WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Services aux Loteries en Europe (SLE) contre Société Ascope

Litige n° DFR2007-0037

 

1. Les parties

Le Requérant est la société des Services aux Loteries en Europe (SLE), Bruxelles, Belgique, représenté par Inlex IP Expertise, France.

Le Défendeur est la société Ascope, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <euromillion.fr> enregistré le 17 mai 2004.

Le prestataire Internet auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est E-ZONE SAS.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 10 août 2007.

Le 15 août 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations. Le 16 août 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la Procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) et (c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 5 septembre 2007. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir sa réponse était le 25 septembre 2007. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 27 septembre 2007 le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le 4 octobre 2007, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant, la société des Services de Loteries en Europe (SLE), est une société coopérative à responsabilité limitée de droit belge, créée en 2003, qui regroupe les loteries nationales des différents pays participants au jeu de loterie commercialisé sous la dénomination EUROMILLIONS, notamment en France.

Le Requérant est titulaire d’un certain nombre de marques comprenant le terme “euromillions” et notamment :

- la marque communautaire EUROMILLIONS n°002987568, déposée le 23 décembre 2002 ;

- la marque communautaire EUROMILLIONES n°2987535, déposée le 23 décembre 2002 ;

- la marque française semi-figurative EUROMILLIONS n°02 3 183 558, déposée le 16 septembre 2002.

Le Requérant est également titulaire de noms de domaine comprenant le terme “euromillions” et en particulier, des noms de domaine <euromillion.com>, <euro-million.com>, enregistrés respectivement les 24 juin 2004 et 24 décembre 2002.

Le Défendeur est la société ASCOPE.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <euromillion.fr> le 17 mai 2004 et est inactif à ce jour. Il renvoie à une page web du site internet de l’hébergeur Azuria.

Le conseil du Requérant a tenté de contacter le Défendeur à plusieurs reprises, afin de l’enjoindre de stopper l’utilisation du nom de domaine litigieux et à le rétrocéder au Requérant.

N’ayant reçu aucune réponse du Défendeur, le Requérant a engagé la présente procédure aux fins de se voir transférer le nom de domaine <euromillion.fr>.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que l’enregistrement du nom de domaine <euromillion.fr> par le Défendeur constitue une atteinte à ses droits pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, le Requérant relève l’absence de droits du Défendeur sur le terme EUROMILLION :

- le Requérant est en effet titulaire de droits à titre de marques depuis 2002 sur les termes “Euromillions” et “Euromilliones”;

- à la connaissance du Requérant qui a effectué quelques recherches, le Défendeur ne détient aucun droit à titre de marque, patronyme, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne sur la dénomination “Euromillion”;

- le Requérant n’a pas non plus accordé de licence ou tout autre type d’autorisation au Défendeur pour utiliser ses marques “Euromillions”;

- l’absence de réponse et de manifestation de la part du Défendeur, suite aux plusieurs lettres de mises en demeure qui lui ont été adressées par le conseil du Requérant, attesterait de la mauvaise foi du Défendeur quant au dépôt du nom de domaine litigieux.

Ensuite, le Requérant fait valoir que la réservation du nom de domaine <euromillion.fr> est frauduleuse, considérant que le nom de domaine est de nature à tromper le public notamment sur la qualité ou l’origine des activités visées :

- le nom de domaine litigieux est identique ou à tout le moins similaire aux marques antérieures du Requérant, puisque celui-ci ne se différencie que par la suppression d’un “S”, inaudible;

- dès lors il existe un réel risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

Enfin, le Requérant soutient que la mauvaise foi du Défendeur est avérée :

- le Requérant indique que la société au nom de laquelle le nom de domaine est réservé n’existe pas à l’adresse indiquée;

- le site internet exploité sous le nom de domaine litigieux n’est pas actif;

- après investigations, le Requérant se serait aperçu que le Défendeur aurait réservé un certain nombre de noms de domaine tels que <eurofoot.fr>, <eurolotto.fr>, <lotto.fr>;

- il s’agirait de cybersquatting, c’est-à-dire d’une technique de parasitisme consistant à enregistrer un nom de domaine, en contrevenant délibérément au droit de la marque, afin de détourner le trafic destiné à une entreprise ou à une de ses marques possédant une forte notoriété.

