de la gestion des ressources humaines, Cornelia Moussa. Tous ont apporté une contribution remarquable et dirigé leur secteur avec dévouement et autorité, l’entraînant dans une direction très positive. Je dois tout particulièrement mentionner ceux qui ont parcouru ces 12 ans avec moi, Binying Wang, Naresh Prasad, Ambi Sundaram et Yo Takagi. Parmi eux, Naresh Prasad est probablement celui qui a dû souffrir le plus de son lien étroit avec mes fonctions, en qualité de chef de Cabinet. Douze ans, c’est long pour supporter quelqu’un, et je leur suis profondément reconnaissant de leur persévérance, de leur tolérance et de leur indulgence. Comme les autres membres de l’Équipe de haute direction, ils m’ont été d’une aide extrêmement précieuse.
Permettez-moi de mentionner quatre personnes qui ont dû souffrir plus que quiconque à mon service, à savoir mes assistantes, Christine Collard, Cécile Müller, Tatiana Narciss et Marie-Antoine Rideau. Deux d’entre elles ont travaillé avec moi pendant 25 ans. Je n’aurais pas été en mesure d’exercer mes fonctions sans leur aide avisée et leur professionnalisme.
L’OMPI est aujourd’hui une Organisation relativement grande et nous faisons appel à de nombreux prestataires externes, notamment dans les domaines de la sécurité, du nettoyage, des langues, de l’informatique et de la restauration. Ces prestataires font partie intégrante de l’Organisation et de ses réalisations. Leur contribution a été cruciale, et je les remercie tous.
Je remercie également le secteur privé, les organisations professionnelles et les organisations non gouvernementales de la société civile qui ont suivi, soutenu et guidé les travaux de l’Organisation. Leur contribution revêt une importance croissante pour le succès de l’Organisation.
Ce fut un honneur que d’avoir eu la possibilité d’exercer les fonctions de Directeur général. Le plus grand privilège a sans nul doute été l’occasion qui m’a été donnée de rencontrer autant de personnes de tant d’horizons différents. Cela m’a permis de m’ouvrir à la richesse et à la diversité du monde et de comprendre que nous avons tous un patrimoine, une expérience et une identité en commun.