Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE L’EXPERT
Orange Personal Communications Services et Orange France contre Matthieu Simon
Litige n° DFR2008-0011
1. Les parties
Les Requérantes sont la société Orange Personal Communications Services Ltd, Bristol, Royaume-Uni et la société Orange France, Arcueil, France, représentées par le Cabinet DS Avocats, Paris, France.
Le Défendeur est Monsieur Matthieu Simon, Paris, France.
2. Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine <orangeiphone.fr> enregistré le 22 juin 2007.
Le prestataire Internet est la société OVH, Roubaix, France.
3. Rappel de la procédure
Une demande déposée par les Requérantes auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 22 février 2008, par courrier électronique et le 28 février 2008, par courrier postal.
Le 25 février 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 25 février 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 29 février 2008. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 25 mars 2008.
Le 1er avril 2008, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
4. Les faits
Les Requérantes justifient être titulaires du nom de domaine <orange.com> et du nom de domaine <orange.fr> ainsi que de différentes marques ORANGE et notamment les marques françaises suivantes:
- la marque ORANGE déposée le 30 septembre 1999, pour les produits et services des classes 9, 36 et 38 (n°99814928);
- la marque ORANGE déposée le 11 mai 2001, pour les produits et services des classes 16, 18, 25, 28, 35, 36, 37, 39, 41 et 42 (n°013099915);
- la marque semi-figurative ORANGE déposée le 14 juin 2000, pour désigner les produits des classes 9 et13 (n°003034169);
- la marque semi-figurative ORANGE déposée le 6 juin 2001, pour désigner les produits et services des classes 16, 18, 25, 28, 35, 36, 37, 39, 41 et 42 (n°013104149);
- la marque ORANGE France déposée le 3 juillet 2001, pour les produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 36, 38, 41 et 42.
ORANGE FRANCE constitue par ailleurs la dénomination sociale ainsi que le nom commercial de l’une des Requérantes.
Les Requérantes distribuent en France depuis le 29 novembre 2007 le nouveau téléphone baladeur dénommé “Iphone” pour lequel elles proposent une gamme de forfaits spécifiques “Orange pour Iphone”. Ces services sont par ailleurs présentés sur le site “www.iphone.orange.fr”, exploité par les Requérantes.
Les Requérantes ont constaté qu’était accessible sur internet, par le nom de domaine <orangeiphone.fr> un “Blog sur l’IPHONE de la communauté Francophone”, reproduisant la marque ORANGE. Celles-ci ayant constaté que l’identité du titulaire de ce nom de domaine était indiquée comme anonyme, elles ont obtenu du Président du Tribunal de Grande Instance de Versailles, par requête, l’autorisation de solliciter la levée de l’anonymat du titulaire de ce nom de domaine auprès de l’AFNIC.
Les Requérantes ont alors adressé au Défendeur le 22 novembre 2007un courrier recommandé avec accusé de réception lui demandant notamment de ne plus faire usage du nom de domaine <orangeiphone.fr>.
Par courrier en date du 22 décembre 2007, le Défendeur a refusé de cesser l’utilisation du nom de domaine litigieux, estimant qu’“aucune ambigüité n’était possible quant à l’appartenance de ce site à un tiers autre qu’ORANGEFRANCE”, et son blog ayant pour unique “but d’informer, à l’exclusion de toute activité lucrative”, il estimait ne pas pouvoir être accusé de contrefaçon ou de concurrence déloyale.
C’est dans ce contexte que les Requérantes ont engagé une procédure alternative de résolution des litiges devant le Centre aux fins d’obtenir la suppression du nom de domaine <orangeiphone.fr>.
5. Argumentation des parties
A. Requérants
Les Requérantes considèrent que l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur constitue une atteinte au droits des tiers.
A cet égard, les Requérantes exposent tout d’abord que le nom de domaine litigieux reprend à l’identique les signes distinctifs ORANGE. En effet, le nom de domaine litigieux incorpore totalement le terme “Orange”, strictement identique aux marques, dénomination sociale, nom commercial et nom de domaine des Requérantes. Dès lors, les Requérantes estiment que la reproduction sur Internet de la marque ORANGE en association avec le nom d’un produit que les Requérantes commercialisent est source de confusion dans l’esprit des internautes. En outre, les Requérantes considèrent que, compte tenu de la notoriété de la marque ORANGE, le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux en pleine connaissance de cause, dans le but d’attirer les internautes. Les Requérantes citent à l’appui de leur demande une série de décisions rendues pour des noms de domaine en “.com” ou “ .net” et ayant considéré que le fait qu’une autre marque soit adjointe à celle du requérant n’était pas de nature à éliminer le risque de confusion.
Les Requérantes soutiennent par ailleurs que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. En effet, les Requérantes indiquent que le Défendeur n’a jamais obtenu le droit d’utiliser la dénomination ORANGE dont il ne pouvait ignorer la forte notoriété. Les Requérantes soutiennent que le Défendeur ne peut considérer disposer d’un intérêt légitime à la réservation et à l’exploitation du nom de domaine litigieux, du seul fait du caractère informatif de son site. A cet égard, les Requérantes relèvent d’une part que le Défendeur reproduirait les signes distinctifs des Requérantes sur son site, et d’autre part que le Défendeur y inciterait les internautes à faire appel aux services de concurrents des Requérantes.