Le Requérant expose par ailleurs qu’il détient des droits sur l’élément objet de l’atteinte. En effet :

- d’une part, la marque invoquée EUROMILLIONS jouit d’une notoriété certaine au sens de l’article 6bis de la convention de l’Union de Paris, qui fait que dès que le consommateur sera confronté à un nom de domaine composé de ce terme, il pensera immédiatement à la loterie européenne organisée et gérée par la SLE;

- d’autre part, le Requérant est titulaire de marques EUROMILLIONS et de noms de domaine depuis 2002 et le nom de domaine litigieux constitue bien une reproduction quasi identique et l’imitation des marques et noms de domaine antérieurs du Requérant. Le fait de supprimer le “S” n’est pas suffisant selon le Requérant pour écarter la similitude et le risque de confusion dans l’esprit du public entre ces deux termes.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a transmis aucune réponse.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence la transmission de ce nom de domaine à son bénéfice.

Conformément au l’article 20 (c), l’Expert “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

Par conséquent, l’Expert s’est attaché à vérifier si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine <euromillion.fr> portent atteinte aux droits de tiers, et si le Requérant justifie de droits lui permettant de solliciter la transmission de ce nom de domaine.

A. Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers

L’atteinte aux droits des tiers s’entend, au titre de la Charte, comme “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom, ou au pseudonyme d’une personne”.

En premier lieu, l’Expert constate au vu du dossier que le Requérant justifie être titulaire de droits de propriété intellectuelle sur le terme “euromillions”.

En effet, le Requérant est notamment titulaire de :

- la marque communautaire EUROMILLIONS n°002987568, déposée le 23 décembre 2002 ;

- la marque française semi-figurative EUROMILLIONS n°02 3 183 558, déposée le 16 septembre 2002.

Le Requérant est également titulaire de noms de domaine comprenant le terme “euromillions” et en particulier, des noms de domaine <euromillion.com>, <euro-million.com>, enregistrés respectivement les 24 juin 2004 et 24 décembre 2002.

Enfin, l’Expert constate que le signe “euromillions” jouit d’une notoriété certaine en Europe et notamment en France.

En second lieu, l’Expert estime que l’enregistrement du nom de domaine litigieux constitue une atteinte aux droits du Requérant.

En effet, l’Expert estime qu’il existe un risque de confusion certain entre le nom de domaine litigieux et le terme “euromillions” sur lequel le Requérant justifie détenir des droits de propriété intellectuelle. A cet égard, la présence de l’extension “.fr” dans le nom de domaine litigieux – inhérente au fonctionnement des noms de domaine – comme la suppression du “S” final, muet en langue française, ne permettent pas d’échapper à ce risque de confusion (par exemple, pour ce qui concerne l’extension “.fr” : décisions SARL Abcyne contre Jeremie Guyot, Litige OMPI n° DFR2007-0001, Compagnie Générale des Etablissements Michelin – Michelin et Cie contre EUROSTATIC Ltd, Litige OMPI n°DFR2005-0013).

De plus, le nom de domaine litigieux dirige vers un site internet inactif, ce qui constitue un acte de rétention injustifié du nom de domaine litigieux (par exemple, AMITEL SA et LTV GELBE SEITEN AG contre EDICIEL SARL, Litige OMPI n°DFR2006-0018).

Par conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine <euromillion.fr> par le Défendeur constitue une atteinte aux droits du Requérant.

B. Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

L’Expert considère que les éléments rapportés par le Requérant dans sa plainte permettent de constater qu’il est titulaire d’un certain nombre de marques comprenant le terme “euromillions”, et notamment une marque communautaire et une marque française. Ces marques ont été déposées antérieurement à l’enregistrement par le Défendeur du nom de domaine <euromillion.fr>.

En outre, le Requérant a également justifié être titulaire d’un grand nombre de noms de domaine reprenant sa marque EUROMILLIONS.

L’Expert considère en conséquence que le Requérant est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20 (b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <euromillion.fr>.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 18 octobre 2007