Les Requérantes invoquent également la mauvaise foi du Défendeur et l’atteinte à leurs droits. En effet, les Requérantes estiment qu’il est manifeste que le nom de domaine litigieux a été réservé par le Défendeur dans l’unique but de détourner les internautes souhaitant obtenir des renseignements sur les services ORANGE et plus particulièrement ceux associés aux produits “Iphone”, proposés par les Requérantes. Les Requérantes invoquent à cet égard la notoriété des marques ORANGE et le fait que l’enregistrement du nom de domaine litigieux est intervenu alors que le lancement de l’“Iphone” avec le concours des Requérantes sur le territoire français était proche. En outre, les Requérantes mettent en exergue le fait que le site “www.orangeiphone.fr” est en relation directe avec les services qu’elles proposent et qu’il constitue une reprise à l’identique de la marque, dénomination sociale, nom commercial des Requérantes. Les Requérantes concluent ainsi que le comportement du Défendeur porte non seulement atteinte au droit de propriété intellectuelle des Requérantes sur la dénomination ORANGE, mais est également contraire aux règles de la concurrence et du comportement en matière commerciale.
Enfin, les Requérantes affirment disposer des droits sur l’élément objet de ladite atteinte. En effet, les Requérantes exposent qu’elles sont titulaires des marques ORANGE et ORANGE FRANCE et que ORANGE FRANCE est également la dénomination sociale et le nom commercial d’une des Requérantes, lesquelles sont en outre titulaire du nom de domaine <orange.fr>. En conséquence, les Requérantes estiment avoir un intérêt légitime à demander la suppression du nom de domaine litigieux.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.
6. Discussion
L’Expert constate que les Requérantes invoquent un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de leurs droits et sollicitent, en conséquence, la suppression du nom de domaine litigieux.
L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom et au pseudonyme d’une personne”.
En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits des Requérantes.
A. Enregistrement du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers
Les Requérantes justifient dans le cadre de la présente procédure, être titulaires de différentes marques françaises ORANGE et que ORANGE FRANCE constitue par ailleurs la dénomination sociale ainsi que le nom commercial de l’une des Requérantes.
L’Expert remarque que bien que la marque française ORANGE des Requérantes soit basée sur un terme générique, celle-ci est notoirement connue en France et il ne fait aucun doute que le Défendeur avait bien à l’esprit la marque des Requérantes lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, puisque justement le site exploité par le Défendeur est en relation directe avec les services proposés par les Requérantes sur l’“Iphone”. En outre, l’Expert rappelle qu’il appartenait au Défendeur, en application de l’article 12 de la Charte, de s’assurer que les termes qu’il souhaitait utiliser à titre de nom de domaine ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
L’Expert constate que la marque des Requérantes est intégralement reproduite dans le nom de domaine litigieux <orangeiphone.fr>. Le terme “Iphone” y est ajouté ainsi que l’extension “.fr”, sans que cela ne puisse diminuer le risque de confusion dans l’esprit du public. Bien au contraire, le terme “Iphone” désignant un produit commercialisé par les Requérantes en France, l’association de ce terme à la marque ORANGE ne peut que renforcer le risque de confusion de la part du consommateur, lequel peut ainsi être amené à croire que l’expression “Orangeiphone” désigne le site officiel de présentation de l’offre des Requérantes portant sur l’“Iphone”. En outre, comme jugé de manière constante par les experts, l’extension “.fr” inhérente au fonctionnement des noms de domaines, n’est pas de nature à faire disparaître cette identité entre la marque et le nom de domaine (décisions SARL Abcyne contre Jeremie Guyot, Litige OMPI No. DFR2007-0001, Compagnie Générale des Établissements Michelin – Michelin et Cie contre EUROSTATIC Ltd, Litige OMPI No. DFR2005-0013).
Les Requérantes affirment que le Défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine litigieux et indiquent que celui-ci n’a jamais obtenu le droit d’utiliser la dénomination ORANGE. En l’absence de réponse du Défendeur, l’Expert est en droit de considérer que les affirmations des Requérantes sont fondées.
En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits des Requérantes et en particulier à leurs marques françaises.
Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
Au vu des pièces produites aux débats par les Requérantes et non contestées par le Défendeur, il apparaît que le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux afin de créer une confusion dans l’esprit des internautes et de les inciter à faire appel aux services de concurrents des Requérantes. Dès lors, ce comportement doit être qualifié de déloyal et de parasitaire.
L’Expert considère en conséquence que l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits des Requérantes et en particulier aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.
7. Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la suppression au profit du Requérant du nom de domaine <orangeiphone.fr>.
Christiane Féral-Schuhl
Expert
Date : Le 15 avril 2008